Deuxièmement, certains services publics doivent être gérés avec un niveau d’exigence plus élevé.
Troisièmement, des marges d’économies et d’efficience existent et peuvent être mobilisées en faveur non seulement du redressement de nos comptes publics, mais aussi de politiques publiques mieux ciblées, plus adaptées aux besoins et aux attentes de la société.
Nous accumulons les déficits depuis près de quarante ans – depuis 1974 sans discontinuer, s’agissant du budget de l’État. Le chômage demeure à des niveaux inquiétants. La part de nos dépenses publiques dans le PIB est parmi les plus élevées sans que les résultats soient à la hauteur. Dans ce contexte, l’effort devrait être plus résolu en faveur d’une gestion plus rigoureuse des finances et des services publics, et davantage tourné vers la recherche d’efficacité.
Or, cette année encore, la Cour observe à de nombreuses reprises un décalage entre les engagements pris, les objectifs affichés, les moyens qui leur sont consacrés et les résultats obtenus. C’est le premier message de la Cour.
La confiance dont jouit notre pays dans les instances politiques, économiques et financières, aux niveaux européen et international, est étroitement liée à la crédibilité de sa politique budgétaire. L’actualité récente montre que les débats de politique économique sont nourris quant à l’approche à retenir, dans un contexte encore difficile et alors que les dettes publiques de plusieurs États européens, dont le nôtre, continuent de se creuser.
Bien sûr, le rôle de la Cour des comptes n’est pas de trancher ces débats ; il n’est pas de se substituer aux pouvoirs politiques dans la prise de décision qui leur appartient, les choix à retenir ou les engagements à prendre vis-à-vis de nos partenaires. En revanche, le rôle de la Cour est bien d’informer sur la situation et les perspectives des finances publiques, et sur le respect des engagements pris.
La Cour fonde ainsi son appréciation sur une réalité observable : les lois votées par les parlementaires, les hypothèses du Gouvernement, les résultats des lois de finances, ainsi que la statistique publique nationale et européenne. Comme chaque année, dans un chapitre de son rapport public annuel, la Cour livre à nos concitoyens et à vous-mêmes son regard sur la situation des finances publiques.
Deux grandes observations s’en dégagent cette année : d’une part, le mouvement de réduction des déficits s’est interrompu en 2014 ; d’autre part, la capacité de la France à tenir ses engagements reste incertaine en 2015.
Le chapitre consacré aux finances publiques met en évidence le dérapage des prévisions successives de déficit public pour 2013 et 2014. Le mois dernier, lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour, j’ai salué l’opération « vérité » de septembre 2014, par laquelle le Gouvernement a – tardivement, selon nous – reconnu la réalité de l’ampleur des déficits.
Les résultats de 2014 devraient être meilleurs que la prévision de 4, 4 % inscrite dans la loi de finances de décembre 2014. Mais quand bien même ils se rapprocheraient de 4, 1 %, par exemple, cela resterait encore bien supérieur aux 3, 6 % prévus initialement. En tout état de cause, ces résultats ne marqueraient pas une amélioration par rapport à 2013 – le déficit fut alors de 4, 1 % –, au contraire de ce qui se passe dans pratiquement tous les autres pays de l’Union européenne dont le déficit dépasse 3 %.
Malgré un objectif de réduction du déficit limité par rapport à celui qui était prévu initialement en 2014, la capacité de la France à tenir ses engagements reste incertaine pour 2015. La Cour identifie en effet plusieurs risques, en dépenses comme en recettes, liés notamment aux perspectives de baisse de l’inflation.
Un premier risque pèse sur la réalisation des 21 milliards d’euros d’économies annoncées en avril 2014. Ces économies sont conçues, pour leur très grande part, je le rappelle, non pas comme une diminution de la dépense publique, mais comme un effort de ralentissement par rapport à son évolution tendancielle.
Un second risque pèse sur le montant des recettes fiscales attendues pour 2015. Le risque ne se situe pas, comme les autres années, sur la croissance ou les hypothèses d’élasticité des recettes fiscales, mais là encore sur l’inflation prévue. Les lois financières s’appuient sur une hypothèse de 0, 9 %, hypothèse largement supérieure aux dernières prévisions. La Commission européenne envisage même une inflation voisine de 0 % pour la France.
