Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 25 mars 2015 à 14h30
Examen des amendements au texte de la commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

On est au coeur du sujet. Après deux ans de réflexion, je me dis que le volet pénal de ce texte est mal ficelé et, à mon avis, inadapté. Nous sommes appelés à nous prononcer sur cet amendement sans savoir ce qu'il en sera de l'article 16 relatif à la pénalisation du client, duquel il est pourtant indissociable. On risque ainsi de maintenir le délit de racolage et de pénaliser le client : on ne serait plus, alors, dans une logique d'abolition, mais bien de prohibition. Si, à l'inverse, on supprime le délit de racolage, on nous dira, tout à l'heure, qu'on ne peut se priver de tous les moyens, et qu'il faut donc pénaliser le client. Si bien que nous sommes pris dans une nasse.

Lors du débat, le 28 mars 2013, sur la proposition de loi d'Esther Benbassa visant à l'abrogation du délit de racolage public, j'appelais à réfléchir à l'opportunité d'une suppression totale. J'entends dire, ici et là, qu'il faut supprimer le racolage passif. Mais en supprimant l'article 225-10-1 du code pénal, c'est le délit de racolage tout court que l'on supprime. C'est un fait : il n'y aura plus aucune disposition, dans le code pénal, sur le racolage. La législation sur le racolage a connu bien des mutations : passible de contravention en 1939, le racolage est devenu un délit en 1946, car on craignait que la fermeture des maisons closes n'entraîne une recrudescence de la prostitution de rue. Il est redevenu une contravention en 1958, puis on a supprimé l'incrimination de racolage passif en 1994, jusqu'à ce que la loi de 2003 fasse du racolage un délit, dans les termes que je vous rappelle : « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération est puni de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. » Que s'est-il passé alors ? Pour marquer le coup dans certaines artères sensibles de nos villes, la police a ostensiblement arrêté toutes les personnes simplement suspectées de se livrer à la prostitution. Il nous a été rapporté qu'il suffisait qu'un sac à main contienne quelques préservatifs pour que sa propriétaire soit aussitôt embarquée. Il y a eu des abus. Moyennant quoi, la prostitution s'est repliée dans des lieux éloignés, où les associations elles-mêmes n'arrivaient plus à intervenir.

Par la suite, la police s'est servie de cette faculté pour prononcer des gardes à vue sans intention d'aller au bout de la procédure, mais afin de faire parler tel téléphone portable, d'obtenir tel renseignement. Les policiers de la BRP me l'ont dit : ils ont besoin de cet instrument. Il est difficile d'en mesurer précisément les résultats, mais enfin... J'observe que l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) a tout de même démantelé cinquante-deux réseaux cette année.

Tout cela pour dire que je me demande si nous avons bien fait d'entreprendre de bousculer les dispositions pénales. J'en suis de moins en moins convaincu. Notre système de lutte contre les réseaux de proxénétisme n'est, en fin de compte, pas si mal bâti que cela.

Si l'on décide de ne pas maintenir le délit de racolage et que, tout à l'heure, on rétablit l'article 16, visant à la pénalisation du client, on va créer un véritable hiatus. On aura donné droit de cité à la prostitution, en lui autorisant tous les moyens de promotion, tout en interdisant au client d'accéder à une offre considérée comme légale. Je crains que le Conseil constitutionnel n'estime que le législateur que nous sommes n'a pas épuisé sa compétence...

Je m'abstiendrai sur cet amendement, mais j'estime que l'on ne peut pas le rejeter d'un revers de main.

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