Commençons par le constat partagé et l’origine des déséquilibres auxquels les départements doivent faire face. Si je prends l’exemple de l’Yonne, département que je connais bien et que j’ai l’honneur de représenter, la moitié des 400 millions d’euros environ de son budget est constituée de dépenses d’action sociale dont les règles de gestion sont fixées au plan national. Ces prestations sociales se répartissent en quatre quarts, dont le poids est peu ou prou équivalent : la famille et l’enfance, les personnes âgées, l’insertion et les personnes handicapées.
Là où le bât blesse, c’est que l’on constate un différentiel croissant, d’année en année, entre les recettes perçues au titre des compétences sociales transférées et les dépenses à engager. Si je prends le volet insertion-RSA, la crise économique a entraîné une hausse du seul RSA de 9 % en 2013 et de 10 % en 2014. Du coup, le reste à charge pour un département comme l’Yonne s’établit à 17 millions d’euros, soit l’équivalent des montants relatifs au fonctionnement et à l’investissement cumulés dédiés aux collèges... C’est vous dire ce que l’on pourrait faire si une juste compensation était mise en œuvre.
J’ajoute que lorsque le département souhaite amplifier le travail de lutte contre la fraude sociale sur ce volet, afin que chaque euro dépensé le soit utilement, et propose de financer des postes supplémentaires de contrôleur au sein de la CAF, ses représentants sont renvoyés à leurs chères études...
Alors que le Premier ministre a fait ce jour des annonces concernant le RSA et la prime pour l’emploi, nous attendons, monsieur le secrétaire d’État, de l’exemplarité dans ce dossier, surtout si les départements devaient s’en trouver financièrement affectés.
Sur le volet des personnes âgées, par exemple, le reste à charge de l’Yonne s’élève à 20 millions d’euros. Au total, près de 40 millions d’euros de charges sont supportés par le département en lieu et place de l’État, ce qui représente tout de même 10 % du budget global, soit l’équivalent de son plan numérique, alors que ce domaine suscite des attentes très fortes dans nos territoires et que nous pourrions doubler la mise.
Reconnaissez qu’il ne s’agit pas d’une paille et qu’il est déjà miraculeux que les départements aient pu proposer des budgets à même d’absorber cette charge, ce qui s’est fait au prix de révisions drastiques des autres politiques départementales.
Oui, j’en conviens, la décentralisation et ses différentes étapes n’ont pas toujours été accompagnées par le transfert des meilleures recettes. Il est évident que le dynamisme de celles-ci n’était pas forcément à la hauteur, je pense notamment à la TIPP. Et si les fractions de TIPP sont ajustées régulièrement en loi de finances, c’est plus pour couvrir le coût historique constaté par l’État que pour tenir compte du coût réel décaissé. Le Parlement s’est toujours montré ingénieux quand il s’est agi de trouver des rustines… Le FMDI, le fonds de mobilisation départementale pour l’insertion, est né dans cette enceinte, et les fonds de péréquation divers et variés qui ont été évoqués permettent d’apporter une petite poire pour la soif, mais ces dispositifs ne sont pas à la hauteur des enjeux ni des écarts.
Cela étant, par souci d’équité, il faut reconnaître que ce mode de compensation est celui qui prévaut depuis la mise en place de l’acte I de la décentralisation sous le gouvernement de Pierre Mauroy.
Il suffit d’ailleurs de comparer la dotation perçue par les départements pour les collèges et les sommes effectivement dédiées à cette politique à périmètre constant pour voir que le mal était déjà en germe. Dans le cas de l’Yonne, la dotation de l’État attribuée aux collèges s’élève à 1, 6 million d’euros, soit une somme équivalente à celle qui était versée en 1982, alors que les dépenses, elles, s’établissent à 7, 3 millions d’euros en 2013 : on passe du simple au quadruple…
Certes, la compensation des transferts et extensions de compétences est un principe à valeur constitutionnelle depuis la réforme du 28 juin 2003. Mais si notre ancien collègue Daniel Hoeffel avait été plus écouté lors des débats sur la loi organique relative à l’autonomie financière des collectivités territoriales, peut-être n’en serions-nous pas là !
En effet, la rédaction de ce texte législatif qui a été adopté en 2004 restait en deçà des ambitions que nourrissaient alors le Sénat et un certain nombre d’associations représentant les collectivités. Une conséquence de cette situation est que le Conseil constitutionnel peut veiller au respect des dispositions de l’article 72-2 de la Constitution sans que cela empêche l’accroissement du décalage financier bien réel entre les recettes affectées à ces transferts et les charges croissantes que doivent supporter les départements – au point que, d’une certaine manière, le principe de libre administration des collectivités tend à perdre de son sens.
Naturellement, la crise à laquelle nous faisons face depuis 2008 n’a pas arrangé les choses, puisqu’elle a provoqué un véritable affaissement des recettes – je pense notamment à la forte chute des DMTO. Il en a résulté pour les collectivités un effet de ciseaux qui devient aujourd’hui insupportable et qui oblige à réduire la voilure en matière d’investissements.
Or, lorsqu’on sait que les collectivités locales représentent 70 % de la commande publique, on mesure toute l’incidence que cette situation peut avoir sur un certain nombre de filières économiques et donc sur de nombreux emplois locaux, qui se retrouvent sur la sellette.
De surcroît, les départements n’ont quasiment plus de base fiscale sur laquelle prendre appui. Non seulement dotations et recettes ne sont pas au rendez-vous, mais, en outre, monsieur le secrétaire d’État, l’État fait peser sur les collectivités un effort trop important en matière de redressement des comptes publics.
Dans ces conditions, que reste-t-il du discours prononcé en 2012 à Dijon par François Hollande, qui, avec des trémolos dans la voix, assurait aux élus locaux qu’il n’y aurait « pas de baisse des dotations » ? Eh bien, nous voilà réduits, si je puis m’exprimer ainsi, à payer la chambre !
Les seuls départements vont devoir supporter une baisse de 1, 5 milliard d’euros de dotations en 2015 et la DGF a déjà diminué de 3, 3 % en 2014. Tout cela n’est pas de bon augure pour le dynamisme de nos territoires.
Je connais l’antienne, entonnée par quelques beaux esprits, appelant, je cite la vulgate, à freiner les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales, comme le préconise effectivement la Cour des comptes dans son rapport du mois d’octobre 2013. Mais, dans ce cas, il faut cesser de transférer aux collectivités nombre de missions que l’État n’est plus en mesure d’assumer ou de financer ! Les départements, les communes et les intercommunalités sont réduits aux rôles de voitures-balai de la République et de l’État !
Je prends l’exemple de la fin de l’instruction des documents d’urbanisme par les directions départementales des territoires. Pour la communauté de communes du Gâtinais en Bourgogne, que je connais bien, cela l’oblige à financer un équivalent temps plein supplémentaire !