Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 28 octobre 2004 à 10h00
Cohésion sociale — Article 1er

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

Monsieur le ministre, face au chômage durable, et quelles que soient les caractéristiques, bonnes ou mauvaises, de la conjoncture économique, vous prétendez trouver des solutions techniques pour aider au « retour d'activité » des exclus, faire réaliser des économies au budget de l'Etat dans le domaine de l'emploi, et, surtout, ne rien toucher à la logique capitaliste de l'entreprise.

Pourtant, vous le savez bien, cette logique libérale, sous la houlette des marchés financiers et pour la plus grande satisfaction des gros actionnaires, ne cesse de rejeter vers le chômage nombre de nos concitoyens et de les précariser.

« Ne rien toucher » ? Que dis-je ! Vous consolidez au contraire cette logique libérale en décidant de mobiliser la réserve de main-d'oeuvre, ou du moins une grande partie des quelque sept millions de chômeurs et de salariés précaires, pour satisfaire les objectifs immédiatement rentables de chefs d'entreprise.

Il ne suffit plus de supprimer les freins du droit du travail afin de faciliter la mise en oeuvre de l'idéologie et des pratiques libérales et de constituer un réservoir de chômeurs et de salariés précaires pesant sur les conditions de travail et de rémunération des autres salariés. Avec ce texte, vous intervenez pour obliger ce réservoir de main-d'oeuvre à accepter une activité correspondant aux besoins immédiats de l'entreprise et donc pour aider le patronat à surmonter non seulement les goulets d'étranglement qui se profileront avec le choc démographique lié aux départs massifs à la retraite dès 2007 - c'est ce que vous appelez une « transition démographique inédite » -, mais aussi l'insuffisance criante de formation et le nombre d'emplois offerts très peu qualifiés. Tout cela, bien évidemment, à moindre frais pour l'Etat !

Le glissement est révélateur, et il n'est pas que sémantique : d'un projet de loi relatif au « développement de l'emploi », vous êtes arrivé à un projet de loi visant à une « cohésion sociale », plus performante. On est toujours dans une perspective managériale.

A la place de « cohésion sociale », je parlerai plutôt d' « injustice sociale ». Pour vous, il s'agit d'abord et surtout d'aider le patronat à répondre à « ses besoins en ressources humaines au niveau des bassins d'emploi », en créant, au-delà des politiques libérales menées ces dernières années, les conditions lui permettant la constitution de plus-values.

C'est le sens de votre définition du périmètre et du contenu du service public de l'emploi, et de la création de 300 maisons de l'emploi : une pour trois ANPE, soit à peu près une par bassin d'emploi.

Présentées comme la grande nouveauté de votre dispositif, alors qu'elles existent déjà sur l'initiative de quelques communes ou collectivités, ces maisons auraient pu chercher à fédérer les énergies autour des besoins d'emploi, de formation, de revenu des populations. Or il s'agit plutôt de rendre service au patronat. Du coup, la démarche perd de sa crédibilité en termes d'amélioration de la proximité et de l'efficacité des services de l'emploi.

La disparition du monopole de l'ANPE en matière de placement, avec la voie ouverte à une privatisation, n'est plus une mesure se profilant simplement à l'horizon ; elle est actée dès l'article 1er, puis dans les articles suivants.

Cette fin programmée, sans aucune concertation avec les partenaires sociaux, s'accompagne de l'asservissement de l'offre de formation de l'AFPA aux exigences exclusives du patronat via l'UNEDIC.

Ces maisons serviraient également de bras armé à la mise en pratique effective du PARE, le plan d'aide au retour à l'emploi, dont de récents procès, sur l'initiative des recalculés, ont confirmé qu'il était bien un contrat avec l'obligation, sous menace de sanctions, d'accepter le placement proposé, les conditions de travail et de rémunération imposées par la libre entreprise - responsable du statut de demandeur d'emploi, mais parée de toutes les vertus aux yeux du Gouvernement.

La sanction serait la « contrepartie » de l'offre groupée de services aux chômeurs - en fait, au patronat - dans ces 300 maisons.

Sur le plan national, serait signée une convention tripartite pluriannuelle entre l'Etat, l'ANPE et l'UNEDIC déclinant les objectifs élaborés par le Conseil supérieur de l'emploi. Mais rien n'indique, au contraire, que ce serait des objectifs limités de créations d'emploi et de mises en formation, comme l'urgence de la situation l'exigerait.

Les collectivités territoriales seront obligées de contribuer au fonctionnement de ces maisons et certainement de les piloter, bien évidemment sans aucune contrepartie de l'Etat.

C'est en effet cohérent avec votre volonté de désengagement de l'Etat en matière de politique de l'emploi. Ce sont les collectivités territoriales - communes, départements et régions - qui porteront ainsi la responsabilité du chômage et de la précarité sur leur territoire. Il y a vraiment là un objectif de décentralisation de la responsabilité de l'Etat sur les collectivités territoriales : si le chômage augmente, c'est la faute des communes ; s'il diminue, c'est grâce à l'Etat !

Pour toutes ces raisons, nous proposerons un amendement de suppression de l'article 1er.

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