Quels sont les principaux freins qui expliquent ces constats ? Le plus souvent, c’est la crainte d’être poursuivi pour dénonciation abusive, mais c’est aussi la méconnaissance du phénomène de maltraitance par les médecins eux-mêmes, si curieux que cela puisse paraître pour nous qui n’exerçons pas cette profession.
Pour lutter contre ce dénominateur commun qu’est la peur – peur de la victime à désigner ses maux, peur du médecin à les dénoncer –, la confiance et la protection doivent être renforcées de part et d’autre, de manière à briser le silence et à libérer la parole.
Rendre obligatoire le signalement – j’espère que l’auteur de la proposition de loi ne m’en voudra pas de le dire ! – conduirait, me semble-t-il, à une situation de confusion, voire d’extrême confusion. En effet, de peur de voir sa responsabilité engagée, le médecin serait contraint de signaler le moindre fait. Et, devant l’afflux de signalements, il deviendrait très difficile pour le procureur d’identifier les situations particulièrement dangereuses et donc prioritaires.
Comme l’a relevé notre rapporteur, la gravité de la situation ne justifie pas toujours l’urgence. Une telle obligation serait, il faut le dire, incompatible avec les principes de la déontologie médicale, qui imposent au médecin de faire preuve de prudence, de circonspection et d’apprécier chaque situation en toute conscience.
Selon le dernier sondage de l’association L’Enfant bleu, 60 % des victimes ont gardé secrète leur maltraitance.
Pour lutter contre la peur qui réduit les victimes au silence, le lien de confiance unissant le médecin à son patient doit être solide et indéfectible. Une victime sera d’autant plus réticente à aller consulter si elle est consciente du fait que son médecin peut procéder à un signalement contre son gré.
Par ailleurs, chacun comprend bien que l’obligation de signalement fragiliserait ainsi encore plus les victimes mineures ou incapables et risque de les mettre en danger si les auteurs des sévices hésitent à présenter leur enfant à un médecin par crainte d’être dénoncés.
Parce que les médecins doivent aussi se sentir en confiance, l’affirmation claire de l’irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire du médecin est essentielle.
Il y a eu, c’est vrai, une accumulation de poursuites judiciaires et disciplinaires pour des cas de signalement erroné. Il est donc très important de réaffirmer cette irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire. La réaffirmer, c’est aussi confirmer notre confiance en la profession médicale.
Cependant, la crainte de poursuites n’est pas l’unique facteur restrictif en la matière, car le médecin est souvent placé devant un cas de conscience. L’impact humain et social d’un signalement est lourd. Il peut conduire, en cas d’erreur – toujours possible, en la matière – à la destruction d’une famille ou de la carrière professionnelle de la personne soupçonnée.
D’où l’importance de renforcer la formation au repérage des signes de maltraitance afin d’atténuer les doutes et les hésitations des médecins et de les aider à établir leur diagnostic.
Le signalement, qui est un devoir déontologique, doit donc être conçu comme un soin à part entière, enseigné comme tel dans les universités de médecine.
C’est une avancée majeure qui est proposée par ce texte. Elle était attendue et réclamée par la Haute Autorité de santé et le Conseil national de l’ordre des médecins.
Encourager la parole des médecins, c’est aussi comprendre leur cadre de travail et s’adapter à leurs contraintes. Or, on le sait, ils se montrent réticents à s’adresser directement à l’autorité judiciaire.
Permettre aux médecins de solliciter directement la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, avec laquelle ils sont plus généralement enclins à dialoguer, favorisera sans aucun doute leur intervention.
Enfin, le médecin de famille, de par la stature qu’il a et la confiance qu’il est censé inspirer, n’est paradoxalement pas toujours le mieux placé pour procéder à un signalement. D’où l’importance d’associer d’autres acteurs à cette procédure, afin de permettre la montée en puissance de l’identification des cas.
Je salue donc l’initiative qui permet à l’ensemble du personnel paramédical et aux auxiliaires médicaux d’être aussi couverts par l’immunité pénale en cas de violation du secret professionnel.
Vous l’aurez compris, pour le groupe UDI-UC, l’esprit du texte lui-même et toutes les modifications introduites en commission vont dans le bon sens. C’est la raison pour laquelle nous voterons la proposition de loi sans aucune hésitation.