Tout le monde, je crois, partage l’objectif d’un texte efficace. Il me semble, monsieur le président de la commission spéciale, qu’il n’y a aucune « légèreté » dans nos débats, ni sur le délit de racolage ni sur la pénalisation des clients. M. Badinter s’est peut-être exprimé sur le sujet, mais bien d’autres personnes tout aussi sérieuses – des médecins par exemple, qui, comme M. Emmanuelli, sont sur le terrain – l’ont fait en faveur de la pénalisation.
Manifestement, les réseaux ne sont pas non plus très émus par le délit de racolage. Si la pénalisation devait être finalement votée, c’est pour « émouvoir » non pas tant les réseaux que les clients, monsieur le président de la commission spéciale. Tarir la demande, en effet, c’est lutter contre les réseaux.
Je voudrais revenir sur les dispositions de la loi de 2003 pour la sécurité intérieure ; j’ai en effet eu la chance, à l’époque, d’être la plume des discours de son promoteur. Honnêtement, chacun prête aujourd’hui à cette loi des intentions qu’elle n’avait pas alors. La loi de 2003 avait pour objet de supprimer la distinction entre le délit de racolage passif et le délit de racolage actif, distinction qui, sur le terrain, n’avait pas beaucoup d’efficacité.
Cette loi était adaptée à la réalité de la prostitution d’alors, qui était majoritairement le fait de femmes françaises, dont la plupart n’étaient pas nécessairement sous l’emprise de réseaux.
La situation a radicalement changé. La loi a donc, aujourd’hui, des effets pervers.
Elle oblige d’abord les personnes prostituées à se cacher ; elles se trouvent donc plus aisément sous l’emprise des réseaux, ce qui rend la tâche des différentes associations du secteur plus délicate.
J’indique, ensuite, qu’il faut du temps pour avoir confiance dans les institutions. Un dispositif qui autorise la personne à s’évader de ces réseaux et à entrer dans un parcours d’insertion crée un tel lien de confiance ; ce lien permettra sans doute de faire parler les personnes prostituées, de les amener à témoigner contre leur proxénète. Ce n’est pas dans le délai très contraint d’une garde à vue que nous gagnerons la confiance de ces personnes, et que nous aurons leur témoignage.
Nous sommes donc confrontés à un problème. Ne nous voilons pas la face, mes chers collègues, nous nous orientons vers le maintien de la suppression de la pénalisation du client. Si, dans le même temps, le présent texte ne contient plus aucune disposition sur le racolage, on ouvre beaucoup de portes.