Intervention de Jean-Jacques Hyest

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 25 mars 2015 à 14h00
Lutte contre le terrorisme et adoption d'un acte pour la sécurité intérieure de l'union européenne — Nomination d'un rapporteur et examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, rapporteur :

La menace terroriste à laquelle font face les États de l'Union européenne s'est récemment aggravée. Certains de leurs ressortissants ou de leurs résidents, parfois mineurs, rejoignent des zones où opèrent des groupes terroristes et leur retour pose des questions pour la sécurité. Cette proposition de résolution européenne synthétise les travaux de la commission des affaires européennes sur les domaines dans lesquels le cadre juridique ou la coopération pourraient être améliorés. Présentée en application de l'article 88-4 de la Constitution, elle invite les institutions de l'Union à adopter un « Acte pour la sécurité intérieure ». C'est ambitieux.

Elle préconise d'améliorer les mécanismes existants, comme Europol et Eurojust : la transmission d'informations par les États devrait être plus systématique. Les moyens matériels de ces deux structures doivent être renforcés : Eurojust ne traite aujourd'hui que 1 576 dossiers, à grande majorité bilatéraux, alors que tout l'intérêt de ce dispositif est de traiter des dossiers impliquant plusieurs États. Le nombre de réunions de coordination est limité et les équipes communes d'enquête, qui favorisent l'échange d'informations sans passer par les canaux traditionnels de l'entraide judiciaire, sont encore peu utilisées. L'activité d'Eurojust ne concerne que très marginalement des dossiers liés au terrorisme : 17 en 2013, sans doute davantage en 2014.

Le « code frontières Schengen » donne de larges marges de manoeuvre aux États. Les auteurs de la résolution souhaitent qu'à droit constant, des « indicateurs de risque appliqués uniformément par les États membres » permettent d'exercer des contrôles approfondis de ressortissants de l'espace Schengen lorsqu'ils y entrent ou en sortent.

La première stratégie de l'Union européenne contre la radicalisation et le recrutement de terroristes date de 2005. En 2010, un programme plus complet, mêlant approche policière et approche préventive, a été développé par le biais de groupes thématiques, touchant différents aspects de la lutte contre la radicalisation. L'efficacité de cette initiative étant conditionnée par la participation des États membres, les auteurs de la résolution préconisent de l'intensifier. La résolution rappelle enfin l'importance d'une diplomatie active de l'Union à l'égard de ses voisins et des pays limitrophes de zones où opèrent des groupes terroristes, au Maghreb notamment. Les délégations du service d'action extérieure de l'Union européenne restent très orientées sur la politique de développement et de coopération et sont peu sensibilisées aux questions de sécurité.

Le texte recommande également une évolution du cadre juridique. L'Union européenne veille à l'élaboration d'une définition uniforme et exhaustive du terrorisme par les États. La décision cadre du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme en donne une définition précise, empruntée aux traditions des États membres. Cette directive a été révisée et complétée par la décision cadre du 28 novembre 2008 afin d'ajouter aux infractions terroristes de nouveaux comportements comme l'apologie d'actes terroristes et le prosélytisme en faveur de tels actes.

Toutefois, le phénomène nouveau de nationaux ou de résidents européens s'enrôlant dans des groupes terroristes, identifié comme une menace particulière par l'ONU dans la résolution du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité, justifie des évolutions du cadre juridique. Un Comité sur les combattants terroristes étrangers et les questions connexes a été constitué le 11 février 2015 par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, afin de rédiger un protocole additionnel à la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention du terrorisme.

Afin de pouvoir mener des contrôles permanents sur les personnes définies selon les critères objectifs mentionnés, il est nécessaire de réformer le « code frontières Schengen », sans en modifier l'équilibre général. L'espace Schengen a suscité l'essor d'un système d'information commun, plus efficace qu'une juxtaposition de systèmes indépendants.

La résolution préconise en outre l'adoption rapide de la directive relative à un « Passenger Name Record européen », système d'exploitation et de partage des données recueillies par les transporteurs auprès des passagers au stade de la réservation commerciale. Cette appellation désigne en réalité un mécanisme de coopération entre des PNR nationaux, non la création d'un instrument européen unique. Un premier projet de directive en date du 6 novembre 2007 ayant été abandonné, une nouvelle proposition de directive est en cours de discussions au Parlement européen. Le 2 février 2011, la commission des libertés civiles du Parlement européen a rejeté ce texte. Le 24 février 2015, Timothy Kirkhope, rapporteur du texte pour la commission des libertés civiles a présenté un nouveau rapport. Dans sa résolution du 15 mars 2015, le Sénat a appelé à l'adoption rapide de cette directive en constatant que le système proposé respectait bien les droits des personnes concernées.

En préconisant de conférer à Frontex, l'agence européenne pour la gestion des frontières extérieures, un rôle particulier dans la lutte contre le terrorisme par la création d'un corps de gardes-frontières européens, le texte rejoint les conclusions du Conseil sur le terrorisme et la sécurité des frontières des 5 et 6 juin 2014. Cette recommandation répond aux préoccupations suscitées par le retour de nationaux ou de résidents qui ont rejoint des zones où opèrent des groupes terroristes.

Le texte appelle enfin à mettre en place un parquet européen en application de l'article 86 paragraphe 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et à étendre « sans délai » ses compétences à la criminalité grave transfrontière. La forme collégiale et décentralisée préconisée par le texte est conforme à la position précédemment exprimée par votre commission sur ce sujet.

En conclusion, les auteurs de la résolution rappellent que la lutte contre le terrorisme doit respecter les valeurs de l'Union européenne et de l'État de droit. D'une manière générale, je souscris à ces demandes. À juste titre, la résolution insiste sur l'importance de mieux faire fonctionner ou d'améliorer à droit constant les dispositifs existants, en renforçant l'implication des États. Toutefois, la coopération entre Eurojust et Europol est également largement perfectible. Ainsi, Eurojust n'accède pas de manière privilégiée aux fichiers d'analyse d'Europol, notamment à ceux dédiés à la lutte contre le terrorisme. La convention entre ces deux structures devrait être révisée rapidement pour y remédier.

Une résolution européenne s'adresse à la fois au Gouvernement, qu'elle incite à soutenir une politique dans les enceintes européennes, et aux institutions européennes. De ce point de vue, les alinéas 49 et 50, relatifs au droit de la nationalité, qui se bornent à rappeler la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et le droit international applicable, doivent être supprimées car l'Union européenne n'est que très indirectement concernée par le droit de la nationalité des États membres. Les institutions européennes pourraient s'étonner que le Sénat les ait insérés...

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