La limite du modèle suédois est ailleurs. Ce système pénalise le client purement et simplement. Par conséquent, il interdit l’achat et, de fait, il interdit la vente. Il est donc à la limite du prohibitionnisme.
Je serais personnellement favorable à la prohibition, mais les textes légaux nous l’interdisent. Aussi, dans le respect d’une position « néo-abolitionniste », une position adaptée, il nous faut pénaliser les clients qui ont recours à des personnes prostituées sous contrainte, en présumant cette contrainte. La réalité de la prostitution est que la contrainte apparaît dans 90 % des cas. Cette disposition combinée aux dispositifs de fuite et d’accompagnement social permet d’inverser la charge : le droit est du côté des victimes. Ce sera non plus aux personnes prostituées, mais aux clients de se cacher.
L’argument principal contre cette nouvelle voie n’est pas la fatalité de la prostitution. L’histoire, l’antériorité pas plus que l’utilité sociale de la prostitution, rien ne justifie celle-ci. Considérer les personnes prostituées comme les défouloirs des pulsions de la société ne nous grandirait pas.
L’argument principal est celui de la liberté.
Je pourrais m’engager sur d’autres débats, mais je préfère m’attarder sur celui-là et me concentrer avec pragmatisme sur les faits : 10 % des personnes prostituées auraient librement choisi cette voie. Combien pourtant l’ont choisie par précarité financière ou par vulnérabilité face à un amant un peu trop intéressé ? Combien se trouvent coincées dans l’engrenage de la prostitution après y être entrées ? Après cinq ou dix ans de prostitution, même de luxe, que met-on sur son CV ? Le dit-on à ses amis ou à ses enfants ? J’ai souvenir d’une rencontre très touchante avec une prostituée dite « traditionnelle » âgée de soixante-cinq ans qui n’a jamais avoué son activité à ses enfants. Voilà la réalité de la prostitution !
Le législateur doit-il préserver la liberté de 10 % des prostituées ou protéger 90 % des personnes victimes de la prostitution ?
En toute humanité, au terme des différents travaux que nous avons pu réaliser et du rapport que nous avons produit, nous sommes parvenus à la conclusion qu’il n’y avait pas d’égalité dans la prostitution. Celle-ci demeure fondamentalement l’expression de l’exploitation des femmes. Il n’y a pas de fraternité dans un pays qui ferme les yeux sur les violences qui se cachent au fond des bois. En toute sincérité, je ne vois pas non plus de liberté dans le système prostitutionnel.
Telles sont les raisons pour lesquelles je soutiens l’esprit originel de la proposition de loi. Je voterai par conséquent contre tout texte qui serait perçu comme un message de tolérance ou de résignation. Quand une partie, même infime, de l’humanité est victime de notre indifférence, c’est toute notre société qui est affaiblie.