Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en cette période très politique, il est pertinent d’avoir un débat fondamentalement politique. La prostitution, les orateurs précédents l’ont rappelé, pose la question de nos valeurs, de l’humanité que nous accordons aux membres les plus infimes de notre société.
C’est un débat délicat. Je m’engage à y participer avec un esprit ouvert, dans le respect des positions exprimées par les uns et les autres. J’espère, mes chers collègues, que vous aurez à cœur de prendre le même engagement.
Au préalable, je souhaite vous restituer les faits tels que je les connais. Mon information est bien évidemment limitée par la faiblesse criante des études sur le sujet, notamment pour ce qui concerne la prostitution étudiante ou sur internet.
Je m’appuierai donc uniquement sur les rapports officiels et les travaux que j’ai menés avec Jean-Pierre Godefroy sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées. Ce travail et les excellents rapports de Guy Geoffroy, Danielle Bousquet, Maud Olivier, Brigitte Gonthier-Maurin et Michelle Meunier nous donnent une base sérieuse pour débattre aujourd'hui.
Tous ces travaux convergent vers une idée partagée : il convient d’inverser le regard sur la prostitution, d’inverser la charge de la preuve, en considérant les personnes prostituées comme des victimes. D’ailleurs, toutes les dispositions d’accompagnement social prévues par le texte ont été majoritairement approuvées par la commission spéciale.
Car les faits sont clairs, et accablants pour la France et l’Europe.
Premier fait que je tiens à relever au nom de la délégation aux droits des femmes : la prostitution reste fondamentalement un domaine dans lequel sévit l’inégalité entre les hommes et les femmes. Les hommes représentent entre 10 % à 20 % des personnes prostituées et quasiment 100 % des clients.
Deuxième fait, la prostitution est un monde de violences inouïes, Michelle Meunier l’a rappelé. Les études conduites, notamment chez nos voisins allemands, estiment que 63 % des personnes prostituées sont victimes de viols. Elles ont soixante à cent fois plus de risques que les autres femmes d’être battues ou assassinées. Il faut le souligner, 90 % de ces violences sont le fait des clients.
Troisième fait, crucial, la prostitution a radicalement changé de visage. Il s’agissait, dans les années quatre-vingt-dix, d’une prostitution dite « traditionnelle », exercée par des femmes françaises en situation légale. Elle est aujourd’hui exercée à 90 % par des femmes étrangères ou d’origine étrangère en situation irrégulière et sous l’emprise de réseaux.
La prostitution « traditionnelle », celle qui s’exprime, est aujourd’hui minoritaire. Les femmes exploitées dans le cadre de réseaux ne viendront jamais ni manifester ni prendre la parole dans nos réunions.
C’est cette réalité qu’il nous faut reconnaître et combattre aujourd’hui : une prostitution qui majoritairement exploite des femmes, dans un monde de violence inouïe, sous l’emprise de réseaux extrêmement lucratifs ; une prostitution qui est une forme d’esclavagisme moderne, très fructueux, cela a été rappelé. Toute tolérance face au système prostitutionnel, tout discours ouvert sert de fait les intérêts des réseaux, tel Boko Haram, dont les victimes se retrouvent aujourd’hui dans nos bois.
La prostitution a donc radicalement changé de visage, alors que notre législation n’a pas évolué. Cette dernière, au nom de la liberté de choix, n’est pas interventionniste : le législateur s’y refuse et, dans le même temps, se refuse à légaliser la pratique. Notre législation est dite « abolitionniste » et était sans doute très adaptée jusque dans les années quatre-vingt-dix ; en 2015, en revanche, elle est clairement inefficace.
Que faire ? Nous critiquons beaucoup le modèle suédois, mais il nous faut savoir quelles solutions s’offrent à nous.
Faut-il conserver le système existant, qui fait peser la présomption de culpabilité par le délit de racolage sur la personne prostituée ? C’est ce système qui oblige cette dernière à se cacher alors qu’elle est victime. On peut continuer à le cautionner, il n’en reste pas moins que c’est une injustice. C’est la raison pour laquelle je suis opposée au texte issu des travaux de la commission spéciale. Le système existant a fait la preuve de son inefficacité. C’est l’annonce d’un échec assuré.
Il ne suffira pas d’augmenter les moyens des services de lutte contre la traite. Certes ceux-ci accomplissent un travail formidable, mais cela représente malheureusement une goutte d’eau face à un phénomène mondial. Nous devons envoyer un message clair aux réseaux en France et en Europe.
Je serai également opposée à toute suppression du délit de racolage sans pénalisation du client. En effet, ce serait ouvrir la voie à un système prostitutionnel de masse.
Certains souhaiteraient aller plus loin et tendre vers le réglementarisme en autorisant le commerce encadré de la prostitution. Madame la secrétaire d’État, vous l’avez rappelé, les exemples allemands, néerlandais ou belges font froid dans le dos. En Allemagne, on estime que le trafic de la traite a été multiplié par soixante-dix depuis l’entrée en vigueur d’une telle législation. Les autorités d’Amsterdam témoignent de leur incapacité à contrôler le développement des réseaux dans les structures dédiées. La raison est simple : ces pays ont levé l’interdit symbolique de la prostitution.
La troisième voie, celle dite « néo-abolitionniste », consiste à reconnaître la responsabilité du client complice de ce système de violence. C’est le modèle de la Suède, de la Norvège et en partie du monde anglo-saxon, dont on sait de manière objective qu’il a fait reculer la prostitution de rue. C’est une réalité attestée par les chiffres officiels.
Certains affirment que, en parallèle, la prostitution s’est développée au large des côtes, et des études dites « indépendantes » montrent que la prostitution sur internet a continué à croître. C’est possible. Personne, ni vous ni moi, ne peut ni le nier ni le confirmer ; les études sur le sujet ne sont pas suffisamment sérieuses. C’est bien ce qui se passe en France ! La prostitution se développe sur internet, alors même que notre législation est plus tolérante.