Madame le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remplace à cet instant M. Philippe Dominati, et je vous prie de pardonner ma compétence médiocre sur le sujet qui nous rassemble. Je m’efforcerai cependant de défendre avec conviction le point de vue de mon collègue, qui représente celui de la commission des finances à laquelle j’ai l’honneur de participer, et aux délibérations de laquelle j’ai été associé.
Nous examinons donc, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, la convention fiscale du 2 avril 2013, conclue entre la France et la Principauté d’Andorre. Ce parcours est assez original pour une convention fiscale. Les conventions fiscales sont en général adoptées dans l’enthousiasme, ou du moins dans la sérénité et l’unanimité. Or ce texte, adopté le 8 décembre dernier par l’Assemblée nationale, a été rejeté le 18 décembre par notre assemblée, conduisant ainsi à l’échec de la commission mixte paritaire du 15 janvier dernier. Voilà pourquoi nous avons à nouveau à examiner ce texte ce matin en séance.
J’évoquais tout à l’heure le fait que, en général, les conventions fiscales sont adoptées en faisant confiance à ceux qui les ont préparées, c’est-à-dire aux hauts fonctionnaires de Bercy. La commission des finances a estimé qu’il fallait aller un peu plus loin. Non pas qu’il ne faille pas adopter une convention fiscale entre Andorre et la France, et non pas qu’il faille contester la bonne volonté de la Principauté à instaurer enfin un système fiscal moderne : un impôt sur le revenu est en effet entré en vigueur à compter du 1er janvier 2015.
La commission des finances ne remet pas non plus en cause, pour l’essentiel, le contenu de la convention fiscale. En effet, les modalités prévues pour l’élimination des doubles impositions, qui est l’objet essentiel de la plupart des conventions de ce type, correspondent aux derniers standards de l’OCDE et forment un dispositif parfaitement satisfaisant. En outre, l’accord est renforcé par une série de clauses anti-abus que nous trouvons bienvenues, destinées à prévenir le contournement de la convention à des fins d’optimisation fiscale.
À ce propos, je dois dire que ma position personnelle est un peu plus nuancée : j’estime que l’ingéniosité des contribuables n’a d’égale que la rapacité des pouvoirs publics, et qu’il se joue entre eux une dialectique permanente qui est un peu celle de l’épée et du bouclier. Quoi qu’il en soit, il est bon que la convention comporte des stipulations visant à éviter son contournement au moyen de l’optimisation fiscale.
Où donc est le problème ? Il réside tout entier dans le d du 1. de l’article 25 de la convention, aux termes duquel « la France peut imposer les personnes physiques de nationalité française résidentes d’Andorre comme si la présente convention n’existait pas ».
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur un risque que ceux d’entre nous qui représentent les Français de l’étranger, particulièrement compétents sur ces questions, n’ont pas manqué de remarquer : cette stipulation permet à la France d’instituer, pour la première fois, une imposition des personnes physiques fondée non pas sur leur résidence ou sur l’origine de leurs revenus, mais sur leur nationalité. Or cette innovation est parfaitement dérogatoire à notre droit interne, aux standards internationaux et aux autres conventions signées par la France.
Il y a bien un pays qui impose les personnes à raison de leur nationalité, quel que soit leur lieu de résidence : les États-Unis. Par ailleurs, le débat sur le principe de l’évolution de notre système fiscal a été ouvert, et il devra se développer. Simplement, la commission des finances considère qu’il doit s’agir d’un débat national, et non d’une discussion au détour de l’examen d’un projet de loi visant à approuver une convention fiscale, fût-ce avec cet héritage médiéval que constitue la Principauté d’Andorre.
La commission des finances a bien entendu les assurances données par le Gouvernement : cette clause, négociée dans un contexte particulier – que je ne connais pas –, n’aurait absolument pas vocation à s’appliquer. La chose est un peu insolite, mais c’est ainsi : selon le représentant du Gouvernement qui s’est exprimé devant l’Assemblée nationale en première lecture, la stipulation en cause est aujourd’hui « sans effet juridique », et « aucun projet […] n’existe » visant à instaurer un impôt fondé sur la nationalité. À entendre le Gouvernement, on croirait presque à une coquille !
Seulement voilà : on lit dans l’exposé des motifs du projet de loi que cette clause « permettrait » – notez le conditionnel ! – « de mettre en œuvre une éventuelle évolution future du champ de la fiscalité française ». La porte est donc entrouverte.
Or, monsieur le secrétaire d’État, si l’engagement du gouvernement auquel vous appartenez vaut pour le présent, la convention fiscale, quant à elle, restera en vigueur pendant plusieurs dizaines d’années, peut-être. Remarquez que nous ne soupçonnons pas le Gouvernement de pouvoir changer d’avis – encore que, pour avoir participé à plusieurs gouvernements, je sache que cela arrive – : nous constatons simplement que la convention devrait s’appliquer pendant des décennies, ce qui ne sera peut-être pas le cas du Gouvernement, en dépit de la volonté légitime de toute entité de persévérer dans son être. Les gouvernements passent, les textes demeurent ! De là l’inquiétude qui nous étreint, nous oppresse… Car les craintes de nos compatriotes de l’étranger ne paraissent pas sans fondement. D’ailleurs, elles pourraient bientôt trouver un écho du côté de nos autres partenaires avec lesquels nous négocions actuellement de nouvelles conventions fiscales.
Si vraiment cette clause n’a pas vocation à s’appliquer, le mieux est de la retirer de la convention ! Un avenant, de fait, serait préférable à un engagement verbal. Andorre, paraît-il, n’y verrait pas d’inconvénient, la clause ayant été introduite à la demande de la partie française, ce que l’on conçoit aisément.
Notre volonté est non pas de compliquer les choses, mais au contraire de les simplifier et de les stabiliser pour l’avenir.
Le Parlement est pleinement dans son rôle en examinant ce projet de loi selon la procédure ordinaire. Débattre de l’approbation d’une convention fiscale n’est pas un exercice purement formel ! Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement nous invite, volontairement ou non, à débattre d’un vrai problème de fond : la fiscalité fondée sur la nationalité ou sur la résidence. Ce débat mérite une ampleur, une transparence et un écho autres que cette convention et son codicille.
C’est pourquoi la commission des finances, fidèle à la position qu’elle a adoptée en première lecture, recommande au Sénat de rejeter le projet de loi autorisant l’approbation de la convention fiscale, cette dernière étant excellente dans son principe général mais entachée par le d du 1. de son article 25.