Contrairement à mon collègue, je pense qu’il est extrêmement important de faire en sorte qu’il n’y ait plus de délit de racolage et donc de sanction à ce titre.
Je suis inquiète quant au sort réservé à cet article, dans la mesure où la commission spéciale a émis un avis favorable sur l’amendement de M. Jean-Pierre Vial.
La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, plus connue sous le nom de « loi Sarkozy », a renforcé la répression de la prostitution. La création du délit de racolage passif avait pour objectif, il faut le redire, de maintenir la tranquillité publique en limitant la visibilité des activités de prostitution.
Douze ans après, nous devons examiner les éléments qui nous permettent de faire le bilan de cette loi.
L’objectif était double : limiter la prostitution « de rue » et atteindre les proxénètes à travers les quelque 80 000 prostituées vivant en France, ces dernières, comme vient de la rappeler notre collègue, étant susceptibles de livrer des renseignements lors de leur interpellation.
Or, si des informations peuvent être effectivement obtenues lors des gardes à vue, la corrélation entre la création du délit de racolage et une plus forte répression du proxénétisme semble inexistante. Le Casier judiciaire national constate ainsi une évolution plutôt stable du nombre de condamnations des proxénètes au cours des dix dernières années, entre 600 et 800 par an, alors qu’il enregistre des fluctuations beaucoup plus importantes en ce qui concerne les gardes à vues pour racolage.
Même au plus haut du nombre de gardes à vue pour racolage passif – 4 712 en 2004 – les gardes à vue pour proxénétisme plafonnent à moins de 1 000. L’objectif principal de la création de ce délit semble donc caduc : l’incrimination du racolage ne permet pas de démanteler un réseau.
De plus, cela a contribué à déplacer la prostitution et à fragiliser encore davantage les prostituées, qui plus est en les criminalisant. Sans parler bien évidemment du caractère discutable et flou de la définition même du racolage.
Le bilan est donc plus que mitigé. Nous avons eu l’occasion de le constater encore avec le rapport de notre collègue Virginie Klès, lors de l’examen de la proposition de loi d’Esther Benbassa.
La suppression du délit de racolage est attendue par l’immense majorité des associations. Elle a aussi fait l’objet d’une recommandation de la CNCDH, selon laquelle « la convention de 2005 comme le droit pénal français prévoient que les victimes de traite ou d’exploitation doivent être exonérées de responsabilité pénale dès lors qu’elles ont adopté un comportement illicite sous la contrainte ». La CNCDH rappelle avec raison que « les victimes de traite ou d’exploitation contraintes à commettre des crimes ou des délits doivent être considérées avant tout comme des victimes de délinquance forcée et doivent être exonérées de responsabilité pénale pour avoir commis de tels faits. »
Mes chers collègues, il est très important de prendre cela en compte et, si nous rétablissions le délit de racolage, ce serait un très mauvais signal, totalement contraire à la proposition de loi, qui vise notamment à accompagner les prostituées pour les aider à sortir de ce système prostitutionnel.
Je ne comprends pas bien pourquoi l’article 13 et l’article 16 sont mis en corrélation. Je pense qu’il nous faut poser le problème du système prostitutionnel dans sa globalité et, exerçant notre libre choix, décider que les prostituées ne sont pas des criminels, qu’elles ne sont pas à pénaliser et qu’il faut au contraire poursuivre les réseaux et responsabiliser les clients.
Ce débat abolition/prohibition est malvenu dans le contexte de cette proposition de loi, j’en profite pour le dire.
Pour conclure, je reprendrai ici les propos de Grégoire Théry, secrétaire général du Mouvement du nid, association bien connue qui accompagne les personnes prostituées dans leurs démarches : « Si le Sénat prend la décision de mesures de répression contre les prostituées et parallèlement d’impunité pour les auteurs d’achats d’actes sexuels, il aura travaillé seize mois pour revenir dix ans en arrière ! »
J’en appelle donc à votre réflexion, mes chers collègues.