Intervention de Catherine Di Folco

Réunion du 17 mars 2015 à 14h30
Adaptation de la société au vieillissement — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Catherine Di FolcoCatherine Di Folco :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le vieillissement est un véritable défi pour nos sociétés contemporaines, dans lesquelles la part de la population âgée ne cesse de croître. On les appelle les « anciens », les « seniors », les « personnes âgées », les « âgés », autant de dénominations qui témoignent de tentatives illusoires de proposer une vision unique d’une réalité aux visages multiples.

Du jeune retraité actif à la personne en perte d’autonomie jusqu’à celle privée de sa capacité, autant de situations différentes qui nécessitent une prise en compte adaptée. Aussi l’élaboration d’une politique du vieillissement cohérente, comme le propose le présent projet de loi, est-elle une démarche ambitieuse qui mérite d’être saluée.

Si ce texte a été renvoyé au fond à la commission des affaires sociales, la commission des lois s’est saisie de onze articles relevant directement de sa compétence en matière non seulement de droit de la copropriété et de lutte contre les discriminations, mais surtout de droit civil, de droit pénal, de droit de la nationalité, ou de procédure et organisation judiciaires.

Je tiens à souligner la qualité de la méthode de travail mise en place par nos deux commissions et à remercier les rapporteurs, MM. Georges Labazée et Gérard Roche, de m’avoir conviée aux auditions qu’ils ont organisées.

D’une manière générale, la commission des lois a partagé les ambitions et les objectifs de ce texte et, sur de nombreux points, les analyses des deux commissions ont convergé.

Il en est ainsi des modifications apportées à l’article 15 relatif aux résidences-services pour seniors en copropriété, dites de première génération. La commission des lois a considéré que, pour répondre aux difficultés de gestion importantes de quelques copropriétés identifiées, il n’était pas opportun de bouleverser le statut applicable à l’ensemble de ces résidence-services.

La commission des affaires sociales a partagé cette analyse, puisqu’elle a adopté la plupart des amendements déposés par la commission des lois sur cet article ; ses rapporteurs ont en outre présenté plusieurs amendements identiques.

J’émettrai cependant un léger regret concernant le rejet de notre amendement visant à assouplir les règles de vote applicables aux décisions de suppression de ces services lorsqu’ils mettent la copropriété en difficulté, leurs conditions de suppression ayant été malencontreusement durcies depuis l’adoption de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR.

Les deux commissions ont ensuite choisi de supprimer l’article 19 A, introduit par l’Assemblée nationale et visant à créer un nouveau cas de discrimination pour perte d’autonomie. Elles ont estimé que ces situations étaient déjà couvertes au titre des discriminations en raison de l’âge ou du handicap.

De même, les deux commissions ont considéré que la mise en place d’une obligation de renouveler les mandats de protection future tous les cinq ans, prévue à l’article 27 bis dans sa rédaction initiale, était inadaptée. Si cette disposition partait d’une intention louable - s’assurer qu’un mandat conclu plusieurs années avant sa mise en œuvre était toujours conforme à la volonté du mandant -, la commission des lois s’est inquiétée de l’effet dissuasif qui pourrait découler de cette obligation, en raison de sa lourdeur pour un mandant vieillissant et de son coût éventuel.

La commission des lois était allée plus loin, en proposant également la suppression des dispositions relatives à l’enregistrement de ces mandats au fichier central des dispositions de dernières volontés. Cette suppression n’était proposée qu’à titre conservatoire. En effet, dans son principe, la commission des lois s’était montrée favorable à l’enregistrement de ces mandats, à condition qu’ils ne soient accessibles qu’aux notaires, aux avocats et aux magistrats.

En revanche, elle avait estimé que le choix du fichier central des dispositions de dernières volontés comme support de cet enregistrement n’était pas pertinent, d’un point de vue non seulement symbolique, mais également technique et juridique.

La commission des lois est donc favorable à l’amendement déposé par le Gouvernement à l’article 27 bis prévoyant la création d’un fichier spécifique.

Enfin, outre l’adoption d’amendements visant à apporter des précisions ou des clarifications juridiques à divers autres articles, la commission des affaires sociales a partagé l’analyse de la commission des lois concernant les habilitations à réformer par ordonnance l’ensemble de l’organisation du contentieux de l’aide sociale, prévues à l’article 55.

Elle a adopté l’amendement que nous avions déposé réduisant le champ des ordonnances à la fixation des règles de composition des commissions départementales d’aide sociale et de la commission centrale d’aide sociale, répondant ainsi aux censures du Conseil constitutionnel pour défaut de garanties d’indépendance et d’impartialité des membres de ces juridictions. Elles pourront de ce fait recommencer à fonctionner normalement rapidement.

En revanche, la commission des lois a considéré que la réforme d’ensemble de l’organisation du contentieux de l’aide sociale posait des questions de principe importantes, loin d’être tranchées, et méritait un véritable débat qui aurait toute sa place lors de l’examen du projet de loi relatif à la justice du XXIe siècle. Elle a donc proposé à la commission des affaires sociales, qui l’a suivie, de supprimer ces habilitations.

Deux points auxquels votre commission des lois est attachée restent néanmoins en suspens. Ils font l’objet de deux amendements que je vous présenterai au moment de la discussion des articles.

