Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte déposé par Mme Colette Giudicelli et plusieurs de ses collègues vise à renforcer le rôle des médecins dans leur mission de protection des mineurs victimes de violences.
Est ainsi introduite dans le code pénal une obligation de signalement pour tous les médecins, signalement qui ne pourra pas engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire.
Face aux faits de violence, de viols, de mauvais traitements sur des mineurs que les médias nous rapportent quotidiennement, l’intention des auteurs de cette proposition de loi est louable.
À chaque fois, la même question se pose : pourquoi ces drames n’ont-ils pas fait l’objet de signalement plus tôt ?
Cette maltraitance, longtemps méconnue, souvent cachée, ignorée, y compris au sein des familles, nous interpelle tous.
Elle concerne tous les citoyens, et pas seulement les médecins, les professionnels de santé ou les acteurs sociaux. Et a posteriori, on peut, à juste titre, s’offusquer de faits récurrents et répétitifs qui se déroulent pendant des années sans que personne n’ose en parler. Les voisins, les proches, étaient-ils ou non au courant ?
La maltraitance est un problème massif de santé publique dont les conséquences se retrouvent des années plus tard, quand les victimes atteignent l’âge adulte, notamment dans les cas de sévices sexuels.
Les enfants maltraités seront davantage exposés à divers troubles comportementaux, physiques ou psychiques : désordres affectifs, mais aussi troubles du comportement, penchants pour des actes violents, dépression, toxicomanie, désocialisation.
Il n’est que de lire les comptes rendus d’audience des cours d’assises pour constater la fréquence d’un passé familial douloureux parmi les accusés ! Cela ne peut, en aucun cas, être une excuse, mais cela peut expliquer certaines dérives.
Combien de personnes adultes traînent en silence ce boulet d’une maltraitance subie dans l’enfance ou l’adolescence ? Ainsi, dans un certain nombre de cas, l’absence de signalement de la part des proches, de la famille, des médecins – pédiatre ou médecin de famille – a pu jeter l’opprobre sur ces victimes.
Face au problème de signalement, il est certain qu’il fallait exonérer les médecins de sanctions. C’est ce que la loi du 2 janvier 2004 relative à la protection de l’enfance a instauré. Est-ce suffisant ? Pour les auteurs de la proposition de loi, probablement pas !
Comme le souligne Adeline Gouttenoire dans son rapport d’avril 2014, « le domaine médical est un maillon particulièrement important de la protection de l’enfance ». La maltraitance commence en effet souvent aux premiers instants de la vie, à un moment où l’enfant est pourtant suivi assez régulièrement par des professionnels de santé. Néanmoins, comme cela a été rappelé, seulement 5 % des signalements émanent du corps médical.
Cela s’explique par la crainte d’être poursuivi ou de perdre contact avec la famille, auquel il faut ajouter l’absence de suites données à un certain nombre de signalements par les autorités compétentes. Autre facteur d’explication, l’absence de formation dans le cursus universitaire. Effectivement, 5 % de signalements, c’est bien peu pour ceux qui sont appelés à veiller sur l’enfant ou l’adolescent !
Les auteurs de la proposition de loi considèrent que le dispositif actuel n’est « pas suffisant pour protéger les victimes mineures et encourager les médecins à signaler les violences ». Ils rappellent par ailleurs qu’il existe une obligation, pour les médecins fonctionnaires, de signalement de tout acte de maltraitance en vertu de l’article 40 du code pénal. D’où cette proposition de légiférer pour étendre cette obligation à tous les médecins, avec la suppression de l’accord de la victime pour les majeurs.
Je veux le répéter, nous sommes tous conscients de la gravité de ces problèmes. À l’instar du rapporteur, je considère toutefois que le texte proposé initialement était d’application délicate. Le rapporteur l’a parfaitement expliqué, imposer une obligation de signalement n’est pas judicieux.
Aussi, le texte qui nous est proposé par la commission apporte des précisions utiles à la loi de 2004. Sans modifier au fond le droit en vigueur, il le rend plus lisible en affirmant explicitement que le médecin qui signale en toute bonne foi une présomption de maltraitance n’encourt aucune sanction, quelle qu’elle soit.
Le texte prévoit également la possibilité pour le médecin de saisir la CRIP. C’est certainement une bonne chose, sachant que les médecins hésitent bien souvent à saisir l’autorité judiciaire.
Enfin, la commission a souhaité renforcer la formation des professionnels pouvant être confrontés à des situations de maltraitance. Nous avons bien conscience de la nécessité d’une formation, actuellement très insuffisante, mais il faudra trouver une place dans les programmes de formation !
Pour avoir personnellement exercé pendant plus de dix ans en chirurgie infantile, je peux attester qu’il faut agir avec précaution sur ces suspicions de maltraitance, même si, en milieu hospitalier, l’approche est peut-être plus facilement collégiale. La question est plus délicate pour le médecin généraliste isolé. Et une meilleure formation me semble prioritaire. N’imposons cependant pas au médecin des contraintes trop lourdes ! C’est la raison pour laquelle, sur ce texte, je suivrai, avec les membres de mon groupe, la commission.