La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein de l’article 13, au résultat, après pointage, du scrutin n° 112 sur l'amendement n° 1 rectifié.
Voici donc le résultat du scrutin n° 112 :
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l'article 13 est supprimé.
(Non modifié)
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° À la première phrase du 2° du I de l’article 225-20, la référence : « 225-10-1, » est supprimée ;
2° À l’article 225-25, les mots : «, à l’exception de celle prévue par l’article 225-10-1, » sont supprimés.
II. – Au 5° de l’article 398-1 et au 4° du I de l’article 837 du code de procédure pénale, la référence : « 225-10-1, » est supprimée.
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Vial et Pillet, Mme Deroche, MM. Grosdidier, Courtois et Gournac, Mmes Kammermann et Troendlé et MM. Buffet et B. Fournier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
L'amendement est adopté.
En conséquence, l'article 14 est supprimé et l'amendement n° 41 n’a plus d’objet.
Toutefois, pour la bonne information du Sénat, j’en rappelle les termes :
L'amendement n° 41, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
4 ° du
par les mots :
sixième alinéa du
Nous en sommes parvenus à l’intitulé du chapitre II, précédemment réservé.
L'amendement n° 19 rectifié bis, présenté par Mmes Blondin et Lepage, M. Courteau, Mmes E. Giraud, Monier, Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Kaltenbach, Carvounas, Berson, Tourenne, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali, MM. Manable et Miquel, Mmes Cartron, Génisson, Conway-Mouret et Bataille et M. Durain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi l’intitulé de ce chapitre :
Protection des victimes de la prostitution et création d’un parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle
La parole est à Mme Maryvonne Blondin.
Il s’agit non seulement de protéger et d’accompagner les personnes prostituées, mais également d’instituer un véritable parcours de sortie de la prostitution, en collaboration étroite avec les associations.
Ce dispositif est essentiel pour offrir aux personnes prostituées une alternative crédible à l’activité prostitutionnelle, tout en leur apportant un soutien global sur le plan social, notamment en matière d’accès au logement et aux soins.
C’est pourquoi nous souhaitons, par cet amendement, rétablir l’intitulé initial du chapitre II, tout en tenant compte des apports de la commission spéciale.
La commission spéciale s’en était remise à la sagesse du Sénat sur cet amendement. Toutefois, la création d’un parcours de sortie de la prostitution n’ayant pas été retenue, il me paraîtrait plus sage, par cohérence, de retirer cet amendement.
Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.
Chapitre II bis
Prévention et accompagnement vers les soins des personnes prostituées pour une prise en charge globale
Le livre Ier du code de la santé publique est complété par un titre VIII ainsi rédigé :
« Titre VIII
« Réduction des risques relatifs à la prostitution
« Art. L. 1181-1. – La politique de réduction des risques en direction des personnes prostituées consiste à prévenir les infections sexuellement transmissibles ainsi que les autres risques sanitaires, les risques sociaux et psychologiques liés à la prostitution.
« Les actions de réduction des risques sont conduites selon des orientations définies par un document national de référence approuvé par décret. »
L’article 14 ter s’inscrit pleinement dans la philosophie de cette proposition de loi, qui vise à offrir un accompagnement à la fois social et sanitaire aux personnes prostituées.
À cet égard, je voudrais souligner qu’il est incohérent d’avoir rétabli le délit de racolage : les personnes prostituées sont ainsi considérées comme des criminelles, tandis que cet article vise, légitimement, à mieux prendre en compte leur santé.
L’article 14 ter a en effet pour objet de définir le cadre dans lequel doit s’inscrire la politique de réduction des risques sanitaires pour les personnes prostituées. On le sait, du fait des conditions de vie difficiles de nombre d’entre elles, le dépistage et la prévention des maladies et des infections sexuellement transmissibles sont pratiqués assez rarement, malgré le travail effectué par des associations de terrain, dont il convient de souligner la pugnacité, les moyens n’étant pas toujours au rendez-vous.
En ce sens, je souscris aux modifications apportées au texte par la commission spéciale et tendant à préciser que, si le rôle de l’État doit être réaffirmé, celui des autres acteurs est tout aussi essentiel.
En outre, l’emploi du terme « dommages » ne me semble pas approprié. Il est préférable de parler de réduction des risques pour les personnes prostituées, via une politique d’information et de dépistage régulier.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe CRC votera l’article 14 ter.
L'article 14 ter est adopté.
Chapitre III
Prévention des pratiques prostitutionnelles et du recours à la prostitution
Après l’article L. 312-17-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 312-17-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 312-17-1-1. – Une information sur les réalités de la prostitution est dispensée dans les collèges et les lycées par groupes d’âge homogène. Elle porte également sur les enjeux liés aux représentations sociales du corps humain. » –
Adopté.
(Supprimé)
Le premier alinéa de l’article L. 312-16 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° Après la première phrase, sont insérées deux phrases ainsi rédigées :
« Ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes. Elles contribuent à l’apprentissage du respect dû au corps humain. » ;
2° À la deuxième phrase, les mots : « Ces séances pourront » sont remplacés par les mots : « Elles peuvent » ;
3° À la troisième phrase, le mot : « pourront » est remplacé par le mot : « peuvent ». –
Adopté.
Chapitre IV
(Division et intitulé supprimés)
(Supprimé)
Comme je l’ai indiqué précédemment, j’aurais aimé que nous puissions aborder les articles 13 et 16 simultanément.
Au Danemark, une commission du code pénal est chargée de conclure à l’opportunité d’adopter ou de modifier une législation. Ce pays a renoncé à s’engager dans la voie de la pénalisation du client, estimant que les mesures adoptées en Suède et en Norvège étaient inopportunes et que, dans la pratique, la mise en œuvre d’un tel dispositif législatif avait une incidence défavorable sur le sort des personnes prostituées.
Le rapport de cette commission souligne en outre que, au regard des expériences suédoise et norvégienne, les effets positifs d’une pénalisation du sexe marchand seraient limités. Seules des actions intensives de la police – le rapport parle de raids, de razzias – pourraient avoir une efficacité, encore ne serait-elle que momentanée. Il ajoute que l’effet secondaire probable d’une interdiction serait de rendre le travail des prostituées plus difficile et de donner un pouvoir exorbitant au client. Certains services de police suédois ont confirmé à la commission que les femmes se prostituant loin des yeux sont plus souvent la cible de violences.
Les policiers danois, qui travaillent en collaboration avec leurs collègues suédois, ont une position très tranchée : ils estiment que consacrer du temps à la « chasse au client » serait au détriment de la conduite des enquêtes sur les trafiquants.
La pénalisation des clients rendra-t-elle les personnes prostituées moins dépendantes de ces derniers ? Personnellement, je ne le pense pas, car le client, courant le risque d’être sanctionné, sera au contraire en position de force dans la négociation avec la personne prostituée, qui devra malgré tout rapporter autant d’argent qu’aujourd’hui au réseau dont elle dépend. On risque ainsi d’aboutir au résultat inverse de celui que nous souhaitons.
En outre, il ne faudrait pas que l’adoption de telles dispositions ne conduise des personnes se prostituant aujourd'hui de façon indépendante à recourir, pour pouvoir continuer à travailler, à des réseaux. Il n’y aurait rien de pire que de faire tomber des personnes prostituées actuellement indépendantes dans les griffes des réseaux organisés !
J’ai suggéré à plusieurs reprises en commission de ne pénaliser que les clients des personnes prostituées sous contrainte. On m’objecte que ce ne serait pas praticable, mais j’estime que nous aurions dû travailler davantage le texte pour y introduire cette notion de contrainte, qui me paraît importante. Cela permettrait de lutter contre les réseaux, tout en garantissant aux personnes prostituées non soumises à contrainte de pouvoir exercer librement leur activité. Adopter une position brutale, de principe, de pénalisation des clients risque malheureusement de se retourner contre les personnes concernées. Tel n’est pourtant pas notre objectif.
Je considère pour ma part que la suppression de l’article 16 a vidé en partie de sa substance la proposition de loi. Il sera proposé de rétablir cet article qui instaure une pénalisation du client en prévoyant une contravention pour sanctionner le recours à la prostitution d’une personne majeure.
Cela a été déjà dit, cet article est indispensable à l’équilibre et à la cohérence du texte. Il s’agit de réaffirmer clairement la position abolitionniste de la France et d’affirmer concrètement que nul n’est en droit d’exploiter la précarité et la vulnérabilité d’une personne pour lui imposer un acte sexuel contre rémunération, ni de disposer du corps d’autrui.
Qui peut accepter cette domination du corps de l’autre par l’argent ? Qui peut accepter cette aliénation du corps humain ? En proposant de rétablir l’article 16, nous entendons enfin inverser les responsabilités. Nous estimons en effet que les personnes prostituées sont, pour la plupart, des victimes. Les responsables sont, bien sûr, les proxénètes, mais aussi les clients, que nous voulons dès lors sanctionner. Oserai-je les qualifier de « clients prostitueurs » ? Oui, sans hésitation, car ils participent à l’exploitation du corps humain, ce qu’il faut leur faire comprendre par la pénalisation.
Nous ne voulons plus continuer à accepter que, sous prétexte qu’un client a payé pour cela, il puisse disposer à sa guise du corps de la personne prostituée. Selon moi, ce sont les proxénètes et les clients qui mettent en péril la santé des personnes prostituées. Ce sont les clients qui prétendent pouvoir acheter un corps. Qui oserait accepter cette marchandisation des corps ? À partir du moment où l’on maintient le délit de racolage, il faut responsabiliser le client en le sanctionnant. Il s’agit d’établir un rapport de force en faveur des prostituées, qui sont en fait des victimes.
