Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 1er avril 2015 à 14h30
Lutte contre le terrorisme — Adoption d'une proposition de résolution européenne

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les États membres de l’Union européenne font face à une menace terroriste qui s’est récemment aggravée. Ils sont en particulier confrontés au départ de certains de leurs ressortissants ou de leurs résidents, parfois mineurs, vers des zones où opèrent des groupes terroristes. Le retour de ces personnes soulève des questions de sécurité pour l’ensemble des États membres.

Je rappelle que l’Union européenne est déjà intervenue en matière de terrorisme à de nombreuses reprises.

À l’aune des évolutions récentes des menaces, la commission des affaires européennes a étudié les différents domaines dans lesquels le cadre juridique ou la coopération actuels pourraient être améliorés.

La présente proposition de résolution européenne, présentée en application de l’article 88-4 de la Constitution, incite les institutions de l’Union européenne à adopter un acte législatif portant sur une législation antiterroriste commune, dénommé Acte pour la sécurité intérieure de l’Union européenne. Le texte préconise en premier lieu d’améliorer les mécanismes existants. Il propose en second lieu des modifications du cadre juridique.

J’évoquerai tout d’abord la nécessité de mieux faire fonctionner les mécanismes existants.

En matière de coopération policière et judiciaire, le texte souligne l’importance d’Europol et d’Eurojust dans la lutte contre le terrorisme et appelle à une amélioration du fonctionnement de ces deux structures, en insistant sur le fait que la transmission d’informations par les États devrait être plus systématique.

En outre, les auteurs de la proposition de résolution estiment qu’il est nécessaire de renforcer les moyens matériels de ces deux structures.

Le bilan d’Eurojust témoigne effectivement d’une coopération entre États encore trop faible puisque Eurojust ne traite aujourd’hui que 1 576 dossiers, à grande majorité bilatéraux, alors que tout l’intérêt de cette structure est de traiter des dossiers impliquant plusieurs États. J’ajoute que, en 2013 – année des dernières statistiques disponibles –, seuls dix-sept dossiers ont été enregistrés par Eurojust sur le sujet du terrorisme.

De plus, les équipes communes d’enquête, qui favorisent l’échange d’informations sans passer par les canaux traditionnels de l’entraide judiciaire, sont encore peu utilisées.

Le code frontières Schengen, dans sa rédaction actuelle, donne de larges marges de manœuvre aux États membres.

Les auteurs de la proposition de résolution souhaitent ainsi que, à droit constant, des « indicateurs de risque appliqués uniformément par les États membres » permettent d’exercer des contrôles approfondis de ressortissants de l’espace Schengen lorsqu’ils y entrent ou en sortent. Le texte appelle à juste titre à poursuivre la politique de prévention de la radicalisation.

La première stratégie de l’Union européenne visant à lutter contre la radicalisation et le recrutement de terroristes date de 2005. En 2010, un programme plus complet, mêlant approche policière et approche préventive, a été développé par le biais de groupes thématiques dédiés à différents aspects de la lutte contre la radicalisation. L’efficacité de cette initiative est en grande partie liée à la participation effective des États membres.

Enfin, la proposition de résolution rappelle l’importance d’une diplomatie active de l’Union européenne à l’égard des pays tiers, voisins de l’Union européenne ou limitrophes de zones où opèrent des groupes à caractère terroriste. Les pays du Maghreb doivent ainsi faire l’objet d’une attention toute particulière.

J’évoquerai maintenant les évolutions du cadre juridique proposées.

Les délégations de l’Union européenne du service européen pour l’action extérieure restent aujourd’hui très orientées sur la politique de développement et de coopération et sont effectivement peu sensibilisées aux questions de sécurité.

Par ailleurs, le texte propose de faire évoluer le cadre juridique actuel.

L’Union européenne veille à l’élaboration d’une définition uniforme et exhaustive du terrorisme par les États. Ainsi, la décision-cadre du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme donne une définition précise du terrorisme, empruntée aux traditions des États membres. Cette directive a été révisée et complétée par la décision-cadre du 28 novembre 2008 afin d’ajouter aux infractions terroristes de nouveaux comportements, essentiellement l’apologie d’actes terroristes et le prosélytisme en faveur de tels actes. À cet égard, je rappelle que le Parlement français a voté une loi en novembre 2014 qui répond à ces objectifs.

Toutefois, le phénomène nouveau de nationaux ou de résidents européens s’enrôlant dans des groupes terroristes, identifié comme une menace particulière par l’ONU dans la résolution n° 2178 du 24 septembre 2014 du Conseil de sécurité, justifie des évolutions du cadre juridique.