Les pouvoirs publics doivent se pencher sans tarder sur les enjeux que soulève la période actuelle de très faible inflation, à laquelle – il faut le reconnaître – nous n’étions pas habitués. Cette très faible inflation remet en cause les perspectives d’équilibre des finances publiques et le cadre budgétaire triennal sur lequel reposent notamment le budget de l’État et l’ONDAM, l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie.
Si les risques identifiés se concrétisent, le retour sous le seuil de 3 % du produit intérieur brut en 2017 serait probablement compromis. À cet horizon, la dette publique pourrait approcher, voire dépasser, 100 %, et l’équilibre structurel des comptes publics serait encore repoussé au-delà de 2019. Attention à ne pas se laisser abuser par le très faible niveau des taux d’intérêt auxquels l’État se finance actuellement : la dette supplémentaire que nous continuons d’accumuler va devoir être financée et refinancée pendant de nombreuses années. En tout état de cause, elle ne le sera sans doute pas éternellement aux taux exceptionnellement bas que nous connaissons aujourd’hui. Ces déficits et cette dette supplémentaire pèseront lourdement sur les générations futures et sur les marges de manœuvre des gouvernements dans l’avenir.
Nous sommes donc confrontés actuellement à une situation paradoxale : la dette augmente, mais sa charge diminue. Prenons garde : cela peut ne pas durer.
Le rééquilibrage durable de nos finances publiques dépend bien sûr des choix de politique économique susceptibles de renforcer le potentiel de croissance de l’économie. Il implique aussi de faire des choix clairs pour une organisation plus performante des services publics, ainsi qu’une meilleure répartition des compétences et des moyens.
L’ensemble de ces choix – j’ai déjà eu l’occasion de le souligner – ne s’imposent pas au nom d’une contrainte, subie ou importée ; ils s’imposent, si j’ose dire, de l’intérieur, si nous voulons préserver la souveraineté de notre pays, c’est-à-dire précisément sa capacité à faire des choix. Les politiques de rabot ne peuvent pas tenir lieu de stratégie de redressement des comptes publics ni surtout d’horizon pour les services publics de demain.
Dans le rapport public de cette année, la Cour s’interroge à plusieurs occasions sur la cohérence de l’action de tel ou tel organisme public avec les objectifs visés. Parfois même, elle met en doute la conduite de l’action publique, au regard des objectifs qu’elle est censée remplir. Ce sont en effet les résultats atteints par une politique publique qui garantissent sa crédibilité. Nos concitoyens exigent, à juste titre puisqu’ils y contribuent financièrement, que l’action publique débouche sur des résultats tangibles et concrets, dans leur vie de tous les jours. C’est encore loin d’être le cas, au regard des crédits consacrés.
De nombreux sujets de ce rapport touchent à la vie quotidienne des habitants, que ce soient les transports, l’eau, l’électricité, l’emploi, le sport ou la vie étudiante. Je ne les citerai évidemment pas tous, mais je veux évoquer devant vous les exemples les plus saisissants.
Prenons d’abord le cas des agences de l’eau. Principaux financeurs de la politique de l’eau en France, ces agences collectent des taxes, ou redevances, dans le respect théorique du principe « pollueur-payeur ». En réalité, ces redevances en sont largement déconnectées, et ceux qui polluent le plus ne sont pas ceux qui paient le plus.
Mon deuxième exemple porte sur le bilan de l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence. Il est, dans les faits, contrasté, plusieurs dispositions du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, dont vous débattez en ce moment, allant dans le sens des préconisations de la Cour sur ce sujet.
La gestion des trains Intercités offre un exemple d’atermoiement entre volonté affichée de réforme et indécision persistante et préjudiciable au service public. La Cour appelle les pouvoirs publics à sortir de l’impasse, pour offrir à ces lignes un horizon pérenne.
Dans un contexte économique difficile, des signes de défiance à l’égard du secteur public sont perceptibles. C’est pourquoi, dans son deuxième message, la Cour veut insister sur l’impératif de rigueur et d’exigence qui s’impose aux agents et aux services publics.
La Cour a voulu rendre publics des cas et des situations qui appellent plus de rigueur et de retenue dans l’usage des deniers publics ou dans les comportements, sans préjudice des irrégularités qu’elle pourra constater et qui pourraient être sanctionnées par ailleurs.
Dans son rapport, la Cour évoque d’abord la mise en place dans le secteur public d’un dispositif importé du secteur privé, qui peut se justifier dans un secteur concurrentiel : l’attribution gratuite d’actions aux salariés de CDC Entreprises, filiale à 100 % de la Caisse des dépôts et consignations.