Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis pour examiner une proposition de loi ayant pour but d’allonger les congés exceptionnels accordés aux salariés lors du décès d’un enfant ou d’un conjoint.
C’est un sujet éminemment sensible. Le décès d’un proche est toujours une épreuve, quelles qu’en soient les circonstances ; une épreuve qui nous a tous touchés, directement ou indirectement.
Il appartient, je le crois, à la société tout entière de manifester sa solidarité mais aussi son empathie face à la douleur d’une mère, d’un père ou d’un conjoint.
Cette solidarité doit se traduire par des droits : le droit notamment à des congés exceptionnels d’une durée décente. Aujourd’hui, la durée légale des congés pour décès fixée par le code du travail varie en fonction du lien de parenté : deux jours pour le décès d’un enfant, deux jours pour le décès d’un conjoint ou du partenaire lié par un pacte civil de solidarité et un jour pour le décès d’un père, d’une mère, d’un beau-père ou d’une belle-mère, d’un frère ou d’une sœur.
Dans tous les cas, les congés exceptionnels pour décès, qui sont assimilés à des jours de travail effectifs et sont donc à la charge de l’employeur, ne peuvent aujourd'hui excéder deux jours.
Deux jours, vous en conviendrez tous, c’est insuffisant.
C’est insuffisant si l’on compare le nombre de jours accordés pour un décès au nombre de jours alloués pour les heureux événements, qui sont bien souvent prévisibles : quatre jours pour un mariage, trois jours pour une naissance ou l’arrivée d’un enfant adopté, un jour pour le mariage d’un enfant.
J’avoue que cette différence est difficilement compréhensible et justifiable. En annulant cette différence, la proposition de loi dont vous allez débattre répond à un impératif de cohérence.
C’est insuffisant également au vu des démarches beaucoup plus compliquées et difficiles à accomplir en cas de décès, dans une situation de choc et de détresse. Au-delà de l’organisation des obsèques, les formalités administratives sont nombreuses et complexes. Dans ces circonstances, elles représentent incontestablement un poids particulier. Il faut aussi faire face aux bouleversements qui peuvent toucher toute la cellule familiale ; organiser, par exemple, le retour à l’école des frères et des sœurs. Il faut du temps, tout simplement.
En accordant aux salariés plus de temps, la proposition de loi répond donc à un impératif d’humanité et de solidarité.
Pour remédier à cette insuffisance, certaines conventions collectives prévoient des jours de congés exceptionnels supplémentaires. C’est le cas, par exemple, dans les branches professionnelles de la métallurgie, du bâtiment ou encore des transports routiers. Des accords conclus dans les entreprises peuvent également le prévoir, mais il ne s’agit que d’une faculté.
En fonction de la taille et de la nature de l’entreprise qui les emploie, les salariés ne sont pas égaux et n’en bénéficient donc pas de la même manière. Ils sont alors contraints d’utiliser leur quota de congés annuels pour prolonger cette période autant que nécessaire. S’ils ne parviennent pas à un compromis avec leurs employeurs ou leurs collègues, les arrêts pour maladie, dont ce n’est pas l’objet, deviennent un recours. De tels expédients ne sont satisfaisants pour personne.
En fixant une durée décente aux congés exceptionnels accordés à tous les salariés, cette proposition de loi répond donc à un impératif d’égalité.
Cohérence, solidarité, égalité : autant de valeurs qu’il nous appartient de porter ensemble, en partageant le constat de cette insuffisance du droit et en y remédiant. Il n’est bien sûr pas question de quantifier la douleur ; nous en serions bien incapables. Il s’agit simplement de donner un peu plus de temps à ceux qui sont touchés par le drame que représente la perte d’un enfant ou d’un conjoint. L’octroi de ces jours de congés supplémentaires n’atténuera en aucune façon la douleur des familles. Ce n’est ni le rôle ni le pouvoir du législateur. Cela permettra cependant d’alléger les contraintes matérielles qui pèsent sur ce moment particulièrement difficile.
Je me réjouis que le groupe socialiste ait souhaité inscrire ce texte, qui avait été déposé en 2011 par ce groupe à l’Assemblée nationale, alors dans l’opposition, à l’ordre du jour du Sénat. Les auditions menées par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale avaient mis en lumière l’unanimité des représentants syndicaux et associatifs sur cette modification du code du travail. La même unanimité avait régné sur les bancs de l’Assemblée nationale lors du vote, le 17 novembre 2011. Par la voix de mon prédécesseur Xavier Bertrand, le gouvernement de l’époque, qui appartenait à une autre majorité que la mienne, avait émis un avis favorable.
Cette proposition de loi porte donc en elle le sceau du compromis que les parlementaires arrivent parfois à trouver sur certains sujets éthiques ou particulièrement graves.
Il est temps d’appliquer ce texte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais attirer votre attention sur deux points particuliers.
Tout d’abord, il est nécessaire de faire preuve de simplicité. Toute autre démarche serait difficilement explicable, et donc encore plus difficilement applicable.
Ensuite, et je m’exprime là en tant que ministre, il faut que vous votiez ce texte conforme si vous souhaitez qu’il soit appliqué. Sinon, les contraintes de calendrier, auxquelles nous sommes tous soumis, aboutiront à repousser de plusieurs mois, voire de quelques années, une mesure autour de laquelle nous nous étions tous rassemblés à l’époque – et je ne vois pas pourquoi il en irait autrement aujourd'hui.
Face au drame, il n’y a, je le crois, ni droite, ni gauche, ni centre. Le Gouvernement y était favorable en 2011 et, vous l’aurez compris, même s’il a changé, il l’est encore en 2015.