Intervention de François Bonhomme

Réunion du 24 mars 2015 à 14h30
Débat sur le thème : « internet et la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse »

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est sans doute une des lois les plus connues de notre République, et pas seulement parce qu’elle est inscrite sur certains murs pour rappeler qu’il est interdit d’afficher sur la voie publique. Elle est aussi l’une des plus symboliques, puisqu’elle touche aux libertés et aux responsabilités de la presse française, imposant un cadre légal à toute publication.

On pourrait évoquer, comme cela a été fait par de précédents orateurs, les nouveaux enjeux de cette liberté d’expression.

L’enjeu législatif est d’autant plus important que tout encadrement de la liberté d’expression est suspecté de porter atteinte aux libertés fondamentales de l’homme. En tant que législateur, nous devons faire preuve de la plus grande prudence et n’intervenir dans ce domaine que d’une main tremblante.

En préambule, il est important de réaffirmer que la France s’honore d’être le pays de la liberté d’expression. C’est un principe absolu, très normalement consacré par plusieurs de nos textes fondamentaux, à commercer par l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la Convention européenne des droits de l’homme.

Bien sûr, un premier débat porte sur les exceptions au principe de la liberté d’expression, envisagées comme autant de limites à celle-ci.

La loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme est venue sanctionner plus durement l’apologie du terrorisme, mais l’usage d’internet bouleverse nécessairement notre façon d’affirmer notre attachement à la liberté d’expression sur le web.

Chaque intervenant dans ce débat a présenté internet comme un « formidable outil de communication », favorisant les échanges et rapprochant les individus, voire les peuples. Néanmoins, il me semble que l’outil internet recèle une ambivalence fondamentale, qui bouleverse notre conception des choses. Cela ne relève pas véritablement d’une modification législative, mais plutôt d’une dimension ontologique.

L’idée même de « régulation du numérique » est selon moi trompeuse. Il faut dire que nous sommes tous victimes d’une certaine illusion face à internet. Un philosophe bien inspiré parlait d’« inquiétante extase », devant la fascination exercée par internet sur les esprits qui se piquent de modernité. Prenons l’exemple des cinq sites faisant l’apologie du terrorisme qui ont été bloqués. Bien sûr, cette mesure était nécessaire, mais il y a une forme d’illusion, voire d’ hubris, à croire que l’on peut contrôler la Toile. Certains experts estiment que ces nouvelles mesures pourraient même être contreproductives, en incitant les acteurs concernés à passer à la clandestinité et à des technologies plus difficiles à surveiller. Le blocage peut être contourné puisqu’il est techniquement facile de reconfigurer sa connexion à l’internet.

Plus largement, l’illusion dont je parlais tout à l’heure s’agissant d’internet est précisément de croire qu’il ne s’agit que d’un outil. Internet transforme insidieusement notre rapport au monde, par la substitution du virtuel au réel, la soumission à ses caprices et à ses humeurs, parfois les plus volatils, la réduction du temps de présence. Internet fait de nous des usagers compulsifs, comme en témoigne notre rapport à l’information ; c’est l’ordre du bon plaisir, qui ne rencontre aucun frein, c’est aussi l’arasement de toute hiérarchie des valeurs et des œuvres. En effet, ne nous y trompons pas : comme cela a été souligné, internet contribue à l’émergence d’une société horizontale.

Je suis heureux, madame la secrétaire d’État, de votre présence parmi nous aujourd'hui, mais je me demande si la ministre de la culture, eu égard au mouvement de disparition des notions d’auteur et d’œuvre, et la ministre de l’éducation nationale, compte tenu de l’affaiblissement de l’école et de l’autorité des professeurs, n’auraient pas dû également participer à ce débat. Car internet produit des effets considérables, qui affaiblissent l’idée même de médiation et d’autorité.

Cela vaut, on l’a dit, pour les journalistes. Hier, ils étaient des médiateurs qui analysaient les faits. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus des « modérateurs » au sein des réseaux sociaux, …

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