Il faut donc aller dans le sens de la responsabilisation du client, ce qui passe par sa pénalisation. Ce sera un signal fort adressé aux réseaux de proxénétisme, et je fais le pari que, en s’attaquant à la demande, on dissuadera efficacement les réseaux proxénètes d’investir sur un territoire où la législation nationale est moins favorable à la réalisation de profits criminels.
C’est pourquoi je voterai les amendements tendant à rétablir l’article 16, dont le dispositif s’inscrit tout à fait dans la logique du système abolitionniste français, qui vise à décourager la prostitution.
Rappelons que le protocole de Palerme et la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, dite convention de Varsovie, demandent aux États de « décourager la demande », qui est à l’origine de la traite des êtres humains.
Comment se satisfaire de la situation actuelle, où les prostituées sont considérées comme des délinquantes et les clients comme des innocents ? Comment lutter contre les violences à l’égard des femmes ou œuvrer pour l’égalité entre les filles et les garçons si l’on maintient le droit pour les clients de la prostitution d’exploiter le corps de l’autre, moyennant quelque argent ? Certains nous disent qu’il faut lutter contre les archaïsmes : en voilà un, particulièrement indigne, que je veux combattre, par la responsabilisation du client et sa pénalisation ! C'est aussi comme cela que l’on reconnaîtra que la femme a une place égale à celle de l’homme !
M. Philippe Kaltenbach applaudit.
Nous en arrivons à la partie la plus médiatisée de cette proposition de loi, relative à l’interdiction de l’achat d’actes sexuels. Cette question a cristallisé toute l’attention, bien souvent au détriment du reste du texte. Je regrette, avec la majorité des membres de mon groupe, que la commission spéciale nouvellement formée ait confirmé la décision de la précédente de supprimer l’article 16.
Pourquoi est-il important pour nous de revenir au texte voté par l'Assemblée nationale ?
Chacun le sait, la France est, depuis 1960 et la ratification de la Convention des Nations unies, un pays abolitionniste. La République reconnaît depuis lors que « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l’individu, de la famille et de la communauté ».
Il paraît donc indispensable de mettre fin aujourd’hui à cette violence que constitue la prostitution. Comment réfuter que celui qui paye attend la pleine satisfaction de ses exigences, s’arrogeant tous les pouvoirs ? Les témoignages recueillis durant le procès dit « du Carlton » ont d’ailleurs mis en lumière cette réalité. Si les clients décrivaient ces relations tarifées comme des « parties fines entre amis » ou des « pratiques libertines », les mots utilisés par les prostituées relevaient quant à eux du champ lexical de la violence.
Au travers des amendements visant à rétablir l’article 16, nous entendons inscrire l’achat d’actes sexuels dans la catégorie des infractions, pour marquer un interdit. Refuser la pénalisation des clients, c’est tolérer des violences sexuelles et le fait qu’on fasse du corps une marchandise, un commerce.
Les arguments qui nous sont opposés portent sur la difficulté de constater un tel délit, sur l’aggravation de la situation des prostituées, sur le constat de l’existence d’une certaine misère sexuelle à laquelle la prostitution serait la seule réponse. On avance maintenant la notion de prostitution contrainte, ce qui sous-entend qu’il y aurait une prostitution librement choisie, alors que l’on peut montrer, chiffres à l’appui, qu’elle est extrêmement minoritaire.
Allons-nous légiférer sur une situation générale ou sur quelques cas isolés ?
L’exemple de la politique menée depuis plus de quinze ans en Suède est invoqué tant par les partisans de la pénalisation du client que par ses adversaires. Toujours est-il que le commissaire de la brigade anti-prostitution de Stockholm que nous avons auditionné affirme que cette politique est efficace, notamment sur les mentalités. Aujourd’hui, il est socialement inacceptable en Suède d’acheter des prestations sexuelles. Dans ce pays, 70 % de la population est favorable à la pénalisation du client, et ce soutien est particulièrement fort parmi les jeunes. C'est bien la preuve que la loi peut faire évoluer les mentalités.
Il est à mon sens impossible de s’attaquer réellement au système prostitutionnel et à toutes les violences qu’il engendre sans pénaliser l’achat d’actes sexuels, c'est-à-dire sans affirmer une bonne fois pour toutes que les clients font partie de ce système.
Jean-François Corty, directeur des missions « France » de Médecins du monde, tient les propos suivants dans l’Humanité de ce jour : « Ce n’est pas parce qu’on aura pénalisé les clients que les prostituées auront à manger dans leur assiette. » Certes, mais qu’attend-on de cette loi ? Aujourd’hui, un certain nombre d’experts nous déconseillent de pénaliser l’acte sexuel tarifé, au motif que cette mesure ne répondrait pas à toutes les problématiques de la prostitution. Or il ne faut pas faire dire à ce texte plus qu’il ne veut dire : il doit permettre de marquer des jalons en vue de l’abolition du système prostitutionnel, en considérant tous les protagonistes comme des acteurs à part entière de la prostitution.
Refuser d’inclure les clients dans le système prostitutionnel, c'est nier la réalité de la prostitution. Quand j’entends dire que nous devrions prendre plus de temps pour travailler le texte, je me demande ce que nous avons bien pu faire depuis plus d’un an au Sénat, où deux commissions spéciales ont été constituées !
Sur cette question, il faut le dire, il y a un véritable désaccord entre nous : avons-nous, oui ou non, la volonté politique de faire quelque chose ? Pour ma part, j’estime qu’il est très important de rétablir le texte voté par l’Assemblée nationale. Nous devons vraiment réfléchir aux conséquences de nos votes, car, après avoir réintroduit, à une voix près, le délit de racolage, le Sénat risque de vider cette proposition de loi de sa substantifique moelle s’il ne rétablit pas l’article 16.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste.
Je veux remercier chaleureusement l’actuel président de la commission spéciale et son prédécesseur, Jean-Pierre Godefroy, ainsi que la rapporteur, Michelle Meunier, qui ont su conduire les débats en nous incitant à toujours approfondir notre réflexion sans jamais chercher à nous influencer.
Bien que des positions divergentes s’expriment, tous les membres de la commission spéciale sont animés par la même exigence : lutter contre les réseaux et contre la prostitution, qui est un mal social dramatique, une forme d’esclavage moderne.
On le sait, les personnes prostituées sont à 97 % des femmes étrangères, « importées » dans différents pays pour satisfaire les besoins d’une traite des corps qui représente sans doute ce qu’il y a de moins honorable dans notre société.
Cela étant, nous avons auditionné des représentants de la minorité constituée de celles et ceux qui se revendiquent comme des travailleurs du sexe. Il faut les respecter, car ils sont respectables. Pour autant, je ne retiens pas l’argument du respect de la liberté, invoqué dans son propos liminaire par Mme Jouanno.
Je suis résolument engagée dans la lutte contre les dégâts causés aux femmes par la prostitution, qu’ils soient physiques, psychologiques ou sociaux. Je rappelle que cela peut aller jusqu’à la mort. Au cours de nos travaux, j’ai entendu les témoignages de tous les acteurs de ce combat, dans les domaines de la sécurité, de la justice, de la santé. J’ai été très marquée, en particulier, par celui des membres de la cellule de l’hôpital Ambroise-Paré qui, depuis vingt-cinq ans, lutte contre les dégâts de la prostitution. Tous ces professionnels nous ont déconseillé d’adopter une mesure de pénalisation des clients, parce qu’elle rendra encore plus clandestines, invisibles et solitaires les femmes qui pratiquent la prostitution dans les conditions les plus précaires.
De plus, le client, qui aura le sentiment de prendre des risques, aura des exigences encore plus inacceptables.
Certes, de grandes personnalités du monde médical comme les professeurs Axel Kahn et Israël Nisand se prononcent en faveur de la pénalisation du client. Leur avis est tout à fait respectable, mais je ne suis pas sûre qu’ils aient une profonde connaissance de la réalité du terrain. À cet égard, je suis plus sensible à la position de Xavier Emmanuelli, dont on sait l’engagement total dans le combat qui nous réunit aujourd'hui.
Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincue que la pénalisation du client soit une mesure efficace. Je pense au contraire qu’elle peut être contre-productive, or ma position se fonde sur la recherche de l’efficacité.
Je n’ai pas non plus voté la réintroduction du délit de racolage. On me dira qu’il faut tout de même trouver des solutions. Nous nous accordons tous sur la nécessité d’assurer l’accompagnement social et la réinsertion des femmes prostituées, mais la question des moyens est essentielle : la lutte contre les réseaux de la prostitution suppose un engagement budgétaire et humain plus fort encore que celui qui est déjà consenti par le Gouvernement. J’ajoute que cette lutte doit être conduite à l’échelon européen.
Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 3 rectifié bis est présenté par Mmes Cohen et Gonthier-Maurin, M. Bosino, Mmes David et Demessine, MM. Le Scouarnec et P. Laurent, Mme Didier, MM. Bocquet et Favier et Mme Prunaud.
L'amendement n° 12 rectifié bis est présenté par Mmes Meunier, Lepage et Blondin, M. Courteau, Mmes E. Giraud, Monier, Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Kaltenbach, Carvounas, Berson, Tourenne, Gorce, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali et MM. Manable, Miquel et Durain.
L'amendement n° 31 rectifié est présenté par Mmes Jouanno, Morin-Desailly et Létard, M. Guerriau et Mmes Kammermann et Bouchart.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
A. – Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – La section 2 bis du chapitre V du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifiée :
1° Après le mot : « prostitution », la fin de l’intitulé est supprimée ;
2° L’article 225-12-1 est ainsi rédigé :
« Art. 225 -12 -1. – Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.
« Les personnes physiques coupables de la contravention prévue au présent article encourent également une ou plusieurs des peines complémentaires mentionnées à l’article 131-16 et au second alinéa de l’article 131-17.