J’observe qu’un comité sur les combattants terroristes étrangers et les questions connexes a été constitué le 21 janvier 2015 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe pour rédiger un protocole additionnel à la convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, afin de prendre en compte la résolution du Conseil de sécurité précitée.

Il est difficile de procéder à une réforme rapide du code frontières Schengen. Cependant, comme le proposent les auteurs de la proposition de résolution, il serait plus efficace pour les États de pouvoir effectuer des contrôles permanents sur les personnes définies par les critères objectifs évoqués ci-dessus. Il est donc effectivement nécessaire de réformer le code frontières Schengen pour le permettre. Cette réforme sera nécessairement longue, et il ne faut pas que, à cette occasion, l’équilibre général du code soit lui-même modifié.

L’espace Schengen a suscité, il convient de le rappeler, le développement d’un système d’information commun, plus efficace qu’une juxtaposition de systèmes indépendants.

La proposition de résolution appelle en outre à l’adoption rapide de la directive relative à la mise en œuvre d’un PNR européen, en la présentant comme une mesure indispensable pour lutter efficacement contre le terrorisme. Le PNR est un système d’exploitation et de partage des données des dossiers passagers, c’est-à-dire des données recueillies par les transporteurs lors de la réservation commerciale.

Le PNR européen désigne en réalité un mécanisme de coopération entre des PNR nationaux et non la création d’un instrument européen unique. Comme nous l’avons souvent dit, notamment à l’intention de ceux qui seraient réticents à l’instauration d’un tel système, alors que le PNR est exigé par les compagnies aériennes à destination des États-Unis, il n’existe toujours pas de transmission des informations au sein de l’Europe. Avouez que ce paradoxe est difficilement acceptable.

Un premier projet de directive de la Commission européenne en date du 6 novembre 2007 a finalement été abandonné. Une nouvelle proposition de directive est en cours de discussion au Parlement européen, comme vient de l’indiquer M. Bizet.

Je rappelle que, dans sa résolution du 15 mars 2015, le Sénat a appelé à l’adoption rapide de cette directive en constatant que le système proposé respectait les droits des personnes concernées. C’est bien entendu une préoccupation que nous devons avoir en permanence.

Le texte propose aussi de modifier le rôle de l’agence européenne pour la gestion des frontières extérieures, l’agence FRONTEX, en lui confiant un rôle particulier dans la lutte contre le terrorisme. Cette recommandation rejoint les conclusions du Conseil sur le terrorisme et la sécurité des frontières des 5 et 6 juin 2014 invitant à développer le rôle de FRONTEX en ce sens. Elle répond aux préoccupations suscitées par le retour de nationaux ou de résidents ayant rejoint des zones où opèrent des groupes terroristes.

La création d’un corps de gardes-frontières européens serait quant à elle une évolution majeure.

Enfin, le texte appelle à mettre en place un parquet européen en application de l’article 86, paragraphe 4, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et estime nécessaire d’étendre « sans délai » les compétences de ce parquet européen à la criminalité grave transfrontière. Nous avons toujours été d’ardents militants d’un parquet européen, mais tel n’est pas le cas de tous les pays.

Lors de son examen par la commission des lois, la proposition de résolution a été largement approuvée. Ses auteurs rappellent que la lutte contre le terrorisme s’inscrit nécessairement dans le cadre du respect des valeurs de l’Union européenne et de l’État de droit. À juste titre, la proposition de résolution insiste sur l’importance de mieux faire fonctionner ou d’améliorer à droit constant les dispositifs existants, en renforçant l’implication des États.

Toutefois, il peut être observé que la coopération entre Eurojust et Europol est également largement perfectible. Ainsi, Eurojust n’accède pas de manière privilégiée aux fichiers d’analyse d’Europol, notamment à ceux qui sont dédiés à la lutte contre le terrorisme. Il conviendrait donc de réviser rapidement la convention entre ces deux structures afin d’améliorer leur intégration.

En revanche, sur mon initiative, la commission a estimé que les dispositions de la proposition de résolution relatives au droit de la nationalité des États membres, qui rappellent simplement la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et le droit international applicable en matière de nationalité, ne relèvent pas du périmètre d’une résolution européenne, dans la mesure où l’Union européenne n’est que très indirectement concernée par le droit de la nationalité des États membres. La commission des lois a donc décidé de supprimer ces dispositions.

La commission des lois soumet donc à la délibération du Sénat le texte ainsi établi pour la proposition de résolution européenne.

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