Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 24 mars 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse »

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais en préambule remercier le groupe RDSE d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de ce débat sur le thème : « Internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ».

Dans bien des cas, les propos tenus sur internet suscitent la stupéfaction. Je suis convaincue que, si l’on veut lutter efficacement contre le racisme, l’antisémitisme, le terrorisme et l’homophobie, qui gangrènent notre société, il est urgent de s’attaquer à la prolifération des discours haineux sur la Toile. Ces discours, ces propos, qui rappellent des pages douloureuses de notre histoire, entament jour après jour notre cohésion républicaine et portent atteinte aux principes fondateurs de notre « vivre ensemble ».

Je veux le souligner ici sans aucune ambiguïté, ces discours ne relèvent pas d’une rhétorique sans effet sur le réel ; ils peuvent engendrer la violence, et parfois entraîner la mort : nous en avons fait la terrible expérience en janvier dernier. Les événements survenus alors, qui ont bouleversé la France et le monde, doivent assurément nous encourager à agir, mais nous devons au préalable nous poser les bonnes questions, afin d’opter pour les solutions les plus efficaces, sans oublier jamais que la liberté d’expression est consubstantielle à la démocratie et à l’État de droit.

La première interrogation à laquelle nous, parlementaires, ne pouvons nous soustraire, est claire : les politiques de lutte contre les discours haineux sur internet actuellement mises en œuvre sont-elles suffisantes ? L’arsenal juridique existant, notamment son volet répressif, est-il effectif ?

Au premier rang de ces dispositifs et au cœur de notre débat se trouve la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui protège la liberté d’expression et en définit les limites. Elle s’inspire de l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Certes, les nouvelles technologies du web permettent la diffusion massive, sur les réseaux sociaux, comme Facebook et Twitter, de discours à haute teneur de haine qui n’avaient pas jusqu’ici leur place dans les médias traditionnels et dont la visibilité est bien sûr accrue par l’effet démultiplicateur de ces réseaux.

Le groupe écologiste n’en considère pas moins que les infractions en la matière doivent continuer à relever de la loi de 1881. S’ils doivent être combattus et réprimés, les abus de la liberté d’expression présentent une spécificité telle qu’ils ne peuvent être sanctionnés par le code pénal. Une seule exception à cette règle peut être envisagée : le cas où l’expression de haine dévie, par exemple, vers la provocation publique aux actes de terrorisme, notamment suivie d’effets. C’est la position que nous avons défendue lors des débats sur le projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, et que nous défendons aujourd’hui encore.

En revanche, si la loi du 29 juillet 1881 est un pilier de notre démocratie, il est certain que son cadre procédural n’est pas adapté à ce qu’il convient d’appeler le « web 2.0 » et sa profusion de blogs, de réseaux sociaux et autres plateformes de discussion. L’urgence est d’améliorer la lisibilité de cette loi, de réformer son cadre procédural, de préciser les notions d’espace public et d’espace privé. C’est notre rôle – et même notre devoir – de législateur.

Beaucoup reste à faire pour que la lutte contre les discours haineux sur internet ait de réelles retombées positives, en matière de législation, bien entendu, mais également, et peut-être surtout, en matière d’éducation. Il est ainsi fondamental d’enseigner aux plus jeunes à faire la différence entre ce qui relève du délit et ce qui relève de la liberté d’expression, de leur faire comprendre que si le net doit demeurer un espace de liberté, il n’est pas pour autant un espace d’impunité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion