Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 30 mars 2015 à 21h30
Prostitution — Vote sur l'ensemble

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Je suis au regret de dire que le groupe CRC votera contre cette proposition de loi, qui a été totalement dénaturée, ainsi que je l’ai déjà relevé.

En effet, les quatre piliers du texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale ont disparu. Je les rappelle : la protection et l’accompagnement des prostituées ; la prévention destinée à éviter que des personnes entrent dans le système prostitutionnel ; la lutte contre les réseaux ; la pénalisation de l’acte tarifé, induisant la responsabilisation du client.

Il s’agit donc d’un rendez-vous manqué.

Il n’est pas acceptable que le Sénat, comme l’a fort justement indiqué Mme la secrétaire d’État, entérine un statu quo alors que nous avons dû attendre si longtemps pour que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour de nos travaux.

C’est d’autant plus dommageable que les associations féministes et abolitionnistes ont permis, par leur engagement, de franchir de nouvelles étapes. Ainsi, la prostitution est aujourd'hui considérée comme un problème non plus individuel, mais véritablement social, sociétal et politique.

En opérant un retour de dix ans en arrière, avec la réintroduction – à une voix près ! – de la pénalisation des prostituées, en les criminalisant, nous avons raté le rendez-vous parlementaire : avec le délit de racolage passif, elles sont en effet considérées comme des criminelles.

Par ailleurs, nous avons refusé de pénaliser l’acte sexuel tarifé, qui reste, selon moi, un moyen de responsabiliser le client, même si, à lui seul, il n’est pas suffisant.

Je suis particulièrement choquée par les blocages que suscite cette responsabilisation du client, par l’entêtement de certains à considérer que ce dernier n’est pas acteur du système prostitutionnel et à ne pas voir que la prostitution est en fait une violence extrême infligée aux femmes. Les prostituées, dans leur majorité, sont entre les mains de réseaux terriblement violents, qui drainent énormément d’argent – la prostitution est un marché juteux, au même titre que les armes et la drogue.

Le Sénat n’a pas été à la hauteur : il n’a pas pris la mesure de cette violence, il n’a pas envoyé le message qui s’imposait, et que les prostituées, dans leur majorité, attendaient.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas cette proposition de loi, alors que nous avions apporté notre soutien au texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, qui avait l’approbation du Gouvernement.

Je veux le réaffirmer ici – il faut s’écouter les uns les autres, et c’est ce que j’ai essayé de faire ! –, la position que je défends ici, que ce soit en mon nom propre ou au nom du groupe CRC, n’est pas moralisatrice. Nous n’avons pas suffisamment pris en compte le fait que, comme le montrent de récentes études, le client de la prostitution, c’est M. Tout-le-Monde, lui-même victime d’un formatage social où la masculinité, la virilité passe par la domination.

Il faut que la société dise au client que le corps n’est pas une marchandise ; elle doit conduire ce client à se responsabiliser, voire à envisager son rapport aux autres d’une façon différente et, certainement, plus libératrice aussi pour lui.

Selon moi, la pénalisation du client serait un acte fondateur d’une nouvelle liberté pour les femmes et les hommes, en aidant à libérer les uns et les autres du système prostitutionnel, afin d’avancer sur le chemin d’une société d’émancipation humaine. On est donc bien loin d’une démarche moralisatrice !

Pour toutes ces raisons, le groupe CRC votera contre cette proposition de loi telle qu’elle nous résulte des travaux du Sénat.

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