J’ai eu l’occasion de le dire à l’époque, cette abstention traduit plus une forme de bienveillance diplomatique de notre part que notre sentiment de fond à l’égard de cette convention, sentiment qui nous ferait plus volontiers pencher en faveur d’un rejet pur et simple.
Certains événements qui se sont déroulés depuis décembre n’atténuent en rien, bien au contraire, notre méfiance à l’égard de ce type de convention signée avec tel ou tel micro-État au régime fiscal des plus discutables.
Les écologistes ne sont pas les seuls à s’en méfier, même si les raisons de leur défiance diffèrent de celles qui ont conduit la majorité de cette assemblée à voter contre cette convention.
Certains collègues s’inquiètent en effet de la portée de l’une des clauses de l’article 25, celle qui rend possible une imposition fondée sur la nationalité et non sur la résidence. Cette clause ouvrirait, selon eux, la porte à une imposition systématique par le fisc de notre pays des 2, 5 millions de Français établis hors de France.
Nous découvrons par ailleurs, à la suite de la première visite officielle d’un président du Gouvernement espagnol dans la Principauté, que l’Espagne a approuvé le 8 janvier dernier la signature d’une convention presque en tout point similaire, à l’exception du fait que celle-ci n’envisage aucunement d’imposer les ressortissants espagnols résidant en Andorre sur la base de leur nationalité. J’ai bien conscience, en disant cela, que les mêmes collègues y verront une raison de plus de rejeter cette convention !
Personnellement, je ne pense pas que cette exception au droit fiscal français trahisse une volonté de l’État d’élargir le principe d’imposition selon la nationalité à l’ensemble des Français résidant hors de France. En effet, c’est bien la situation d’Andorre à l’égard de la France qui fait exception, et, reconnaissons-le, ce ne sont pas les quelques mesures d’imposition que le Gouvernement andorran a récemment prises sous la pression qui changent fondamentalement la donne.
Il faut rappeler que la population d’Andorre a tout simplement décuplé en cinquante ans, en dépit d’un très faible taux de natalité. Les non Andorrans représentent près des deux tiers de la population résidante. Les Espagnols et les Portugais en fournissent les principaux contingents.
Si les Français sont moins nombreux, leur nombre s’est fortement accru au fil du temps. Mais c’est surtout le nombre de touristes français dans la Principauté qui a explosé au cours des dernières décennies. Disons-le clairement, ces derniers sont moins attirés par la qualité de l’air et le charmant folklore local que par le différentiel croissant de fiscalité sur les tabacs, les alcools et l’économie touristique entre Andorre et la France !
L’impact touristique de cette fiscalité est, en revanche, moins flagrant avec l’Espagne, où les produits précédemment cités sont bien moins taxés qu’en France. On comprend alors mieux la volonté de nos pouvoirs publics de se « refaire » un peu, si j’ose dire, en imposant nos concitoyens résidant dans ce micro-État.
Mais c’est bien là que cette convention nous gêne ! Certes, le gouvernement andorran est puissant et doté de redoutables négociateurs... Mais les contreparties pour la France aux droits d’exception qui leur sont accordés paraissent quand même bien faibles ! C’est bien connu : vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà !
Et l’erreur de fond, dans tout cela, c’est la nature même de ce type de conventions fiscales que l’on démultiplie à l’envi avec des États-confettis ou quelques îlots inclus dans l’espace européen ou aux bordures de celui-ci, entérinant de fait des pratiques des plus douteuses en matière fiscale, à l’heure où la lutte contre l’optimisation et la fraude devrait être de mise.
Au passage, je rappelle que c’est grâce à la duplication de conventions fiscales bilatérales passées avec des États complices ou trop bienveillants que certains paradis fiscaux avérés ont été officiellement retirés de la liste grise de l’OCDE.
Le récent scandale de l’affaire Swiss Leaks est là aussi pour nous rappeler que la convention passée par la France avec la Suisse – maintes fois révisée – pour éviter les doubles impositions et prévenir la fraude et l’évasion fiscales n’a jamais été d’une très grande efficacité, sinon pour redorer le blason terni de la Confédération helvétique.
En juin dernier, le Conseil d’analyse économique plaidait en faveur d’une harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne, reprenant en cela la proposition faite en janvier 2014 par le président François Hollande de lancer « une harmonisation avec nos plus grands voisins européens à l’horizon 2020 ».
Cela fait des décennies que nous parlons de convergence fiscale au sein de l'Union européenne… Mais qu’avons-nous fait ? Rien, sinon repousser sans cesse cette question à demain : nous procrastinons ! Pis, alors que nous nous sommes fixé des règles drastiques en matière de redressement des comptes publics, alors que la Commission devient chaque jour plus directive concernant les bonnes politiques à mener en matière économique, nous constatons avec le développement sauvage du tax ruling – le système du rescrit fiscal – et autres patent box – ou « boîte à brevets » britannique – que nous divergeons toujours davantage sur le plan fiscal au sein de l’Union !
Et, comble de l’absurde, nous légalisons en Europe l’existence de paradis fiscaux toujours plus nombreux qui, grâce à notre mansuétude, n’en porteront plus officiellement le nom !
Ratifier ce type de convention fiscale bilatérale, comme on nous le demande aujourd’hui, c’est refuser de prendre une partie du problème européen à bras le corps !
(Sourires. – Murmures admiratifs.) Il est donc temps, enfin, de nous réveiller !