Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 28 octobre 2004 à 10h00
Cohésion sociale — Demande de renvoi à la commission

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Il est difficile de réorganiser tout son emploi du temps en moins de trois jours, vous le savez bien ! J'ajoute que les sénateurs ne sont pas tous domiciliés dans la région parisienne et qu'il faut compter les temps de transport.

Il nous est surtout impossible d'annuler les audiences prévues dans nos permanences ; ce lundi, j'ai justement passé la journée à recevoir des partenaires locaux au sujet du texte de programmation pour la cohésion sociale !

Il est regrettable que, sur un texte d'une telle importance, qui ne fera l'objet que d'une seule lecture, la commission n'ait pas pu procédé aux auditions dans les conditions formelles habituelles et que ces auditions n'aient fait l'objet d'aucune publication.

Notre commission travaille dans des conditions de calendrier anormales. Le dernier exemple en date est celui de l'audition de MM. Douste-Blazy et Bertrand sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, jeudi dernier, à huit heures trente du matin.

Monsieur le président de la commission, vous avez été obligé de demander une suspension de la séance publique qui avait commencé alors que la commission était toujours en réunion ! Vous avez vous-même évoqué le respect dû aux ministres, mais aussi aux membres de la commission. On ne peut pas mieux dire, et nous partageons parfaitement vos propos.

Outre ce qui s'est passé en commission, en trois semaines, nous avons dû examiner en séance publique, au pas de charge, une partie du texte de simplification du droit, par lequel le Parlement renonce à une bonne partie de ses prérogatives, le projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, en deuxième lecture, très différent du texte de première lecture, et maintenant le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, qui contient déjà plus de soixante-dix articles sur des sujets très divers et pour lequel l'urgence a été déclarée dès le début de la procédure législative. Nous enchaînerons immédiatement avec l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale puis avec celui du budget pour 2005. Il faut, je crois, alerter le Gouvernement et lui demander de ne pas faire preuve d'une telle désinvolture à l'égard de notre assemblée.

On souhaiterait que le Sénat devienne une chambre d'enregistrement que l'on ne s'y prendrait pas autrement : les sénateurs ont à peine le temps de lire les textes, et encore moins les rapports !

Ce n'est pas que nous ne souhaitions pas travailler, bien au contraire ; mais nous sommes amenés à étudier les amendements pendant les suspensions de séances. Ce fut le cas hier soir, ce sera encore le cas au moment du déjeuner et mardi soir. Ce ne sont pas de bonnes conditions de travail et d'étude ! Si l'on veut que l'opposition joue pleinement son rôle, voire accepte un certain nombre de données proposées par le Gouvernement, il faut lui laisser le temps de travailler dans de bonnes conditions.

En agissant ainsi, le Gouvernement contourne les droits du Parlement et, avec eux, les droits de l'opposition. Vous savez bien, monsieur le président, que notre marge de manoeuvre est déjà faible ; dans une telle précipitation, elle se réduit à la portion congrue. Les conditions de travail qui nous sont imposées - à nous sénateurs et à nos collaborateurs à qui chacun se plait à rendre hommage - ne facilitent pas un examen des textes dans la sérénité.

Pour revenir au fond, je dirai, à propos de la lettre rectificative, que nous ne sommes pas dupes de la fausse querelle entre le MEDEF et M. Raffarin. Nous avons parfaitement compris qu'il s'agissait d'un leurre afin de détourner l'attention de l'opinion publique en se donnant une apparence sociale ; nous y reviendrons au cours du débat.

Depuis juin 2002 que le Gouvernement est aux affaires, nous avons déjà eu droit à trois sessions extraordinaires, et tous les textes les plus contestés de sa politique ont fait l'objet d'une déclaration d'urgence : le projet de loi portant réforme des retraites et le projet de loi relatif à l'assurance maladie, bien sûr, mais aussi le projet de loi pour la sécurité intérieure.

Je me souviens que, au tout début de cette législature, le Premier ministre, M. Raffarin, avait annoncé qu'il ne recourrait pratiquement jamais, sinon jamais, à la procédure d'urgence. La précédente session parlementaire s'était déjà achevée sur des critiques sévères concernant les conditions de travail des assemblées, notamment sur le système de la session unique.

Ces critiques viennent non pas seulement de l'opposition, mais aussi de la majorité, en particulier de deux de ses membres les plus importants, les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, dont nous souhaiterions qu'ils bénéficient d'une meilleure écoute de la part du Premier ministre.

Dans l'hebdomadaire l'Hémicycle du 20 octobre dernier, le président du Sénat déclarait ceci : « le problème n'est pas de moins légiférer mais de légiférer autrement ». On ne saurait mieux dire, mais ce qui se passe actuellement est à l'opposé d'un tel propos.

Légiférer autrement, est-ce faire travailler la commission compétente dans de telles conditions ? Légiférer autrement, est-ce faire du Parlement une chambre d'enregistrement ? Légiférer autrement, est-ce faire adopter à la va-vite des dispositions qui bouleversent des pans entiers de notre législation sociale ?

Je ne le crois pas, nous ne le croyons pas, et je suis sûr que, sur les travées de la majorité sénatoriale, beaucoup ne le croient pas non plus. Je subodore même que M. le ministre Jean-Louis Borloo doute du bénéfice de procéder de cette façon.

C'est vrai qu'il y a urgence quand, selon des sondages récents, l'opinion publique estime, à 72 %, que le gouvernement de M. Raffarin va plutôt dans le mauvais sens en ce qui concerne le chômage et, à 57 %, en ce qui concerne la cohésion sociale.

S'il est vrai que nous contestons la méthode consistant à déclarer l'urgence sur les textes, nous ne contestons pas l'urgence qu'il y a à prendre des mesures alors que notre pays compte 2, 4 millions de demandeurs d'emplois, 1, 2 million de RMIstes, c'est-à-dire 10, 5% de plus que pendant l'été 2003, qu'1, 6 million de nos concitoyens vivent avec moins de 400 euros par mois, que le RMA de M. Fillon a fait un flop tonitruant - à peine 100 contrats signés au mois de juin dernier -, et que le dogme du traitement tout économique du chômage a donc montré sa « réelle efficacité ».

Face à ce bilan social, faut-il rappeler que, pour les entreprises stars du CAC 40, cela se solde par 23 milliards d'euros de profits cumulés sur le premier semestre 2004, soit une hausse de 68 % en un an ?

Nous étions prêts à entamer le dialogue avec vous, monsieur le ministre ; nous le sommes toujours sur tous les points de ce projet de loi, sans détour et avec un état d'esprit constructif, mais nous souhaitons pouvoir le faire dans le calme et avec sérénité.

C'est pourquoi le groupe socialiste vous demande d'adopter cette motion de renvoi à la commission.

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