« La récidive de la contravention prévue au présent article est punie de 3 750 € d’amende, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article 132-11.
« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est mineure ou présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à un handicap ou à un état de grossesse. » ;
3° Aux premier et dernier alinéas de l’article 225-12-2, après le mot : « peines », sont insérés les mots : « prévues au dernier alinéa de l’article 225-12-1 » ;
4° À l’article 225-12-3, la référence : « par les articles 225-12-1 et » est remplacée par les mots : « au dernier alinéa de l’article 225-12-1 et à l’article ».
II. – À la troisième phrase du sixième alinéa de l’article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles, la référence : « 225-12-1 » est remplacée par les références : « au dernier alinéa de l’article 225-12-1 et aux articles 225-12-2 ».
B. – En conséquence, rétablir le chapitre IV et son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre IV
Interdiction de l’achat d’un acte sexuel
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour défendre l'amendement n° 3 rectifié bis.
J’ai défendu cet amendement dans mon intervention sur l’article, monsieur le président.
La parole est à Mme Claudine Lepage, pour défendre l'amendement n° 12 rectifié bis.
L’article 16 ayant été supprimé par la commission spéciale, nous proposons de le rétablir tel qu’adopté par l’Assemblée nationale en première lecture.
Il s’agit donc de restaurer le quatrième pilier de la proposition de loi, à savoir la création d’une infraction de recours à la prostitution d’une personne majeure punie de la peine d’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe. L’amendement tend également à punir la récidive contraventionnelle de ces faits, passible d’une amende de 3 750 euros. La progressivité de ce dispositif pénal vise à accompagner un changement sociétal en interdisant l’achat d’un acte sexuel, considéré comme une violence.
Cet article est indispensable à l’équilibre et à la cohérence du texte de loi. Il réaffirme clairement la position abolitionniste de la France et permet d’établir concrètement que nul n'est en droit d'exploiter la précarité et la vulnérabilité d’autrui ni de disposer de son corps pour lui imposer un acte sexuel contre rémunération.
La prostitution est un phénomène sexué qui contrevient au principe d’égalité entre les hommes et les femmes. En effet, si 85 % des 20 000 à 40 000 personnes prostituées en France sont des femmes, 99 % des clients sont des hommes. Dans les années 2000, les personnes prostituées étaient à 90 % de nationalité étrangère, alors que cette proportion n’était que de 20 % en 1990. Principalement originaires de Roumanie, de Bulgarie, du Nigeria, du Brésil et de Chine, ces personnes sont le plus souvent maintenues sous la coupe de réseaux de traite et de proxénétisme organisés et violents.
Les personnes prostituées sont victimes de violences particulièrement graves qui portent atteinte à leur intégrité physique et psychique, comme le démontrent les études réalisées sur ce sujet.
Ce constat heurte plusieurs principes fondamentaux de notre droit. En premier lieu, aux termes du préambule de la convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui du 2 décembre 1949, ratifiée par la France le 19 novembre 1960, « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l’individu, de la famille et de la communauté ».
En Suède, où, en application de la loi du 4 juin 1998, modifiée par la loi du 12 mai 2011, l’achat d’actes sexuels est puni d’une amende et d’une peine d’emprisonnement, la prostitution de rue a été divisée par deux en dix ans.
Par ailleurs, rien n’indique que la prostitution dans des lieux fermés ait augmenté dans ce pays du fait de l’interdiction, ni que des personnes qui se prostituaient autrefois dans la rue se soient repliées dans des lieux fermés pour exercer cette activité. Il n’existe pas non plus de preuves de l’existence d’un lien entre la pénalisation de l’achat d’actes sexuels et la hausse des violences subies par les personnes prostituées, contrairement à ce qu’avancent certains opposants à la présente réforme.
En interdisant l’achat d’actes sexuels par le biais du rétablissement de l’article 16, nous agirons, pour la première fois, sur la demande en tant que responsable du développement de la prostitution et des réseaux d’exploitation sexuelle.
C’est un signal fort que nous adresserons aux réseaux de proxénétisme. Nous faisons le pari qu’en s’attaquant à la demande, la proposition de loi dissuadera efficacement les réseaux proxénètes d'investir sur un territoire dont la législation est moins favorable à la réalisation de profits criminels.
Enfin, cet article responsabilisera le client et renversera la charge de la preuve, qui pèse aujourd'hui sur les personnes prostituées par le biais du délit de racolage, que nous venons de rétablir.
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour défendre l'amendement n° 31 rectifié.
La question qui se pose à nous est assez simple : choisissons-nous de conserver la législation actuelle ou de la faire évoluer vers la pénalisation du client, sachant qu’une très grande majorité d’entre nous est contre le réglementarisme ?
La législation actuelle, en faisant peser la présomption de culpabilité sur la personne prostituée, a été efficace contre la prostitution dite « traditionnelle », qui est en train de disparaître. Toutefois, son application a eu pour effet pervers de favoriser le développement des réseaux, et donc de la prostitution sous contrainte, ce qui rend nécessaire une évolution de notre législation. Nous l’avons affirmé, les personnes prostituées sont d'abord des victimes. Il serait donc logique et cohérent que notre droit le reconnaisse et cesse de faire peser la présomption de culpabilité sur ces personnes.
Par ailleurs, quand on connaît les conditions d’exercice de la prostitution dans le bois de Vincennes, par exemple, on ne saurait imaginer une seule seconde que le client d’une prostituée puisse croire en toute sincérité que celle-ci est consentante et n’est pas soumise à une contrainte. Le client a une part de responsabilité dans cette forme de prostitution, …
… et il est logique que l’on inverse la charge de la preuve. On place ainsi le droit du côté des personnes prostituées.
J’entends bien la remarque de M. Godefroy sur la pénalisation du seul client ayant recours aux services d’une personne prostituée sous contrainte. Si notre débat est serein et responsable, les positions sont un peu figées, et je crains que nous ne parvenions pas à faire « bouger les lignes ». Afin de faire un pas vers une « coconstruction » législative, pour reprendre un mot à la mode, je propose de rectifier mon amendement afin d’introduire cette notion de contrainte dans la rédaction de l’article 225-12-1 du code pénal.
À titre personnel, je suis favorable à l’instauration de cette nouvelle infraction. En effet, la création de cette incrimination permettrait de renverser la charge de la preuve et de souligner enfin que la personne prostituée n’est pas la responsable de l’acte de prostitution.
En désignant le client comme partie prenante au système prostitutionnel, l'objectif est de diminuer la demande et d’agir sur l’offre. L’instauration de cette sanction du client, même relativement modérée, aurait une forte portée symbolique et poserait clairement le principe qu’il est inacceptable d’acheter un acte sexuel.
Cependant, la majorité de la commission spéciale a considéré que la création d’une telle infraction pourrait emporter des inconvénients trop importants et a donc choisi de confirmer la position qu’elle avait déjà prise en juillet dernier, en refusant encore une fois la pénalisation du client. L’avis sur ces trois amendements identiques est donc défavorable.
Il importe d'être précis dans ce débat, particulièrement lorsque l’on fait référence à des textes.
La Suède a effectivement adopté, le 4 juin 1998, une loi rendant passible d’une amende et d’une peine de prison toute personne se procurant des services sexuels en échange d’une rétribution ou d’une promesse de rétribution, quelle que soit la forme de celle-ci.
La peine de prison, d’une durée initiale de six mois, a été portée à un an en 2011. Un rapport d’évaluation portant sur l’interdiction de l’achat des services sexuels et concernant la période 1999-2008, publié en novembre 2010 par les autorités suédoises, dresse des constats positifs : en Suède, la prostitution sur la voie publique a diminué de moitié depuis 1999, sans que rien ne permette de conclure que cette baisse ait conduit à un report de la prostitution vers les lieux fermés et à une plus grande précarisation des personnes prostituées. La loi ne paraît pas avoir incité ces dernières à refuser toute forme de coopération avec les services de police. À l’inverse, il semble que leur parole se soit libérée, du fait du changement du regard porté sur elles par la société. Alors que, à la hauteur des deux tiers, l’opinion publique était opposée à la pénalisation du client avant l’adoption de la loi, la proportion est aujourd'hui inversée, en particulier parmi les jeunes : en 1996, 67 % de la population était ainsi défavorable à la pénalisation de l’achat d’actes sexuels, mais 71 % y était favorable en 2008. Outre une diminution significative du nombre de personnes prostituées, la réforme suédoise a permis de modifier la perception du phénomène prostitutionnel par la population.
Ces éléments ont été confirmés par des personnalités aussi indiscutables que Mmes Lise Tamm, chef du parquet international de Stockholm, et Anna Skarhed, chancelière de justice en Suède, auditionnées en France par la commission spéciale de l’Assemblée nationale et le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Mme Tamm a notamment indiqué que les écoutes téléphoniques menées dans le cadre d’enquêtes judiciaires portant sur les réseaux de traite mettent en évidence l’intention des chefs de réseau de quitter le territoire suédois, les trafiquants estimant qu’il est devenu trop difficile d’exploiter des femmes à des fins sexuelles en Suède, un marché désormais jugé inhospitalier.
J’ai rencontré personnellement les ministres des droits des femmes suédoises. Elles dressent un bilan très positif en s'appuyant sur le rapport précité du Gouvernement suédois. Certains donnent à entendre que la prostitution cachée aurait augmenté, mais les enquêtes policières sur les crimes liés à la prostitution et la traite n’étayent en rien ces affirmations. Par ailleurs, il n’appartient pas au gouvernement auquel j’appartiens de mettre en doute un rapport produit par le gouvernement démocratique d’un autre État membre de l'Union européenne. Il constitue donc valablement ma source sur ce sujet.
