… a permis des avancées majeures pour améliorer le repérage de la maltraitance.
Elle a notamment introduit dans notre droit la notion d’« information préoccupante » et créé dans chaque département les cellules de recueil, d’évaluation et de traitement des informations préoccupantes, plus connues chez les spécialistes sous le nom de CRIP, ouvrant ainsi la possibilité d’intervenir dès le risque de danger.
Ces dispositions permettent aux médecins, comme aux autres professionnels, d’échapper à un véritable dilemme, dénoncer ou se taire, pour ouvrir une troisième voie, celle qui consiste à partager une préoccupation avec des professionnels formés, à qui il revient de procéder à une évaluation pluridisciplinaire des situations de danger ou de risque de danger.
La loi de 2007 donne de surcroît un cadre légal au partage d’informations concernant « les mineurs en danger ou qui risquent de l’être », aménageant ainsi le secret professionnel.
Pour accompagner les médecins et conforter les dispositions de la loi de 2007, la Haute Autorité de santé a communiqué, le 17 novembre dernier, ses recommandations à l’attention des professionnels de santé, afin de mieux repérer les cas de maltraitance infantile. Elle a présenté des outils très opérationnels pour les médecins, tels qu’un modèle type de signalement ou de certificat médical sur demande spontanée. La HAS a également rappelé, à cette occasion, que la protection de l’enfant est un acte médical et une obligation légale.
Un professionnel de santé a, comme n’importe quel citoyen, l’obligation de porter assistance à une personne en danger, comme le précise l’article 223-6 du code pénal. Les sanctions que peuvent encourir les professionnels de santé qui n’auraient pas satisfait à cette obligation sont très lourdes : cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende en cas d’inculpation pour non-assistance à personne en danger ; trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende en cas d’inculpation pour non-dénonciation de crime.
La loi est ainsi à la fois protectrice et incitatrice. Pour autant, les chiffres évoqués précédemment et communiqués par le Conseil national de l’ordre des médecins nous disent qu’il faut encore avancer.
Les freins aux signalements par les médecins sont de nature diverse, comme le souligne la HAS.
Il faut citer d’abord le manque de formation aux questions de maltraitance. Sur ce point, je vous invite à visionner le court-métrage réalisé pour la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains, la MIPROF, en ligne sur le site stop-violences-femmes.gouv.fr, et qui montre bien comment nos professionnels peuvent agir, tout en respectant les obligations liées au secret professionnel.
Ensuite, vient la méconnaissance des procédures légales.
En outre, les représentations idéalisées de la famille, naturellement bonne et protectrice, ou encore les relations interpersonnelles qui s’instaurent entre la patientèle et le médecin de famille sont autant d’autres freins aux signalements.
Enfin, la crainte d’un signalement abusif, qui est l’objet de notre discussion d’aujourd’hui, ou encore l’absence d’information en retour du signalement n’incitent pas le médecin à agir.
C’est pourquoi je fais mienne la préoccupation des parlementaires à l’origine de cette proposition de loi, qui souhaitent encourager les médecins à partager leurs inquiétudes quand ils craignent un danger pour un enfant rencontré dans leur exercice professionnel.
J’ajoute que, pour être efficaces, les réponses devront être plurielles. On doit sans doute rassurer les médecins en tenant compte de leurs préoccupations et modifier l’article 226-14 du code pénal pour préciser encore – si c’était nécessaire - que la transmission d’informations à la CRIP ou les signalements au procureur d’une situation de danger pour un enfant ne peuvent se traduire par une condamnation au titre de l’article 226-13 du code pénal.
Il faut également profiter de ces modifications pour rappeler les dispositions de la loi du 5 mars 2007 sur les conditions de l’échange d’informations à caractère secret.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous devrons même aller plus loin en encourageant dans les pratiques les liens entre les conseils départementaux de l'Ordre des médecins et les observatoires départementaux de la protection de l’enfance.
Il est aussi nécessaire de mieux faire connaître les procédures à suivre en cas de doute, pour favoriser la remontée des informations préoccupantes transmises par les médecins. De ce point de vue, les expériences des départements montrent que la présence d’un médecin au sein de la CRIP est réellement facilitatrice.
L’article 4 de la proposition de loi rédigée par les sénatrices Michèle Meunier et Muguette Dini, modifié par un amendement du Gouvernement, vise d’ailleurs à généraliser cette pratique, comme le recommande la Haute Autorité de santé dans son rapport. Cette proposition de loi, les spécialistes de la question la connaissent par cœur, puisqu’elle reviendra dès demain devant vous, et ce pour la troisième fois, pour la fin de son examen en première lecture au Sénat.
Je le disais au début de mon propos, nous devons saisir chaque occasion qui nous est offerte de parler de protection de l’enfance. Le Sénat – qu’il en soit remercié ! – nous donne cette semaine deux chances de sortir cette politique publique de l’ombre et il faut les saisir. Je m’en réjouis d’autant plus que les objectifs convergent, indépendamment des appartenances politiques, sur des sujets aussi fondamentaux que la protection de l’enfance.
Ces réflexions s’inscrivent dans la perspective de l’amélioration des missions de l’enfance et trouveront leur traduction, d’abord dans la loi. Mmes Meunier et Dini ont fourni un formidable travail d’évaluation de la loi de 2007 avant d’aboutir à la rédaction d’une proposition de loi commune. Les dispositions de la proposition de loi de Mme Colette Giudicelli auraient d’ailleurs trouvé toute leur place au sein de l’approche globale de ses collègues sénatrices, et je regrette un peu que nous n’ayons pas eu l’occasion de discuter de ce texte comme amendement à la proposition de loi Meunier-Dini qui est en cours d’examen. Mais deux assurances valent mieux qu’une, même en légistique !