En mettant les régions en avant, ce texte s'inscrit dans une démarche que l'ARF appelle de ses voeux depuis longtemps. L'état des lieux européen montre l'efficacité de notre action publique en termes de développement économique et d'emploi, qui sont le coeur de métiers des régions. Dès avant la Révolution, l'histoire de France s'est faite contre les régions - à l'époque, on disait les provinces. Un modèle de décentralisation à la française se met en place, qui spécialise les compétences. Les régions s'y inscrivent. Comment ne pas voir que dans notre monde complexe et mondialisé, on ne gère pas les transports urbains, la solidarité ou l'allongement de la durée de vie comme on développe des entreprises ? Les régions françaises investissent 400 millions d'euros par an dans l'innovation de leurs petites et moyennes entreprises (PME), sur un peu plus de 2 milliards d'euros consacrés au développement économique en général. Les Länder allemands investissent 9 milliards d'euros. Les aides de l'État se limitent au Fonds unique interministériel (FUI) et aux pôles de compétitivité, soit 400 millions d'euros, car le crédit d'impôt recherche n'est pas une aide à l'innovation et la Banque publique d'invetissement (BPI) octroie des prêts. Nos PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) sont en concurrence avec les entreprises allemandes. La France compte 1 000 ETI indépendantes pour 15 000 en Allemagne. Pour compléter la comparaison, les dépenses publiques globales des régions françaises s'élèvent à 395 euros par habitant pour une moyenne européenne de 3 000 à 5 000 euros. À iso-compétences, le rapport est de 1 à 5. Ce que disait Jean-Pierre Sueur est parfaitement justifié : ce qui est en jeu, c'est la puissance des régions et non leur taille.
Hier, dans une réunion des présidents des conseils régionaux, Martin Malvy nous disait que les financements croisés sur un même dossier coûtent 800 euros en termes d'ingénierie publique. Nous nous trouvons dans un système de dilution des responsabilités et d'exacerbation du coût de l'action publique, alors même que l'État peine à faire évoluer ses politiques régaliennes. Pour peu qu'elle soit claire, la décentralisation est un acte de réforme responsabilisant qui économise l'action publique en la rendant plus efficace. Chaque fois qu'une compétence a été transférée à une collectivité locale, elle a été parfaitement gérée. C'est vrai pour les lycées, les collèges ou bien les trains express régionaux (TER), désormais rénovés. Rien n'aurait été possible sans le modèle économique qui a été le nôtre jusque dans les années 2000. Pour les lycées, les régions dépensent six fois plus que l'État le faisait à l'époque. Grâce à elles, la France se classe au troisième rang des pays européens pour le développement numérique des lycées - elle est septième pour les collèges. C'est dire qu'il faut réhabiliter l'efficacité de notre modèle par rapport à son coût.
Autre exemple, le service public de l'emploi est émietté. Dans des régions comme la Bretagne ou l'Aquitaine, plus de 170 organismes concourent à la réinsertion des chômeurs. À périmètre constant, en Allemagne, le service public de l'emploi représente 150 conseillers pour 10 000 chômeurs, contre 130 en Grande-Bretagne et... 71 en France. Une réforme et des progrès sont possibles.
Les régions ne souhaitent pas élargir le champ de leurs compétences au-delà de leur coeur de métier, pourvu qu'elles puissent exercer complètement ces compétences en accompagnant les entreprises. L'enjeu de l'acte de décentralisation que nous appelons de nos voeux est une répartition claire des compétences entre l'État et les régions. En matière d'innovation, par exemple, l'État intervient sur des appels d'offres, sur le FUI, par la BPI... La France ne peut plus se payer à la fois la déconcentration et la décentralisation. Elle doit choisir. Le mélange des deux induit un nomadisme des chômeurs et des chefs d'entreprises qui coûte cher et nuit à la rapidité de la décision publique.
Le découpage des régions a déjà donné lieu à plusieurs propositions de cartes, celles de Pierre Mauroy, d'Édouard Balladur, de Jean-Pierre Raffarin et d'Yves Krattinger. Selon les géographes, la solution optimale serait de passer entre les départements ou d'opérer un découpage intra-régional plutôt que de fusionner les régions. Le président de la République a privilégié la simplicité. À deux exceptions près, les flux se réalisent d'ailleurs d'abord au sein des régions.
La région est devenue la collectivité la plus dépendante des dotations de l'État. Le modèle des TER ne peut plus être accompagné : la région subventionne les gares et paye en plus les droits d'usage - une double peine ! Un tel système n'est plus acceptable. La disparition des conseils généraux renforcera le rôle des régions et des intercommunalités sur les territoires fragiles. Elles devront assumer une histoire française en général plus favorable aux territoires riches, laissant de côté un certain nombre de territoires ruraux. Nous plaidons pour le renforcement de l'intercommunalité. Nous plaidons même pour la revivification des pays, avec un vrai pouvoir exécutif. L'émiettement est trop coûteux.
Les métropoles doivent faire l'objet de toute notre attention. L'industrie française est à 60 % hors du territoire métropolitain. Il faut rester prudent sur une exception métropolitaine en matière de compétences économiques afin d'éviter que les métropoles n'en viennent à monopoliser la richesse et l'emploi. Un tel déséquilibre favoriserait la désertification des territoires ruraux et pénaliserait les entreprises qui gagnent à se développer sur des territoires à la fois urbains et ruraux, comme elles l'ont fait en Vendée ou à Lacq.
Un certain nombre de compétences seront transférées du département à la région - les collèges, les routes et les transports interurbains. Si ce transfert est l'occasion pour Bercy de supprimer les deux milliards d'euros alloués par les départements aux PME, ce sera un manque à gagner considérable pour l'innovation et l'emploi. Cela vaut pour le tourisme, les technologies de l'information et de la communication (TIC), la transition énergétique.
Les régions tiennent aux compétences qui font leur coeur de métier - formation, emploi, développement industriel et recherche. Elles sont aussi sensibles à l'équilibre des territoires et à l'action contractuelle que nous pouvons mener dans des territoires qui n'auraient pas la puissance fiscale des métropoles.