Vous savez que je n'y suis pas favorable. On nous présente toujours le modèle nordique comme parfait. C'est à se demander pourquoi l'Ecosse a renoncé, en 2012, à la pénalisation du client. Plus récemment, le Danemark a renoncé à légiférer en ce sens et à se mettre au même régime que la Suède et la Norvège. Que recherchons-nous, sinon l'efficacité ? C'est ce qui me porte à penser que le délit de racolage est utile. C'est, pour les policiers, un moyen de contact. C'est aussi, bien souvent, pour les personnes prostituées, le moyen d'entrer en contact avec une association. Elles sont à ce point traumatisées que tout ce qui porte l'uniforme leur fait peur, et qu'elles ne vont pas, d'elles-mêmes, dans les commissariats.
Il n'en va pas de même de la pénalisation du client. Au Danemark, ainsi que nous l'avons appris dans une note dont nous n'avions pas eu connaissance avant l'adoption du texte de la commission, il existe un conseil, composé de magistrats et de représentants élus, chargé de se prononcer sur l'opportunité de légiférer en matière pénale. Ce conseil a estimé qu'il existait un manque réel d'information sur la réalité de la situation de la prostitution en Suède, et relevé qu'au regard des expériences suédoise et norvégienne, les effets attendus d'une pénalisation du sexe marchand seraient limités. Ajoutant que seule une action intensive de la police pourrait avoir un effet momentané, il estime que les effets secondaires probables d'une éventuelle interdiction seraient de rendre les conditions de vie des personnes prostituées plus difficiles (M. Alain Gournac approuve). Les magistrats suédois lui ont confirmé, souligne-t-il encore, que les femmes se prostituant loin des yeux du public sont plus souvent victimes de violences. Selon les policiers danois, qui travaillent en collaboration étroite avec leurs collègues suédois, la législation suédoise n'aurait eu qu'un effet marginal sur le nombre de personnes se prostituant, et n'a fait que rendre la vie de milliers de ces femmes encore plus difficile. La chasse au client se fait généralement au détriment des enquêtes relatives aux trafiquants. J'ajoute qu'un récent rapport régional publié en Suède dresse un bilan peu satisfaisant des effets de la pénalisation et que la fondation Scelles, que l'on ne peut soupçonner de tiédeur, relève qu'il n'existe aucune statistique nationale sur la prostitution en Suède. En l'absence de statistiques, on reste dans l'interprétation. Ce qui a été observé, en revanche, et cela m'a particulièrement alarmé, c'est un essor de la prostitution masculine : 2,1% des Suédois ayant entre 16 et 25 ans se seraient prostitués en 2012. En outre, les clients deviennent plus jeunes : la moitié des clients de personnes prostituées de moins de 26 ans ont eux-mêmes moins de 26 ans.
Bref, c'est une erreur de penser que la pénalisation du client est la solution miracle. Et si on la couple avec ce que l'on vient de voter à l'article 13, c'est à dire le maintien du délit de racolage, on entre dans un régime de prohibition. Autant écrire, dans un article unique, que la prostitution est interdite ! À ceci près que l'on encourrait inévitablement la sanction de la Cour européenne des droits de l'homme, qui, chaque fois qu'elle a été saisie, a toujours jugé que la prostitution est incompatible avec les droits et la dignité de la personne humaine dès lors qu'elle est contrainte mais non sans ajouter qu'aucune disposition légale ne pouvait aller jusqu'à contrevenir au droit fondamental de disposer de son corps.