D’autres pays ont modifié leur législation ou sont en voie de le faire. Depuis 2009, des législations identiques à celle qui est applicable en Suède sont entrées en vigueur en Norvège et en Islande.
En Norvège, à l’automne 2013, la majorité conservatrice des partis soutenant le gouvernement nouvellement élu, se fondant sur un rapport, a souhaité abroger ou assouplir la loi criminalisant l’achat de services sexuels. Mais, au vu des conclusions de ce rapport, soulignant notamment une réduction de la traite, vraisemblablement liée à une évolution des mentalités, il a été finalement décidé de ne pas revenir sur la loi.
Au Canada a été adoptée, le 6 octobre 2014, une loi sanctionnant l’achat d’actes sexuels. En Irlande du Nord est examiné actuellement un texte législatif prévoyant également la pénalisation des clients de personnes prostituées. Nous ne sommes donc pas seuls à réfléchir sur ces sujets ! D’autres pays ont produit de nombreuses études et rapports pour évaluer la situation et tracer des perspectives pour l’évolution de leur législation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à porter à votre connaissance ces éléments, qui me semblent extrêmement importants. Pour légiférer dans de bonnes conditions, il est normal que nous nous nourrissions des réflexions menées dans d’autres pays de l’Union européenne.
En tout état de cause, j’émets bien évidemment sur ces amendements un avis très favorable.
Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste et sur celles du groupe CRC.
Madame la secrétaire d’État, vous venez d’évoquer le cas de la Norvège. Il est en effet nécessaire de regarder autour de nous, car nous ne sommes pas les seuls à réfléchir sur ce sujet et à en débattre.
La Norvège a effectivement décidé de pénaliser le client. Au Canada, la loi précise que la prostitution porte préjudice à toute la société en faisant apparaître le corps de la femme comme une « commodité » pouvant être achetée par ceux qui possèdent argent et pouvoir.
La prostitution a engendré des effets négatifs là où elle est pratiquée, en raison des actes criminels qui y sont liés. Comme je l’ai dit au cours de la discussion générale, c’est le plus important des trafics, dont les bénéfices viennent alimenter le terrorisme.
La loi doit poser un interdit : cela aura une réelle valeur symbolique pour nos jeunes. Aujourd'hui, dans les écoles primaires, on connaît des cas de harcèlement sexuel exercé par des petits garçons. C’est quelque chose d’absolument… Je ne trouve plus mes mots, tant je suis bouleversée par cette réalité. Je viens de lire, dans la presse quotidienne, qu’une jeune fille de 19 ans a été condamnée la semaine passée, dans l’ouest de la France, pour avoir incité deux camarades plus jeunes à se prostituer.
Notre devoir de législateur est d’adresser un signal à la jeunesse en posant un interdit.
Mme Esther Benbassa. L’argument principal des abolitionnistes est le succès supposé de la pénalisation du client en Suède. Or la réalité suédoise n’est pas aussi rose que l’on veut nous le faire croire !
M. Alain Gournac approuve.
En tant que scientifique, je suis choquée par la manipulation des chiffres pratiquée dans cette assemblée. Quand on examine les sources, on constate que les données colportées par les uns ou les autres sont inexactes. Cela témoigne d’un manque d’honnêteté intellectuelle ! §Oui, monsieur Kaltenbach, les scientifiques ont une certaine honnêteté intellectuelle !
En juillet 2012, l’ONU constatait que, depuis le début de son application en 1999, la loi suédoise, loin d’améliorer les conditions de vie des personnes prostituées, les avait au contraire aggravées. Selon la police, le commerce sexuel dans la rue a diminué de moitié en Suède. Toutefois, la prostitution dans son ensemble est restée au niveau qui était le sien avant la promulgation de la loi : elle est simplement devenue en grande partie clandestine. Son exercice s’est en effet reporté vers les hôtels et les restaurants, ainsi que vers internet et le Danemark. Selon les services suédois de police judiciaire, il est devenu plus violent. Le même constat a été établi par la Belgique, qui a pour cette raison renoncé à pénaliser les clients.
Aux termes d’un rapport produit en 2014 par le conseil administratif du comté de Stockholm à la demande du Gouvernement suédois et qui vient d’être traduit, …
… depuis 1995, le nombre de femmes prostituées dans les rues a baissé, passant de 650 à 200 ou 250. En revanche, le nombre d’escort girls et de prostituées en chambre est passé de 304 à 6 965. Quant au nombre d’hommes prostitués, il est passé de 190 à 702.
La pénalisation du client entraînerait un accroissement des risques de violences, ainsi qu’un accès beaucoup plus difficile à la prévention et aux soins médicaux pour les personnes prostituées : les associations auraient plus de mal à rencontrer celles-ci pour leur proposer les aides et services qu’elles leur fournissent aujourd’hui.
Un article paru en janvier 2015 dans la revue scientifique The Lancet souligne les effets dévastateurs d’une telle précarisation sanitaire, spécialement pour les prostituées les plus démunies, qui exerceront dans les forêts ou sur les aires d’autoroute, dans des conditions d’hygiène plus que douteuses.
Ajoutons que cette évolution s’accompagnera d’une soumission plus forte aux proxénètes, qui disposent de studios, d’appartements ou de structures d’accueil où les prostituées se rendront après avoir pris rendez-vous avec les clients, ainsi que de l’acceptation plus large de pratiques à risques, telles que les rapports sans préservatif.
Les prostituées étrangères migreront vers des pays où le client n’est pas pénalisé, ce qui ne soustraira pas ces femmes à la prostitution. Celles qui resteront en France, à savoir les prostituées traditionnelles ou occasionnelles, devront, pour maintenir leurs revenus, entrer plus avant dans la clandestinité.
Soyons pragmatiques, mais surtout honnêtes ! Avec la pénalisation des clients, cette proposition de loi, loin d’atteindre l’objectif affiché de protéger les prostituées, aggravera encore la précarité de leur condition. Luttons-nous contre le mal organisé, le proxénétisme, ou contre les prostituées ? Ce texte, qui était au départ abolitionniste, est devenu, avec le rétablissement du délit de racolage, prohibitionniste. Jusqu’où irons-nous pour instaurer la vertu dans notre société ? Nous pourrions écouter les personnes prostituées et prendre en compte leur avis, mais nous préférons, de manière despotique, régler leur vie sexuelle !
La très grande majorité du groupe RDSE, opposée à la pénalisation du client, votera contre ces amendements.
La pénalisation du client renforcera la clandestinité de la prostitution, qui s’exercera de plus en plus dans les bois, sur les aires d’autoroute, dans des lieux isolés et sordides où les prostituées seront mal protégées et à la merci des mafias et des proxénètes.
Les problèmes d’hygiène et de sécurité se trouveront ainsi aggravés.
Par ailleurs, une telle mesure est source d’injustice sociale. Frappera-t-elle les émirs, les oligarques, les joueurs de football professionnels, les clients des palaces parisiens, tous ceux qui s’offrent les services d’escort girls à 1 000 euros de l’heure ? Non, ils sont intouchables ! On poursuivra pénalement le pauvre bougre qui se sera fait prendre au bois de Boulogne. §J’ai le droit de donner mon avis !
Enfin, le droit pénal n’a pas, selon moi, à intervenir dans le domaine des pratiques sexuelles entre adultes consentants. §Ceux-ci ont le droit de disposer librement de leur corps.
Ce sont les réseaux, les proxénètes et les mafias qui posent problème. À Paris, la brigade de répression du proxénétisme regroupe actuellement cinquante policiers. Il serait à mon avis plus utile qu’ils se consacrent à la lutte contre les mafias, plutôt qu’à la chasse aux prostituées et aux clients. Selon moi, les auteurs de ces amendements se trompent de cibles.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Je voterai évidemment ces amendements.
Je n’accepte pas le procès d’intention selon lequel les partisans de la pénalisation du client ne respecteraient pas les personnes prostituées ! C’est tout le contraire, mes chers collègues !
Mme la secrétaire d’État a donné des éléments d’appréciation de l’évolution des législations dans d’autres pays. La France a opté pour l’abolitionnisme. Je crois qu’elle a eu raison de le faire, car cette question a bel et bien à voir avec celle de l’égalité entre les hommes et les femmes. Comment peut-on à la fois prôner l’égalité des sexes et considérer que l’on peut acheter ou louer un vagin ? Je le dis brutalement, parce que cela me scandalise particulièrement.
Manifestement, le chemin sera long, et un travail très important doit être fait en direction de la jeunesse. La pénalisation des clients, en posant un interdit, aurait un effet pédagogique : une moitié de l’humanité ne peut pas considérer qu’elle peut louer une partie du corps de l’autre. Ce n’est pas ainsi que l’on peut construire des rapports d’égalité.
Je voudrais combattre plusieurs idées reçues qui relèvent selon moi d’une construction culturelle et sociale, et en aucune manière d’une loi naturelle. Ainsi, selon certains, la prostitution serait un mal nécessaire pour satisfaire des pulsions sexuelles irrépressibles, on se prostitue parce qu’on le veut bien, voire parce que l’on aime cette activité, qui permettrait de gagner de l’argent facilement…
Des inspecteurs de l’Inspection générale des affaires sociales, dont le témoignage m’a beaucoup choquée, nous ont dit que, dès le secondaire, on constatait la pratique de relations sexuelles en échange d’argent ou de cadeaux par de très jeunes n’ayant pas conscience de se livrer ainsi à la prostitution.
Bien évidemment, la question de l’éducation à l’égalité dès le plus jeune âge, que la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes soutient particulièrement, a toute sa place dans ce débat.
Le code de l’éducation dispose, je le rappelle, qu’une « information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles », et qu’une « information consacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes […] est dispensée à tous les stades de la scolarité », sans plus de précisions sur les horaires et les modalités. Le problème, c’est que cette information n’est pas dispensée dans tous les établissements, cela étant laissé à l’appréciation des chefs d’établissement.
Je voudrais dire à Mme Génisson que j’ai été choquée par les propos qu’elle a tenus sur les dégâts causés par la prostitution : ma chère collègue, le meilleur moyen d’éviter que la guerre ne fasse des morts, c’est de ne pas faire la guerre !
J’ai été frappé que l’on puisse donner à entendre que la pénalisation des clients aurait eu des effets très positifs en Suède. J’ai ici un rapport que l’on ne saurait considérer comme suspect, celui de la fondation Scelles, intitulé « La prostitution masculine en plein essor ». On y apprend que, « selon une enquête réalisée par le Conseil national de la jeunesse auprès de 2 254 jeunes Suédois, parue en novembre 2012, 2, 1 % des jeunes Suédois entre 16 et 25 ans et 0, 8 % des jeunes Suédoises ont indiqué s’être prostitués au cours de l’année 2012. Au total, ce serait près de 20 000 personnes […]. De plus, les jeunes sont aussi clients, car la moitié des clients de personnes prostituées de moins de 26 ans ont eux-mêmes moins de 26 ans. Cette tranche d’âge se montre donc particulièrement tolérante à la prostitution avec 21, 9 % des personnes interrogées, notamment les garçons, trouvant acceptable que leurs pairs aient des relations sexuelles moyennant rémunération. »
Par conséquent, je m’interroge sur la portée pédagogique de la pénalisation des clients…
Au Royaume-Uni, le client est aujourd’hui pénalisé en cas de prostitution sous contrainte. L’Irlande du Nord envisage de supprimer cette condition, pour élargir la pénalisation à l’ensemble des clients de personnes prostituées, ce que refusent l’Écosse, le Pays de Galles et l’Angleterre.
La solution britannique m’aurait convenu. L’introduction de cette notion de contrainte présenterait l’avantage de pénaliser les clients des personnes prostituées qui sont exploitées, tout en se conformant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a jugé en 2007 que l’on ne pouvait porter atteinte au principe de la libre disposition par chacun de son propre corps. Elle permettrait d’aboutir à un texte équilibré, mais ce sujet mérite une discussion précise.
Actuellement, les personnes prostituées n’ont certes pas beaucoup de moyens de se défendre, mais elles peuvent tout de même le faire et affirment être organisées à cette fin. À l’avenir, en cas de pénalisation du client, celui-ci, au motif qu’il prendra des risques en recourant aux services d’une personne prostituée, imposera ses conditions en termes de rémunération, de prestation et de lieu de la rencontre. Tout se déroulera dans la plus grande clandestinité, or rien n’est pire, pour une personne prostituée, que le huis clos.
Mon objectif n’est nullement de défendre le client ; il est au contraire de protéger les personnes prostituées des dangers que leur ferait courir la pénalisation du client.
Des propositions ont été faites, certains veulent avancer. Nous ne pouvons, ce soir, en rester au statu quo sur la question de la responsabilisation du client.
Des arguments parfois contradictoires ont été invoqués par les opposants à la pénalisation du client, mais je constate que nous sommes tous d’accord pour favoriser la prévention, offrir un accompagnement social et sanitaire aux personnes prostituées et prévoir un dispositif de sortie de la prostitution sur la base du volontariat. En effet, il s’agit de femmes –majoritairement – et d’hommes brisés.
Nous ne sommes plus dans les années quatre-vingt : aujourd’hui, en France, 97 % des personnes prostituées viennent de l’étranger et travaillent pour des réseaux.
Les proxénètes les privent de leurs papiers d’identité, les réduisent souvent en esclavage, les marquent physiquement, par des scarifications ou des tatouages, afin de pouvoir les retrouver en cas de fuite, et les déplacent au gré des besoins et des saisons, du nord au sud.
Les associations que j’ai rencontrées sur le terrain demandent à la fois la suppression du délit de racolage et l’adoption de mesures de pénalisation des clients. Elles qui ont tant de mal à gagner la confiance des personnes prostituées les voient parfois disparaître pendant deux ou trois mois, prétendument pour prendre des vacances. En réalité, elles sont envoyées dans des Eros centers situés en Espagne ou en Italie. Telle est la réalité !
Nous nous apprêtons à prendre des décisions extrêmement graves, en toute connaissance de cause. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le dis encore une fois : si, au terme de son examen, ce texte ne comporte aucune avancée en matière de prévention et de responsabilisation du client, cela signifiera que vous acceptez le statu quo.
Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe CRC.
Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, je rectifie l’amendement n° 31 rectifié, afin d’introduire la notion de contrainte.
Certains de nos collègues prétendent que pénaliser le client reviendrait à fragiliser la situation de la personne prostituée, mais le rétablissement du délit de racolage emportera de plus graves conséquences de ce point de vue !
Il s’agit ici de poser un interdit. Nous avons beaucoup travaillé sur la problématique de l’hypersexualisation. On assiste à une véritable banalisation du phénomène de la prostitution, que ce soit à travers les films, les clips vidéo ou les défilés de mode. Dernièrement, Louis Vuitton a organisé un défilé sur le thème de la prostitution, ce qui n’a choqué personne…
En tant qu’abolitionniste assumée, j’estime que nous devons fixer des lignes directrices claires dans notre législation. C’est pourquoi je propose d’introduire la notion de prostitution sous contrainte, à titre de compromis. On nous dit qu’il faudrait travailler davantage sur ce sujet, mais voilà des mois que nous y travaillons : il serait peut-être temps de conclure !
Je suis donc saisi d’un amendement n° 31 rectifié bis, présenté par Mmes Jouanno, Morin-Desailly et Létard, M. Guerriau et Mmes Kammermann et Bouchart, et ainsi libellé :
A. – Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – La section 2 bis du chapitre V du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifiée :
1° Après le mot : « prostitution », la fin de l’intitulé est supprimée ;
2° L’article 225-12-1 est ainsi rédigé :
« Art. 225 -12 -1. – Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre sous contrainte à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.
« Les personnes physiques coupables de la contravention prévue au présent article encourent également une ou plusieurs des peines complémentaires mentionnées à l’article 131-16 et au second alinéa de l’article 131-17.
« La récidive de la contravention prévue au présent article est punie de 3 750 € d’amende, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article 132-11.
« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est mineure ou présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à un handicap ou à un état de grossesse. » ;
3° Aux premier et dernier alinéas de l’article 225-12-2, après le mot : « peines », sont insérés les mots : « prévues au dernier alinéa de l’article 225-12-1 » ;
4° À l’article 225-12-3, la référence : « par les articles 225-12-1 et » est remplacée par les mots : « au dernier alinéa de l’article 225-12-1 et à l’article ».
II. – À la troisième phrase du sixième alinéa de l’article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles, la référence : « 225-12-1 » est remplacée par les références : « au dernier alinéa de l’article 225-12-1 et aux articles 225-12-2 ».
B. – En conséquence, rétablir le chapitre IV et son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre IV
Interdiction de l’achat d’un acte sexuel
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Au motif de parvenir à un compromis, Mme Jouanno vient de rectifier son amendement pour introduire la notion de contrainte, rejoignant ainsi la position de M. Godefroy.
C’est faire bien peu de cas de ce qu’expliquait à l’instant Mme la secrétaire d’État. Introduire la notion de prostitution sous contrainte, c’est sous-entendre qu’existerait une prostitution librement choisie. Or les chiffres montrent que la grande majorité des prostituées sont soumises à des réseaux criminels. Disant cela, j’ai moi aussi la prétention, de par ma formation scientifique, psychologique et parlementaire, d’être honnête intellectuellement.
Par conséquent, je suis totalement opposée à ce que l’on donne à entendre, pour obtenir un semblant de consensus, qu’il existerait une prostitution librement consentie. Ma position n’est pas dogmatique, elle se fonde sur la réalité du système prostitutionnel, qui repose sur des réseaux mafieux réduisant les femmes en esclavage, les déplaçant selon les besoins, marquant leurs corps !
Quand la pauvreté sévit en France, en Europe et dans le monde, en frappant surtout les femmes, quand les réseaux mafieux sont extrêmement puissants et de plus en plus violents, où est le libre choix de la prostitution ?
Notre responsabilité politique est d’assumer pleinement la réalité de la situation et d’affirmer nettement que la prostitution est une violence et que le client doit être responsabilisé.
Par ailleurs, je mets au défi quiconque de définir dans quelles situations s’exerce une contrainte ! Va-t-on demander aux prostituées si elles ont librement choisi cette activité ? Elles vivent, ainsi que leurs familles restées au pays, sous la menace ! Va-t-on renoncer à légiférer de manière générale, madame Benbassa, au prétexte de l’existence d’un pourcentage infime de femmes et d’hommes qui choisissent librement de se prostituer ?
Mme Esther Benbassa s’exclame.
J’attire l’attention du Sénat sur le fait qu’introduire la notion de contrainte au nom de la recherche du compromis risque d’avoir de très graves conséquences.
La commission spéciale sollicite une brève suspension de séance, monsieur le président, afin de pouvoir se réunir. De toute évidence, la rectification de l’amendement de Mme Jouanno introduit une approche différente.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinquante-cinq.
La séance est reprise.
La parole est à M. le président de la commission spéciale.
La commission spéciale demande que le Sénat se prononce en priorité sur l’amendement n° 31 rectifié bis. S’il est adopté, les deux autres amendements deviendront sans objet.
Je suis donc saisi d’une demande de priorité de la commission spéciale portant sur l’amendement n° 31 rectifié bis.
Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est donc l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
Comme je l’ai déjà indiqué, aujourd’hui, 97 % des personnes prostituées sont sous la coupe de réseaux pratiquant la traite d’êtres humains, ce qui emporte des conséquences extrêmement lourdes pour leur santé physique et psychologique.
Cet amendement représente certes une légère avancée, mais il n’est pas satisfaisant au regard de l’objectif visé, à savoir nous donner tous les moyens de lutter efficacement contre les réseaux de prostitution.
Je ne suis pas non plus convaincue qu’il envoie un message suffisamment clair. L’achat d’un acte sexuel doit être clairement dénoncé comme une violence. Il contribue en outre à alimenter les réseaux.
En conclusion, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur l’amendement n° 31 rectifié bis. Par ailleurs, j’émets un avis favorable sur la demande de priorité.
La priorité est ordonnée.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 31 rectifié bis ?
La commission spéciale n’ayant pu se prononcer sur cet amendement, je m’exprimerai à titre personnel.
En adoptant un tel amendement, le Sénat semblerait indiquer que, à côté d’une prostitution sous contrainte, dont le client serait puni, il en existe une autre, plus acceptable, ne donnant pas lieu à pénalisation. Je ne saurais l’accepter.
Certes, il convient d’éviter le statu quo et de ne pas en rester à l’absence de pénalisation des clients dans tous les cas, mais il faut aussi se garder d’adresser un message qui manquerait à la fois de clarté et de justice envers les personnes prostituées. C’est pourquoi je suis défavorable à cet amendement.
En tout état de cause, j’espère que la navette parlementaire permettra une clarification.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote sur l’amendement n° 31 rectifié bis.
Nous voterons contre cet amendement.
Je rappelle que le Sénat a précédemment réintroduit le délit de racolage et remis en cause l’automaticité de la délivrance de l’autorisation provisoire de séjour. Dans ce contexte, l’introduction de la notion de contrainte sonne comme un pis-aller. Surtout, elle accrédite l’idée selon laquelle un certain nombre de personnes se prostitueraient de gaieté de cœur, si j’ose dire, sans contrainte. Or tous nos travaux ont montré que l’immense majorité des prostituées sont sous l’emprise de réseaux de traite d’êtres humains ou, en tout cas, se livrent à la prostitution parce qu’elles y sont contraintes par leur situation économique.
Encore une fois, parmi toutes les prostituées que j’ai eu l’occasion de rencontrer, y compris celles qui affirment se prostituer par choix, il n’en est aucune qui n’ait fini par avouer avoir perdu toute estime d’elle-même. Certaines cachent même à leurs enfants leur condition de prostituée.
Je mets aux voix l'amendement n° 31 rectifié bis.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que Mme la rapporteur a émis, à titre personnel, un avis défavorable et que le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 113 :
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 3 rectifié bis et 12 rectifié bis.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que l’avis du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 114 :
Le Sénat n’a pas adopté.
En conséquence, l'article 16 demeure supprimé.
(Supprimé)
Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les amendements n° 4 rectifié bis et 14 rectifié ter sont identiques.
L'amendement n° 4 rectifié bis est présenté par Mmes Cohen et Gonthier-Maurin, M. Bosino, Mmes David et Demessine, M. Le Scouarnec, Mme Didier, M. P. Laurent, Mme Prunaud et MM. Bocquet et Favier.
L'amendement n° 14 rectifié ter est présenté par Mmes Meunier, Lepage et Blondin, M. Courteau, Mmes E. Giraud, Monier, Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Kaltenbach, Carvounas, Berson, Tourenne, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali et MM. Manable, Miquel et Durain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
A. – Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° Après le 9° de l’article 131-16, il est inséré un 9° bis ainsi rédigé :
« 9° bis l’obligation d’accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels ; »
2° Au premier alinéa de l’article 131-35-1, après le mot : « stupéfiants », sont insérés les mots : « un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels » ;
3° Le I de l’article 225-20 est complété par un 9° ainsi rédigé :
« 9° L’obligation d’accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels, selon les modalités fixées à l’article 131-35-1. »
II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au 2° de l’article 41-1, après le mot : « parentale », sont insérés les mots : «, d’un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels » ;
2° Après le 18° de l’article 41-2, il est inséré un 19° ainsi rédigé :
« 19° Accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels. »
B. – En conséquence, rétablir le chapitre IV et son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre IV
Interdiction de l’achat d’un acte sexuel
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié bis.
L’article 16 demeurant supprimé, cet amendement visant à rétablir l’article 17 n’a malheureusement plus d’objet, me semble-t-il… Je le retire donc.
L'amendement n° 4 rectifié bis est retiré.
La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l'amendement n° 14 rectifié ter.
Je le retire aussi, par cohérence avec le maintien de la suppression de l’article 16, dont l’article 17 tendait à compléter le dispositif.
L'amendement n° 14 rectifié ter est retiré.
L'amendement n° 32 rectifié, présenté par Mmes Jouanno, Morin-Desailly et Létard, M. Guerriau et Mme Kammermann, est ainsi libellé :
A. – Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° Après le 9° de l'article 131-16, il est inséré un 9° bis ainsi rédigé :
« 9° bis L'obligation d'accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution ; »
2° Au premier alinéa de l'article 131-35-1, après le mot : « stupéfiants », sont insérés les mots : «, un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution » ;
3° Le I de l'article 225-20 est complété par un 9° ainsi rédigé :
« 9° L'obligation d'accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution, selon les modalités fixées à l'article 131-35-1. »
II. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au 2° de l'article 41-1, après le mot : « parentale », sont insérés les mots : «, d'un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution » ;
2° Après le 18° de l'article 41-2, il est inséré un 19° ainsi rédigé :
« 19° Accomplir, le cas échéant à ses frais, un stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution. »
B. – En conséquence, rétablir le chapitre IV et son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre IV
Interdiction de l’achat d’un acte sexuel
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
L'amendement n° 32 rectifié est retiré.
En conséquence, l’article 17 demeure supprimé.
Nous en revenons à l’article 4, précédemment réservé.
I. –
Non modifié
II. – Les ressources du fonds sont constituées par :
1° Des crédits de l’État affectés à ces actions et dont le montant est arrêté en loi de finances ;
2° Les recettes provenant de la confiscation des biens et produits prévue au 1° de l’article 225-24 du code pénal ;
3°
Supprimé
III. –
1° Après les mots : « les articles », sont insérés les mots : « 225-4-1 à 225-4-9 et » ;
2° Après les mots : « la personne », sont insérés les mots : « victime de la traite des êtres humains ou ».
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 15 rectifié bis est présenté par Mmes Meunier, Blondin et Lepage, M. Courteau, Mmes E. Giraud, Monier, Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Kaltenbach, Carvounas, Berson, Tourenne, Gorce, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali et MM. Manable, Miquel et Durain.
L'amendement n° 34 rectifié est présenté par Mmes Jouanno, Morin-Desailly et Létard, MM. Roche et Guerriau et Mme Kammermann.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5
Rétablir le 3° dans la rédaction suivante :
3° Un montant, déterminé annuellement par arrêté interministériel, prélevé sur le produit des amendes prévues à l’article 225-12-1 du même code.
La parole est à Mme Michelle Meunier, pour présenter l'amendement n° 15 rectifié bis.
Par cohérence avec le maintien de la suppression de l’article 16, je retire cet amendement, devenu sans objet.
L'amendement n° 15 rectifié bis est retiré.
La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l'amendement n° 34 rectifié.
L'article 4 est adopté.
Le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’application de la présente loi deux ans après sa promulgation. Ce rapport dresse le bilan :
1° Des actions de coopération européenne et internationale engagées par la France pour la lutte contre les réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains ;
2° Des mesures d’accompagnement prévues à l’article L. 121-9 du code de l’action sociale et des familles ;
3° De l’information prévue à l’article L. 312-17-1-1 du code de l’éducation.
Il présente l’évolution :
1° De la prostitution sur internet ;
2° De la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées ;
3° De la situation, du repérage et de la prise en charge des mineurs victimes de la prostitution et des étudiants contraints de s’y livrer ;
4° De la prostitution dans les zones transfrontalières ;
5° Du nombre de condamnations pour proxénétisme et pour traite des êtres humains. –
Adopté.
(Suppression maintenue)
(Non modifié)
La présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. –
Adopté.
(Suppression maintenue)
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 5 rectifié est présenté par Mmes Cohen et Gonthier-Maurin.
L'amendement n° 20 rectifié bis est présenté par Mmes Meunier, Lepage et Blondin, M. Courteau, Mmes E. Giraud, Monier, Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Kaltenbach, Carvounas, Berson, Tourenne, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali, MM. Manable et Miquel, Mmes Cartron, Génisson et Conway-Mouret et M. Durain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel et l'accompagnement des personnes prostituées.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié.
Nous souhaitions modifier l’intitulé de la proposition de loi pour faire référence à l’accompagnement des personnes prostituées, mais cela paraît vain dès lors que le texte a été dépecé et vidé de son sens par le Sénat avec la réintroduction du délit de racolage et le refus de la pénalisation des clients de la prostitution…
L'amendement n° 5 rectifié est retiré.
La parole est à Mme Maryvonne Blondin, pour présenter l'amendement n° 20 rectifié bis.
L'amendement n° 20 rectifié bis est retiré.
La parole est à Mme la rapporteur.
Dans la mesure où la pénalisation du client a été rejetée, on ne peut plus parler de « système prostitutionnel ». Ces amendements n’avaient donc plus lieu d’être.
Je regrette que, ce soir, le statu quo ait prévalu sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel. Cela étant, je tiens à remercier l’ensemble des participants à ce débat, tout en déplorant que nous ne disposions plus des outils nécessaires pour lutter contre le système prostitutionnel, pour aider les personnes prostituées à sortir de leur situation de violence et de contrainte. Les Françaises et les Français jugeront !
