Intervention de Pascale Boistard

Réunion du 30 mars 2015 à 21h30
Prostitution — Article 16

Pascale Boistard, secrétaire d'État :

Il importe d'être précis dans ce débat, particulièrement lorsque l’on fait référence à des textes.

La Suède a effectivement adopté, le 4 juin 1998, une loi rendant passible d’une amende et d’une peine de prison toute personne se procurant des services sexuels en échange d’une rétribution ou d’une promesse de rétribution, quelle que soit la forme de celle-ci.

La peine de prison, d’une durée initiale de six mois, a été portée à un an en 2011. Un rapport d’évaluation portant sur l’interdiction de l’achat des services sexuels et concernant la période 1999-2008, publié en novembre 2010 par les autorités suédoises, dresse des constats positifs : en Suède, la prostitution sur la voie publique a diminué de moitié depuis 1999, sans que rien ne permette de conclure que cette baisse ait conduit à un report de la prostitution vers les lieux fermés et à une plus grande précarisation des personnes prostituées. La loi ne paraît pas avoir incité ces dernières à refuser toute forme de coopération avec les services de police. À l’inverse, il semble que leur parole se soit libérée, du fait du changement du regard porté sur elles par la société. Alors que, à la hauteur des deux tiers, l’opinion publique était opposée à la pénalisation du client avant l’adoption de la loi, la proportion est aujourd'hui inversée, en particulier parmi les jeunes : en 1996, 67 % de la population était ainsi défavorable à la pénalisation de l’achat d’actes sexuels, mais 71 % y était favorable en 2008. Outre une diminution significative du nombre de personnes prostituées, la réforme suédoise a permis de modifier la perception du phénomène prostitutionnel par la population.

Ces éléments ont été confirmés par des personnalités aussi indiscutables que Mmes Lise Tamm, chef du parquet international de Stockholm, et Anna Skarhed, chancelière de justice en Suède, auditionnées en France par la commission spéciale de l’Assemblée nationale et le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Mme Tamm a notamment indiqué que les écoutes téléphoniques menées dans le cadre d’enquêtes judiciaires portant sur les réseaux de traite mettent en évidence l’intention des chefs de réseau de quitter le territoire suédois, les trafiquants estimant qu’il est devenu trop difficile d’exploiter des femmes à des fins sexuelles en Suède, un marché désormais jugé inhospitalier.

J’ai rencontré personnellement les ministres des droits des femmes suédoises. Elles dressent un bilan très positif en s'appuyant sur le rapport précité du Gouvernement suédois. Certains donnent à entendre que la prostitution cachée aurait augmenté, mais les enquêtes policières sur les crimes liés à la prostitution et la traite n’étayent en rien ces affirmations. Par ailleurs, il n’appartient pas au gouvernement auquel j’appartiens de mettre en doute un rapport produit par le gouvernement démocratique d’un autre État membre de l'Union européenne. Il constitue donc valablement ma source sur ce sujet.

D’autres pays ont modifié leur législation ou sont en voie de le faire. Depuis 2009, des législations identiques à celle qui est applicable en Suède sont entrées en vigueur en Norvège et en Islande.

En Norvège, à l’automne 2013, la majorité conservatrice des partis soutenant le gouvernement nouvellement élu, se fondant sur un rapport, a souhaité abroger ou assouplir la loi criminalisant l’achat de services sexuels. Mais, au vu des conclusions de ce rapport, soulignant notamment une réduction de la traite, vraisemblablement liée à une évolution des mentalités, il a été finalement décidé de ne pas revenir sur la loi.

Au Canada a été adoptée, le 6 octobre 2014, une loi sanctionnant l’achat d’actes sexuels. En Irlande du Nord est examiné actuellement un texte législatif prévoyant également la pénalisation des clients de personnes prostituées. Nous ne sommes donc pas seuls à réfléchir sur ces sujets ! D’autres pays ont produit de nombreuses études et rapports pour évaluer la situation et tracer des perspectives pour l’évolution de leur législation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à porter à votre connaissance ces éléments, qui me semblent extrêmement importants. Pour légiférer dans de bonnes conditions, il est normal que nous nous nourrissions des réflexions menées dans d’autres pays de l’Union européenne.

En tout état de cause, j’émets bien évidemment sur ces amendements un avis très favorable.

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