Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au timbre de ma voix, vous comprendrez aisément que le sujet de la prostitution, ô combien passionné, est difficile à aborder.
Par cette intervention, je me fais l’écho du groupe du RDSE et, à titre liminaire, je veux saluer le travail effectué par la commission spéciale qui a permis de dégager une solution raisonnable et surtout réaliste, sans dogmatisme, sur une question véritablement sensible, alors que, en l’espèce, aucune solution n’est parfaite.
En 2012, lors de la discussion d’une proposition de loi, le groupe du RDSE s’était déjà prononcé en faveur de l’abolition du délit de racolage passif – un non-sens –, qui repousse la prostitution aux marges de la ville, dans des espaces retranchés, coupés, isolés, livrant ainsi les prostitués à la clandestinité et à tous les dangers.
Outre l’inanité de ce délit, le nombre de personnes mises en cause pour racolage par la police nationale n’a cessé de baisser depuis 2003 – preuve s’il en fallait que la solution juridique n’était pas la bonne – et, dans le même temps, la prostitution n’a ni disparu ni diminué.
En qualifiant la prostituée de délinquante, le délit de racolage passif a eu des effets pervers particulièrement dommageables, se traduisant par l’aggravation de la précarité des personnes prostituées et le renforcement des réseaux mafieux. Douze années après son instauration, son bilan est peu flatteur, à rebours des objectifs initiaux de répression et d’annihilation de la prostitution.
Les personnes prostituées ont quitté les centres-villes pour les zones périurbaines. De ce fait, les risques d’agression ont augmenté, sans baisse corrélée des activités. L’incrimination du racolage passif a placé ces personnes dans une position précaire face aux clients et aux logeurs qui ont pu tirer profit de leur situation. La fragilisation des personnes prostituées a même pu les amener à se placer sous la dépendance de proxénètes pour assurer leur protection.
Se sont ensuivies une dégradation des relations avec les forces de l’ordre ainsi que des difficultés d’accès aux soins, complexifiant la prise en charge sanitaire et la diffusion de messages de prévention.
Parallèlement à ce bilan mitigé, il paraît nécessaire de s’interroger sur les raisons qui poussent certains à défendre la pénalisation des clients. Cette mesure, qui poursuit la même logique inhérente au délit de racolage passif, ne pourra que renforcer encore l’isolement et la vulnérabilité des femmes qui sont victimes de la prostitution. De fait, il s’agit de bien comprendre que l’emploi de dispositions juridiques à caractère répressif – le racolage passif et la pénalisation des clients – ne constitue pas une solution viable aux problèmes que pose la prostitution.
Pour autant, nous ne nions pas la situation désastreuse, à la fois psychologique, sanitaire et sociale, dans laquelle se trouvent ces personnes.
La prostitution est un phénomène complexe et multiforme qui a évolué ces dernières années sous l’influence de la mondialisation, de l’ouverture des frontières et de la dématérialisation des moyens de la prostitution. Ces derniers favorisent, du fait de contingences économiques et sociales défavorables, le développement de réseaux mafieux, dont les gains ont été évalués à plus de 3 milliards d’euros par an.
Cependant, comme l’a souligné la féministe Élisabeth Badinter, interdire par voie législative la prostitution serait « revenir sur un acquis du féminisme qui est la lutte pour la libre disposition de son corps. » En effet, les pouvoirs publics n’ont pas à légiférer sur l’activité sexuelle des citoyens et sur l’aspect moral lié à la commercialisation de ces relations. Ainsi, nous choisissons de ne pas considérer le prostitué ou la prostituée comme une personne irresponsable, au sens juridique du terme.
La pénalisation des clients est une mesure simpliste, et il nous semble que la réflexion devrait davantage porter sur le caractère transnational de la prostitution et les enjeux liés aux inégalités de développement.
La commission spéciale a défendu la bonne position sur le sujet, parvenant ainsi à un texte d’équilibre. Les membres du RDSE s’opposeront donc aux amendements qui visent à rétablir soit la pénalisation du client, soit le délit de racolage passif.
Quant à l’accompagnement sanitaire et social des personnes prostituées, la proposition de loi présente le mérite de poser des questions centrales.
Nous saluons le renforcement des droits de ces personnes par la mise en place d’un parcours de sortie de la prostitution, ainsi que la création d’un fonds dédié. Néanmoins, encore une fois, il faudra veiller à ce que le consentement du prostitué ou de la prostituée, en tant que personne majeure et responsable, soit bien recueilli pour toutes les mesures le concernant.
Nous proposons également, au travers d’un amendement, d’intégrer dans l’instance départementale les professionnels de santé. Ces derniers, experts, représenteraient une plus-value pour tout ce qui concerne le sujet préoccupant de la santé des personnes prostituées.
L’abolition de la prostitution, si elle doit avoir lieu, ne passera que par la prévention des comportements en cause. L’éducation et la sensibilisation, notamment auprès du jeune public, peuvent permettre la prévention de telles pratiques.
Familièrement qualifiée de « plus vieux métier du monde », la prostitution est aussi, nous en sommes conscients, la plus vieille violence du monde, comme le notent dans leur rapport mes collègues, pour celles et ceux qui y sont contraints par des contingences sociales, économiques ou psychologiques.
Pour toutes ces raisons, la majorité des membres du groupe du RDSE défendra et approuvera le texte issu des travaux de la commission spéciale du Sénat.