L'article 3 du projet de loi porte sur l'organisation du service public de l'emploi.
Chacun connaît les dispositions des articles L. 312-1 à L. 312-3 du code du travail dans leur rédaction actuelle, mais je préfère les rappeler au cas où certains les auraient oubliées :
« Art. L. 312-1. - Il ne peut être ouvert de nouveaux bureaux de placement gratuit.
« Art. L. 312-2. - A titre provisoire, jusqu'à une date qui sera fixée par voie réglementaire, les bureaux de placement gratuit créés avant le 24 mai 1945, notamment par les syndicats professionnels, les bourses de travail, les sociétés de secours mutuels et les associations d'anciens élèves sont habilités à continuer leurs opérations sous le contrôle de l'administration s'ils ont obtenu l'autorisation prévue par les dispositions finales du deuxième alinéa de l'article 3 de l'ordonnance n° 45-1030 du 24 mai 1945.
« Art. L. 312-3.- Les modalités du contrôle exercé par l'Etat sur les bureaux de placement gratuit sont déterminées par décret Il en est de même des conditions dans lesquelles certains organismes peuvent être autorisés à fonctionner pour certaines professions comme section ou correspondant du service public de l'emploi. »
L'article 3 du présent projet de loi vise donc à modifier très sensiblement l'organisation du service du placement, en permettant à des personnes de droit privé d'exercer une activité proche de celle de l'ANPE, qui est, depuis la loi du 2 janvier 1973, l'outil du service public du placement.
On notera, à ce stade du débat, que l'activité de placement, simplement soumise à procédure de déclaration administrative, devra être exercée de manière non lucrative - ce qui pose tout de même la question de savoir comment ces officines de placement seront financées -, à l'exception notable des entreprises faisant par ailleurs du conseil en recrutement et de l'insertion professionnelle.
Cela signifie en pratique qu'une partie des personnes privées d'emploi seront la cible de l'activité des cabinets de recrutement, ce qui soulève plusieurs questions de fond, à commencer par celle de savoir si la multiplication des intervenants ne risque pas d'avoir pour seul effet une segmentation de la population aujourd'hui privée d'emploi.
Nous pourrions ainsi avoir demain des cabinets se spécialisant dans le placement des personnes privées d'emploi les plus qualifiées et les plus directement employables, à qui leur parcours de formation ou leur parcours professionnels offrent l'opportunité de trouver rapidement réponse à leur situation temporaire d'inactivité.
A côté, il y aurait des bureaux de placement ouverts par des associations d'insertion, oeuvrant auprès des publics les plus vulnérables, dont les premiers ne voudraient évidemment pas, et qui dépenseraient la dernière énergie à tenter de permettre à quelques jeunes sans emploi de commencer un parcours d'insertion professionnelle.
Enfin, nous aurions l'ANPE, s'occupant du chômeur « médian », ni trop peu ni trop qualifié, ni en difficulté d'insertion majeure, mais dont les premiers ne voudraient pas et dont les seconds n'auraient pas vocation à s'occuper.
En opérant une telle segmentation, calquée sur celle des offres d'emploi elles-mêmes, que l'on peut constater à la lecture des petites annonces d'emploi paraissant dans la presse, on n'est pas certain de faire avancer les choses.
Multiplier les intervenants en matière de placement, c'est multiplier le risque d'un développement de la discrimination à l'embauche, processus fort éloigné - c'est le moins que l'on puisse dire - des missions de l'Agence nationale pour l'emploi.
L'outil du service public de l'emploi reste et demeure l'ANPE. Comme nous avons lieu de craindre que tout cela ne conduise à créer de nouvelles illusions sur la résolution des difficultés d'emploi des chômeurs, nous ne pouvons qu'inviter le Sénat à adopter notre amendement de suppression de l'article 3.