Intervention de Elisabeth Doineau

Réunion du 12 mars 2015 à 9h00
Suppression des franchises médicales — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 a été rétrospectivement le premier round d’un débat portant sur les franchises médicales.

La position que je vais exprimer ici a donc été portée par le groupe UDI-UC, en novembre dernier.

En effet, les députés avaient inséré dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, sur proposition gouvernementale, un article 29 bis – devenu l’article 42 de la loi – qui exonérait des participations forfaitaires et des franchises les bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, l’ACS.

Le même principe sous-tend la proposition de loi du groupe CRC, à la différence près que celle-ci a une visée beaucoup plus large que l’amendement gouvernemental d’alors.

À la suite de l’adoption définitive du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 par l’Assemblée nationale, en décembre 2014, les franchises seront supprimées pour les bénéficiaires de l’ACS à partir du 1er juillet 2015.

Cette mesure a un coût. Elle doit entraîner une perte de recettes estimée par le Gouvernement à 38 millions d’euros en année pleine et à 20 millions d’euros en 2015.

Elle complète l’alignement du dispositif ACS sur celui de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, dont les bénéficiaires sont déjà exonérés des participations forfaitaires.

Comme le signalait en novembre dernier Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales, avec cette disposition, « un peu plus de 6 millions de personnes seraient exonérées des participations selon des critères de revenus (5, 1 millions au titre de la CMU-C et 920 000 au titre de l’ACS) ».

Il poursuivait : « Si l’on ajoute à cela le fait que les mineurs (environ 15 millions de personnes) sont également exonérés des participations, c’est donc un tiers de la population française qui est exonérée de ces charges. Par ailleurs, du fait d’exonérations touchant certains actes pris en charge par l’assurance maternité […], 2 milliards d’actes sur les 3, 6 milliards entrant dans le champ de la franchise […] en sont exonérés. »

Quelle est donc la pertinence de maintenir des franchises dont l’assiette est devenue extrêmement mitée ? Tout le monde peut constater que ce système est devenu inéquitable.

C’est pourquoi le groupe CRC propose la suppression pure et simple des franchises et participations forfaitaires.

Pour autant, est-ce la bonne solution ? Notre groupe ne le pense pas. En réalité, autre chose de plus fondamental sous-tend cette proposition : c’est l’idée que plus le tiers payant avance, plus les franchises reculent. Le tiers payant complique la collecte des franchises.

Or, nous le savons, le Gouvernement envisage la généralisation du tiers payant dans le prochain projet de loi relatif à la santé. Ainsi, cela signifie-t-il, à terme, la suppression des franchises médicales ? Peut-être, mais cela ne doit pas se faire de la manière dont elle nous est présentée aujourd’hui, c’est-à-dire d’un trait de plume, au détour d’une proposition de loi sénatoriale.

Pourquoi ? Deux arguments peuvent être avancés.

D’une part, il s’agit d’une question de forme. Il n’est de bonne politique de suppression des franchises médicales qu’à partir du moment où l’on a préalablement généralisé le tiers payant. Il faut bien comprendre que c’est l’extension du tiers payant aux bénéficiaires de l’ACS qui a eu pour conséquence l’exonération des franchises pour ces publics. Respectons donc le parallélisme des formes par rigueur intellectuelle.

D’autre part, il existe un argument de fond, le plus fondamental. Il est question de supprimer les franchises, sans s’interroger sur leurs raisons d’être.

Nous le savons, il s’agit de responsabiliser le patient. Mais, bien sûr, cette responsabilisation ne doit pas conduire à lui faire supporter un reste à charge trop important. Il nous incombe donc de définir un juste équilibre entre responsabilisation et reste à charge.

Ainsi, la franchise médicale est intrinsèquement liée au reste à charge. Il est difficile de supprimer ce mode de responsabilisation sans réfléchir à d’autres modes de responsabilisation dans le cadre d’un tiers payant généralisé. En outre, il n’est pas possible d’éluder la question du reste à charge, qui se révèle être le véritable problème aujourd’hui.

Certains restes à charge particulièrement élevés sont dus aux dépassements d’honoraires. Ces derniers s’élèvent à 2 milliards d’euros par an sur 18 milliards d’euros d’honoraires en totalité. Les deux tiers de ces dépassements sont à la charge directe des ménages.

Ces chiffres ont fortement augmenté cette dernière décennie, malgré une légère diminution depuis deux ans. C’est sur ce sujet qu’il faut agir.

C’est pourquoi le groupe UDI-UC, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, avait déposé un amendement visant à relever à 150 % du tarif opposable le plafond de remboursement des dépassements d’honoraires par les complémentaires.

Le fait que le Gouvernement entende lutter contre les dépassements d’honoraires via son décret sur les « contrats responsables » va dans le bon sens. Néanmoins, il limitera à terme les remboursements des dépassements d’honoraires par les complémentaires santé à un seuil de 100 % du tarif de responsabilité. C’est très bas.

Ce système risque de créer une médecine à deux vitesses : les dépassements d’honoraires sont souvent supérieurs aux plafonds envisagés par le décret. Cela est régulièrement constaté chez les trois spécialités les plus sollicitées – les gynécologues, les pédiatres et les ophtalmologistes –, qui totalisent 40 % des actes.

Ainsi, alors que le but était de diminuer les honoraires, ce sont les restes à charge pour le patient qui vont s’accroître, ce qui aura pour conséquence de réduire l’accès aux soins des Français. Les plus favorisés pourront s’acquitter du reste à charge ou se doter d’une surcomplémentaire ; les autres, dont les classes moyennes, feront le terrible choix de ne plus se soigner, faute de moyens.

Ce décret créera également des disparités territoriales puisque la plupart des dépassements d’honoraires se concentrent dans les grandes métropoles et en Île-de-France.

Il est donc nécessaire de relever le plafond de remboursement des dépassements d’honoraires par les mutuelles pour réduire le reste à charge des patients. Le niveau de 150 % correspond au seuil à partir duquel les dépassements sont jugés excessifs par la convention médicale du 25 octobre 2012.

Enfin, le Sénat, par la voix de son rapporteur général, proposait en novembre dernier une réforme portant sur une évaluation plus rigoureuse du prix des médicaments, menée par la Haute Autorité de santé. Une tarification au plus juste des médicaments permettrait une optimisation des remboursements, tout en réduisant le reste à charge pour les patients.

Ainsi, le groupe UDI-UC ne partage pas l’avis du groupe CRC de supprimer d’un trait de plume les franchises médicales et les participations forfaitaires. Par ailleurs, il aurait été plus opportun d’étudier cette question dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la santé, lors du débat sur la généralisation du tiers payant. Nous ne voterons donc pas cette proposition de loi.

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