Il s’agit en premier lieu du nouveau cas d’incapacité de recevoir prévu par l’article 23 du présent texte, pour les intervenants à domicile dans le cadre de services à la personne. Comme pour les articles 15 et 27 bis, les travaux de la commission des lois ont été guidés par la volonté de mettre en place des moyens adaptés aux objectifs poursuivis. À l’article 15, cela s’est traduit par la volonté de ne pas déstabiliser l’ensemble des résidences-services à la suite de difficultés de gestion, parfois très médiatisées, rencontrées par certaines structures seulement. À l’article 27 bis, une obligation qui risquait, à l’inverse de l’objectif attendu, de dissuader les personnes de recourir aux mandats de protection future a été supprimée.

La logique est la même pour l’article 23. Pour protéger le patrimoine des personnes âgées contre le risque de captation ou d’abus d’influence, certaines affaires médiatisées ayant pu défrayer la chronique, l’article 23 du projet de loi tendait à créer un nouveau cas d’incapacité de recevoir des donations ou des legs à l’encontre de l’ensemble des intervenants à domicile au titre des services à la personne, à l’exception des gardes d’enfant.

La commission des affaires sociales a tenté de circonscrire le champ de cette interdiction, bien trop large, en la limitant à l’assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées ou aux autres personnes ayant besoin d’une aide à leur domicile ou d’une aide à la mobilité. Toutefois, cette solution n’est toujours pas satisfaisante. Outre le fait qu’elle ne permet pas d’empêcher les libéralités d’un senior au profit d’une personne effectuant des tâches ménagères ou familiales à son domicile, ce qui était pourtant la situation qu’entendait couvrir l’article 23 dans sa rédaction initiale, cette disposition reste attentatoire à la liberté des personnes de disposer de leurs biens.

Le principe de cette liberté est posé à l’article 902 du code civil, qui dispose que « toutes personnes peuvent disposer et recevoir soit par donation entre vifs, soit par testament, excepté celles que la loi en déclare incapables. » La loi peut donc fixer des exceptions à ce principe. Cependant, celles-ci doivent être strictement limitées, car, hors les cas de placement sous tutelle ou curatelle, les personnes qui se voient ainsi privées de la liberté de disposer de leurs biens ne sont pas des personnes déclarées incapables.

Or, en application de ce nouveau cas d’interdiction de recevoir et, donc, de donner, toute personne âgée ou handicapée en pleine possession de ses capacités mentales ne pourrait plus disposer librement de son patrimoine.

Introduire une telle disposition dans un texte qui vise à lutter contre les discriminations à l’égard des personnes âgées, à changer le regard de la société sur les seniors et à favoriser leur autonomie pose véritablement question.

Cette interdiction est un pas en arrière, puisqu’elle prive d’une partie de leur liberté les seniors et les personnes handicapées, sans aucune prise en compte de leur état de vulnérabilité, du seul fait qu’elles sont âgées ou handicapées. Cette mesure est-elle proportionnée ? Je ne le pense pas. La commission des lois a donc déposé un amendement de suppression de l’article 23.

Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne l’article 28 bis, qui vise à créer un nouveau cas d’acquisition de la nationalité française par déclaration au bénéfice de personnes étrangères âgées de soixante-cinq ans au moins qui résident régulièrement et habituellement en France depuis au moins vingt-cinq ans, ascendantes directes de Français.

La commission des lois s’est attachée, dans ses travaux, à préserver le temps d’une réflexion nécessaire s’agissant de certains sujets sensibles. Il en a été ainsi de la suppression des habilitations à réformer par ordonnance l’organisation du contentieux de l’aide sociale à l’article 55. Le raisonnement tenu est le même s’agissant de l’article 28 bis.

Selon les estimations avancées, entre 80 000 et 100 000 personnes seraient concernées par ce nouveau cas d’acquisition de la nationalité française par déclaration. Cette réforme est importante et touche un sujet sensible. Dans le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur les immigrés âgés, dont est tiré l’article 28 bis, le rapporteur écrivait d’ailleurs qu’il était « conscient de l’ampleur de la proposition », et reconnaissait que son introduction à très court terme paraissait « peu envisageable ». Il estimait que légiférer dans la précipitation sur un sujet aussi sensible serait une erreur.

Cette position était également celle du rapporteur de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Mme Pinville, qui avait émis un avis défavorable, non suivi, sur cette disposition, estimant que, sur le fond, la proposition était intéressante, mais qu’un tel sujet ne pouvait pas être évoqué par la voie d’un amendement déposé sur un projet de loi concernant le vieillissement. Cette question aurait mérité une approche plus globale.

C’est également la position de la commission des lois, qui vous proposera, mes chers collègues, un amendement de suppression de l’article 28 bis. Il s’agit non pas de rejeter sur le fond cette disposition, mais plutôt de choisir un support adapté à sa discussion. L’examen du projet de loi relatif au droit des étrangers, déposé à l’Assemblée nationale le 24 juillet dernier, pourrait être un véhicule adapté.

Par conséquent, au bénéfice de l’ensemble de ces observations, et sous réserve du maintien des modifications introduites dans le texte de la commission des affaires sociales sur sa propre initiative et de l’adoption des deux amendements que je vous présenterai, la commission des lois a émis un avis favorable sur les articles dont elle s’est saisie.

Permettez-moi, mes chers collègues, de conclure mon propos par une citation : « Si la jeunesse est la plus belle des fleurs, la vieillesse est le plus savoureux des fruits ».

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