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt-trois heures vingt, est reprise à vingt-trois heures trente-cinq.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
Le groupe du RDSE regrette que le bon équilibre trouvé par la commission spéciale n’ait pas été respecté.
À la suite de mon collègue et ami Guillaume Arnell, je rappellerai les éléments sur lesquels nous fondons notre opposition tant au délit de racolage passif qu’à la pénalisation du client.
Le bilan de l’institution du délit de racolage passif est désastreux. Douze ans après la mise en place de ce délit, les problèmes auxquels elle était censée répondre se posent toujours et elle a, au contraire, produit des effets pervers tels que l’aggravation de la précarité des personnes prostituées et le renforcement des réseaux mafieux.
Ceux qui souhaitaient maintenir ce délit auraient été bien inspirés de retravailler sur sa définition. En effet, aujourd’hui, l’absence de définition précise du racolage passif permet l’arrestation de n’importe quelle personne sur la seule base de sa tenue vestimentaire ! Comme cela a été rappelé, cette double peine – double, car elle s’applique à une personne qui est déjà victime en se livrant à la prostitution – favorise la stigmatisation des prostitués.
La réduction des chiffres de la prostitution ne figure même pas parmi les bienfaits attendus de la création de cette infraction.
De plus, le nombre de personnes mises en cause pour racolage par la police nationale n’a cessé de baisser depuis 2003 : il est passé de 3 290 en 2004 à 1 800 en 2008, puis à 1 340 en 2009. À Paris, le taux de défèrement, qui était de 38 % en 2005, a été nul en 2009.
Le phénomène de la prostitution n’a pas disparu ; il est seulement caché par l’éloignement des prostitués hors des centres urbains. Les nuisances urbaines ont certes diminué. Mais à quel prix ! Celui de la santé et de la sécurité des prostitués, qui sont susceptibles d’être victimes d’agressions et d’attaques, ou encore de chantage de la part d’individus mal intentionnés.
La logique répressive est un contresens. Il est impossible de rétablir le délit de racolage passif en créant dans le même temps l’accompagnement social et sanitaire des prostitués, auxquels on confère le statut de « délinquants ».
Nous regrettons donc que le Sénat ait rétabli d’une voix, par 162 voix contre 161, le délit de racolage passif, qui a fait la preuve de son inefficacité. Il s’agit d’une pure mesure d’affichage, aux effets pervers avérés.
Nous saluons, a contrario, le maintien de la suppression de la pénalisation des clients. On l’a dit, l’initiative qui a été prise par la Suède en 1999 n’a pas été suivie des effets miraculeux espérés. Une professeur d’université a même écrit un article intitulé : « Prostitution : Stockholm, la ville où le client est invisible. »
Le raisonnement des abolitionnistes est simple : tarir la demande, c’est abolir la prostitution. Si nous souscrivons à l’objectif, le bon sens et la prise en compte de la réalité nous interdisent de partager ce raisonnement : la prostitution ne sera pas abolie par ce biais ; la situation des prostitués sera seulement rendue encore plus précaire.
Pénaliser les clients, c’est exposer les prostitués à leur violence. Il en va d’ailleurs de même du délit de racolage passif, qui a fait long feu. Toutes les associations féministes le répètent. Élisabeth Badinter ainsi que l’ancien garde des sceaux et sénateur Robert Badinter l’ont également souligné devant la commission spéciale, et ils ne peuvent ni l’une ni l’autre être soupçonnés de complaisance envers les réseaux mafieux, non plus que de naïveté quant à la condition sociale et sanitaire des personnes prostituées.
La pénalisation du client est très clairement une fausse bonne solution. Cela ne marchera pas ! On ne décrète pas la fin de la prostitution en prenant une décision légale. Il faut engager une politique de prévention, en accompagnant le mieux possible les personnes recourant à la prostitution, c'est-à-dire aussi bien les prostitués que les clients. Il faut que la puissance publique protège et soutienne ces femmes et ces hommes qui souhaitent en sortir.
Le groupe du RDSE salue les avancées d’ordre sanitaire et social, certes de portée inégale et sans doute insuffisantes, ainsi que les mesures de prévention prévues par ce texte. Mais, à l’heure où la prostitution n’est qu’un maillon d’une longue chaîne et où la proportion de personnes prostituées étrangères sur la voie publique atteint 90 %, la traite humaine ne peut être abolie que si des efforts sont réalisés en matière de coopération européenne et internationale pour tarir les filons, très lucratifs, de la misère exploités par les réseaux mafieux.
Enfin, j’exprimerai un regret. Nous avons peu parlé de la prostitution des mineurs, qui prend des proportions inquiétantes et évidemment inacceptables. Ce problème requiert un traitement spécifique et adapté.
Opposé tout à la fois au délit de racolage passif et à la pénalisation du client, soucieux d’une politique active en matière d’aide et de soutien aux prostitués, le groupe du RDSE, dans sa grande majorité, s’abstiendra sur le texte issu de nos travaux en séance publique.
Je suis au regret de dire que le groupe CRC votera contre cette proposition de loi, qui a été totalement dénaturée, ainsi que je l’ai déjà relevé.
En effet, les quatre piliers du texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale ont disparu. Je les rappelle : la protection et l’accompagnement des prostituées ; la prévention destinée à éviter que des personnes entrent dans le système prostitutionnel ; la lutte contre les réseaux ; la pénalisation de l’acte tarifé, induisant la responsabilisation du client.
Il s’agit donc d’un rendez-vous manqué.
Il n’est pas acceptable que le Sénat, comme l’a fort justement indiqué Mme la secrétaire d’État, entérine un statu quo alors que nous avons dû attendre si longtemps pour que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour de nos travaux.
C’est d’autant plus dommageable que les associations féministes et abolitionnistes ont permis, par leur engagement, de franchir de nouvelles étapes. Ainsi, la prostitution est aujourd'hui considérée comme un problème non plus individuel, mais véritablement social, sociétal et politique.
En opérant un retour de dix ans en arrière, avec la réintroduction – à une voix près ! – de la pénalisation des prostituées, en les criminalisant, nous avons raté le rendez-vous parlementaire : avec le délit de racolage passif, elles sont en effet considérées comme des criminelles.
Par ailleurs, nous avons refusé de pénaliser l’acte sexuel tarifé, qui reste, selon moi, un moyen de responsabiliser le client, même si, à lui seul, il n’est pas suffisant.
Je suis particulièrement choquée par les blocages que suscite cette responsabilisation du client, par l’entêtement de certains à considérer que ce dernier n’est pas acteur du système prostitutionnel et à ne pas voir que la prostitution est en fait une violence extrême infligée aux femmes. Les prostituées, dans leur majorité, sont entre les mains de réseaux terriblement violents, qui drainent énormément d’argent – la prostitution est un marché juteux, au même titre que les armes et la drogue.
Le Sénat n’a pas été à la hauteur : il n’a pas pris la mesure de cette violence, il n’a pas envoyé le message qui s’imposait, et que les prostituées, dans leur majorité, attendaient.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas cette proposition de loi, alors que nous avions apporté notre soutien au texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, qui avait l’approbation du Gouvernement.
Je veux le réaffirmer ici – il faut s’écouter les uns les autres, et c’est ce que j’ai essayé de faire ! –, la position que je défends ici, que ce soit en mon nom propre ou au nom du groupe CRC, n’est pas moralisatrice. Nous n’avons pas suffisamment pris en compte le fait que, comme le montrent de récentes études, le client de la prostitution, c’est M. Tout-le-Monde, lui-même victime d’un formatage social où la masculinité, la virilité passe par la domination.
Il faut que la société dise au client que le corps n’est pas une marchandise ; elle doit conduire ce client à se responsabiliser, voire à envisager son rapport aux autres d’une façon différente et, certainement, plus libératrice aussi pour lui.
Selon moi, la pénalisation du client serait un acte fondateur d’une nouvelle liberté pour les femmes et les hommes, en aidant à libérer les uns et les autres du système prostitutionnel, afin d’avancer sur le chemin d’une société d’émancipation humaine. On est donc bien loin d’une démarche moralisatrice !
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC votera contre cette proposition de loi telle qu’elle nous résulte des travaux du Sénat.
Ce texte, issu d’un long travail parlementaire entamé en septembre 2010 par les députés Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, a donné lieu à de nombreux débats, où chacun a pu intervenir : les personnes prostituées, les associations spécialisées, les pouvoirs publics, la presse, les clients et l’ensemble de la population.
Le texte sur lequel nous devons maintenant nous prononcer n’a plus grand-chose à voir avec celui sur lequel nous avons travaillé.
Ce soir, les mots de François Hollande résonnent bien étrangement : « La prostitution est une des expressions les plus frappantes de ces inégalités et violences qui perdurent dans notre société et dans le monde. Si chacun est libre de disposer de son corps, les droits humains et la dignité humaine sont incompatibles avec le fait qu’une personne ait le droit de disposer librement du corps d’une autre personne parce qu’il a payé. »
En effet, notre assemblée a opéré un véritable rétropédalage : seule est coupable la personne prostituée, c’est-à-dire dans près de 90 % des cas une femme exploitée par un réseau international de proxénétisme. Le client, dont la demande est justement à l’origine de l’asservissement de cette femme est, lui, blanc comme neige. On marche sur la tête !
La prostitution n’est pas « le plus vieux métier du monde », comme le répètent certains. En revanche, c’est bien l’une des activités les plus violentes du monde, et l’expression de dominations multiples.
