Outre la difficulté que j’ai évoquée précédemment, je suis troublée de constater combien la Haute Assemblée insiste sur tous les aspects positifs qu’il y aurait à maintenir le délit de racolage. En revanche, quand il s’agit de la pénalisation des clients, le président de la commission, notamment, parle de « légèreté » et notre assemblée ne creuse pas la question plus avant. Il y a donc deux poids, deux mesures !
Le Sénat s’accroche à une disposition qui n’a pas prouvé son efficacité – je l’ai dit dans mon propos liminaire, comme plusieurs de mes collègues – sans davantage réfléchir à la manière de faire reculer la prostitution, et donc de l’abolir.
Comme l’a souligné très justement Brigitte Gonthier-Maurin, ce texte repose sur quatre piliers. Pourtant, dès que l’on cherche à explorer des pistes importantes, les réactions sont tout à fait disproportionnées. On évoque tels et tels obstacles, qui semblent majeurs. Par exemple, il ne peut être question de s’attaquer au client. Pourquoi ? Mystère… Ce serait peut-être un crime de lèse-majesté ? Mais si les uns et les autres évoquent des motifs divers, on voit que se reforme une coalition pour que l’on ne touche pas au client. Est-ce à dire que le client est totalement irresponsable et hors du système prostitutionnel ? Tout tend pourtant à prouver le contraire !
Certains disent vouloir s’attaquer aux réseaux de proxénétisme, mais tout cela n’est qu’incantatoire. La proposition de loi ouvre un chemin, et un chemin important. Mais si vous vous accordez à reconnaître ici, la main sur le cœur, l’air extrêmement touché, que les prostituées sont des victimes, chers collègues, vous n’hésitez pas à emprunter le chemin traditionnel de la criminalisation et à pénaliser ces « pauvres femmes », comme vous dites non sans une certaine suffisance !
Au bout du compte, ce texte aura des répercussions extrêmement graves, car il va à l’encontre du projet gouvernemental et constituera pour le coup un appel d’air pour les clients comme pour les réseaux de proxénétisme, lesquels pourront continuer leur trafic allègrement.
Contrairement à ce que vous affirmez, quand vous défendez au Sénat le rétablissement du délit de racolage, vous déniez aux prostituées leur qualité de victimes. Tout le travail de réinsertion s’en trouve laminé. Or les spécialistes – non pas Robert Badinter, mais des psychologues et des psychanalystes – s’accordent à dire que, pour qu’une victime se reconstruise, il faut qu’elle soit reconnue comme telle et donc que l’on sorte du déni.
Aujourd'hui, le Sénat piétine des principes essentiels, au nom de je ne sais quelle certitude fondée sur des images préconçues, pour mieux éviter de considérer la prostitution pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une violence !