Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 28 octobre 2004 à 15h00
Cohésion sociale — Article 7

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

Avec cet article 7, monsieur le ministre, vous voulez entériner une nouvelle dégradation des droits des précaires en renforçant la surveillance des chômeurs avec, de surcroît, la mise en place de sanctions pécuniaires.

En soi, au vu de la situation dramatique que vivent les précaires, c'est déjà fort condamnable.

Il s'agit, implicitement, de désigner les demandeurs d'emploi comme responsables de leur situation, ce qui avait déjà été insinué par votre prédécesseur, M. Fillon, dans un texte dont je me souviens particulièrement, relatif au revenu minimum d'activité, le RMA.

Une telle insinuation est fausse, et vous le savez pertinemment.

Comme le dit si justement M. Jean Gadrey, professeur émérite à l'université de Lille et animateur du BIP 40, le baromètre des inégalités et de la pauvreté : « Changer de regard sur la pauvreté, c'est combattre les idées qui font porter aux pauvres et aux chômeurs la responsabilité de leur situation, par exemple en prétendant que les minima sociaux et les allocations chômage créent du chômage et de la pauvreté en décourageant la recherche d'emploi et en enfermant les gens dans l'assistance. Quand il manque trois millions d'emplois, si on divisait par deux le RMI et les allocations, on ne créerait pas un emploi, mais on ferait exploser le nombre de pauvres. »

Il est dramatique de faire croire à nos concitoyens que la pauvreté et l'exclusion s'expliqueraient par le fait que les gens refusent de travailler.

Or, au regard de ce que vous prévoyez de leur « offrir » comme emploi - comme occupation, devrais-je dire -, c'est véritablement insupportable.

Vous avez en effet déclaré, monsieur le ministre, au cours d'une interview que vous avez accordée au journal L'Expansion : « Dès mon arrivée au gouvernement, j'ai souhaité lancer deux grands chantiers : le premier relatif à la cohésion sociale et le second consacré aux services à la personne. »

Où se trouve ce gisement d'emplois de service ? Dans les « centres d'appels », selon vous : « Ce sont de vrais métiers, dites-vous, avec des perspectives d'évolution et qui, de surcroît, sont à même de favoriser une notion éminemment à la mode : l'employabilité. »

Il va donc falloir que les demandeurs d'emploi se conforment à votre vision du monde et de l'évolution de la société, qu'ils adhèrent, contraints et forcés, à cette notion « à la mode » ; sinon, gare à eux !

S'ils ne sont pas convaincus, s'ils ne croient pas aux vertus des sociétés conseils, comme celle à laquelle vous vous êtes adressé, Colorado conseil, alors tant pis pour eux !

Pour élaborer une politique de l'emploi à l'échelon national comme pour la mettre en oeuvre, le Gouvernement attend tout du privé.

Je suis pour ma part convaincu que ni ces sociétés ni le MEDEF ne sont à même de remplacer les autres partenaires sociaux et la représentation nationale pour répondre aux situations de précarité extrême que connaissent nos concitoyens.

La pauvreté s'aggrave aussi dans les pays riches, à tel point que la Banque mondiale, peu suspecte de noircir le tableau, écrit : « Il y a eu une sérieuse progression des inégalités dans ces pays [les pays riches], inversant la tendance antérieure des années cinquante à quatre-vingt ».

Monsieur le ministre, vous connaissez bien les Etats-Unis, qui modélisent la démarche que vous proposez. Vous ne pouvez ignorer que c'est le pays qui détient aussi le triste record mondial, toutes catégories confondues, de l'explosion des inégalités.

Nous n'en sommes pas encore à ce point-là en France, bien sûr, mais pourquoi ? Parce que subsistent encore quelques acquis en matière de redistribution et de protection sociale, ce qui freine l'importation des tendances mondiales à l'aggravation des inégalités. Ces acquis sont cependant mis à mal par le gouvernement Raffarin, votre gouvernement. La plupart des indicateurs de pauvreté se sont en effet dégradés et les inégalités, qui avaient globalement diminué entre 1998 et 2001, progressent à nouveau depuis trois ans.

« Depuis le ralentissement de la croissance économique, plusieurs indicateurs permettent de penser que le taux de pauvreté a augmenté », estime l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion dans son dernier rapport.

Cette estimation est confortée par d'autres indices récents. C'est ainsi que le nombre d'allocataires du RMI a progressé de 10, 5 % entre juin 2003 et juin 2004 et que la proportion de pauvres parmi les salariés a nettement progressé. Aujourd'hui, la moitié des pauvres sont des actifs et trois SDF sur dix ont un travail mais ne peuvent pas financer de logement.

D'autres indicateurs vont dans le même sens, comme celui de l'écart d'espérance de vie entre les cadres et les ouvriers : de cinq ans en 1990 - écoutez bien ! -, il est passé à huit ans aujourd'hui.

Au lieu de dévaloriser la politique en faisant appel au tout privé, je suis de ceux qui pensent au contraire qu'il faut revaloriser l'action publique et les politiques sociales : pas des politiques d'assistanat, des politiques sociales. Seules des institutions nationales disposent des moyens politiques d'organiser la redistribution. On a pu calculer qu'en France, sans les prestations sociales, la proportion de pauvres ferait plus que doubler et représenterait 14 % de la population.

Si l'on veut faire reculer la misère, il faut s'attaquer résolument à l'égoïsme des nantis, qui voudraient transformer les victimes en coupables pour faire oublier leurs propres responsabilités, qui sont écrasantes.

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