Or notre rôle de législateur est un moyen de pallier, autant que faire se peut, les inégalités et les rapports de domination. Je ne puis cautionner une entreprise d’avilissement de la personne humaine et d’exploitation commerciale de la précarité dans le cadre de rapports marchands fondés sur la domination.
Et je me refuse à assimiler la prostitution à une ultime liberté des femmes de disposer de leur corps, sordide cache-sexe bien utile à ceux qui ne souhaitent pas œuvrer à une société plus égalitaire et progressiste. Ne l’oublions pas, « dire que les femmes ont le droit de se vendre, c’est masquer que les hommes ont le droit de les acheter », pour reprendre les mots de Françoise Héritier
Je réfute tout autant l’accusation, si commode, d’être une « Mère la morale liberticide » : la sexualité de chacun, dans sa vie privée, a les meilleures raisons d’être multiple, variée, originale, dès lors qu’elle est libre et s’accompagne donc d’un désir partagé. Dans ce domaine aussi, nous avons droit à d’autres rapports que ceux qui sont guidés par la loi du plus fort.
Nous devions vivre un moment important, manifester la volonté du Sénat de répondre aux aspirations de la société. Vous avez pu lire, et encore hier, de nombreuses tribunes signées par des médecins, des associations d’aide aux victimes et de lutte contre les violences sexuelles et sexistes qui témoignent de la violence intrinsèque de la prostitution, mais aussi des tribunes signées par des intellectuels, des jeunes, des mouvements syndicaux, plus de deux cents maires et conseillers municipaux, qui demandent une dépénalisation des prostituées et une responsabilisation des clients.
Le texte sur lequel nous devons maintenant nous prononcer est dénaturé et tourne le dos à la conception française abolitionniste, vieille de plus de cinquante ans. Les débats se sont focalisés sur la pénalisation du client, et voilà le navrant résultat !
Par son adoption nous enverrions un message des plus rétrogrades à toutes les prostituées et à nos voisins européens, y compris ceux qui ont fait le choix de la réglementation et en dressent aujourd’hui le désastreux bilan en termes de développement des réseaux et de précarisation des prostituées.
La mise en place du parcours de sortie de la prostitution et la volonté réitérée de lutter contre les réseaux conduiront cependant la majorité du groupe socialiste à s’abstenir. À titre personnel, néanmoins, je voterai contre le texte.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
M’exprimant en cet instant à titre personnel, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne vous cacherai pas que j’éprouve, moi aussi, de l’amertume à l’issue de nos travaux en séance publique.
Lors de la discussion générale, je me réjouissais du vote à venir sur une question qui est certes difficile, mais qui met en jeu l’égalité entre les femmes et les hommes. La proposition de loi était équilibrée et portait un message clair et précis, à la fois pour les réseaux et les proxénètes, pour les personnes prostituées et pour les clients. Hélas ! après les votes qui ont eu lieu, il n’en est plus rien. Je suis déçue et même profondément attristée. Plutôt qu’un statu quo je vois maintenant dans le texte une régression, un retour à l’esprit qui avait prévalu en 2003.
Ce sentiment d’amertume me conduira à voter contre ce texte.
Toutefois, je tiens à être positive et constructive ; je me dis que cette proposition de loi va poursuivre son cheminement législatif et que tout n’est pas perdu. Je veux croire que nos collègues députés lui restitueront son esprit originel, avec notre concours, monsieur le président de la commission spéciale, car je pense que nous ne baisserons pas les bras : d’une manière ou d’une autre, nous retrouverons des terrains d’entente pour faire progresser ce texte dans le sens de l’intérêt général, et surtout en faveur des personnes prostituées.
Il reste que, pour l’heure, au regard de nos votes, je suis sceptique quant à la possibilité de mettre en œuvre les mesures que nous avons décidées concernant l’accompagnement et la protection des personnes prostituées. C’est aussi en cela que le texte issu de nos débats ne reflète pas du tout le travail effectué ces derniers mois.
Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe CRC.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, beaucoup ont exprimé leur déception face à l’aboutissement de nos échanges.
Je rejoins en partie, même si je sais que mon groupe aura une appréciation différente, ce qu’a exprimé Mme Meunier.
Durant les débats, qu’il s’agisse du rétablissement du délit de racolage ou de la pénalisation du client, de multiples points de vue ont été avancés, montrant que, de toute évidence, malgré le travail important effectué par la commission spéciale, les positions restaient très différentes. Pour autant, je ne parlerai pas d’affrontement, car, nous l’avons vu, sur bien des points, y compris des points essentiels, nous nous rejoignons : nous sommes tous d’accord pour dire que, à défaut d’éradiquer, il faut s’engager résolument dans la lutte contre les réseaux. Cela signifie que nous avons encore du travail devant nous.
Oui, nous avons rétabli le délit de racolage passif. Dès lors, j’ai quelque mal à entendre que nous faisons des prostituées des criminelles.
Mais les mots ont un sens, ma chère collègue : en matière pénale, est un criminel celui qui commet un crime. Que je sache, le délit de racolage est un délit ! Il faut donner aux mots le sens qu’ils ont, surtout quand on parle de délit et de crime.
Les échanges ont été de bonne qualité. Je vous le dis très franchement, madame la secrétaire d’État, des oppositions se sont manifestées, mais elles portaient non pas tant sur le fond des mesures en cause que sur leur portée attendue.
Cela étant, on l’a dit, nous ne sommes pas dans le cadre d’une procédure accélérée : cette proposition de loi pourra bénéficier d’un aller et retour entre le Sénat et l’Assemblée nationale. J’espère que, sur beaucoup des points abordés, il sera porté remède aux insuffisances ou faiblesses qui demeurent.
Le vote de ce soir est donc une étape. À cette occasion, le groupe UMP se prononcera favorablement sur ce texte. Formons le vœu que nous pourrons avancer ensemble au cours des débats futurs, y compris par un dialogue avec l’Assemblée nationale, car il s’agit d’un sujet fondamental puisqu’il est question de l’honneur de la condition humaine.
Ce texte s’est trompé de cible dès le début et il finit sous une forme prohibitionniste. C’était son sort !
Si nous voulons aider à l’émancipation des femmes, il faut leur donner la possibilité de s’émanciper, en s’attaquant par exemple avec vigueur aux réseaux, en investissant des fonds suffisants pour soutenir celles qui veulent sortir de la prostitution, en prévoyant en amont l’éducation des jeunes à l’égalité femmes-hommes, et surtout en faisant en sorte que l’inégalité sociale n’aboutisse pas à l’exercice de la prostitution.
Ni la répression ni la vertu, comme vous le savez, n’ont jamais réglé la question de la pauvreté ou de la misère.
Mon groupe ne votera pas ce texte détricoté.
J’avais beaucoup d’espoir quand nous avons entamé ce débat, dont le ton a d’ailleurs été globalement très respectueux. Il me semblait que tout le monde partageait la même vision de la prostitution, telle qu’elle s’exerce aujourd’hui : chacun a expliqué, la main sur le cœur, qu’elle est le fait de personnes qui sont des victimes et non des coupables.
J’ai été plutôt consensuelle et constructive ; je ne le resterai pas très longtemps. Ce que j’éprouve à l’issue de ce débat, c’est une immense amertume et une profonde tristesse. Il s’agit vraiment d’une occasion ratée pour le Sénat, qui adresse un message à contre-courant à la fois de la société et de la réalité de la prostitution.
Les personnes prostituées sont toujours présumées coupables. Elles le sont à travers le délit de racolage ou encore, par exemple, du fait que l’autorisation de séjour dépend de la décision souveraine du préfet.
Les clients, toujours parés de leur vertu, ne sont présumés coupables de rien, pas même de complicité. On peut faire tout ce qu’on veut en termes d’éducation à l’égalité, mais, si on laisse se déployer ce message selon lequel la prostitution relève d’une fatalité à laquelle il faudrait se résoudre, on valide un message d’inégalité.
Quand je vois la banalisation dont fait aujourd'hui l’objet le développement de la prostitution, donnant lieu à une espèce de néoromantisme
Mme Esther Benbassa s’exclame.
Madame Benbassa, vous pouvez râler, mais vous me concéderez que, quand on met en scène la prostitution dans un défilé de mode, c’est un très mauvais message qu’on envoie à la société.
En tout cas, ce n’est pas de cette société que je veux pour la France, et je suis très déçue.
Au cours de ce vote, le groupe UDI-UC fera du « tricolore ». Pour ma part, je voterai contre ce texte.
Mmes Brigitte Gonthier-Maurin et Éliane Giraud applaudissent.
Je constate que, à l’issue de cette discussion, les personnes prostituées sont toujours délinquantes, le client est toujours roi et les réseaux ont de belles heures devant eux, malgré le travail acharné de nos forces de l’ordre et de nos magistrats.
Pour sa part, le Gouvernement continuera de travailler au côté des associations, que je tiens à saluer pour l’œuvre difficile qu’elles accomplissent auprès de personnes qui ont peur, qui se cachent et qui, parce que le statu quo a été entériné ce soir, ne pourront bénéficier ni des avancées les plus ambitieuses dont ce texte était porteur ni même de celles dont le Sénat l’a enrichi en matière d’accompagnement sur les plans sanitaire et social.
Permettez-moi de remercier la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains, qui m’a prêté son concours, et de féliciter une nouvelle fois les associations qui accompagnent les personnes prostituées.
Je forme le vœu que la deuxième lecture de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale ouvre la voie à de nouvelles avancées !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme la rapporteur applaudit également.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble de la proposition de loi visant à la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, contre le proxénétisme et pour l’accompagnement des personnes prostituées.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 115 :
Le Sénat a adopté.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 31 mars 2015, à neuf heures trente :
Quatre questions orales.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée le mardi 31 mars 2015, à zéro heure cinq.