Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 2 avril 2015 à 9h00
Usage contrôlé du cannabis — Suite de la discussion et rejet d'une proposition de loi

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

À l'évidence, il faudrait donc approfondir la réflexion sur les choix que nous devons faire. La proposition de loi de Mme Benbassa a le mérite d’aborder le sujet, de poser ces questions et d’émettre des propositions.

L’encadrement législatif de l’usage du cannabis renvoie à deux enjeux : celui de la santé publique, d’une part, et celui de l’ordre social, d’autre part.

Sur le volet sanitaire, les dangers que présente le cannabis ont été démontrés, tout particulièrement chez les jeunes. Le cannabis est le premier produit psychoactif illicite consommé par les adolescents.

À court terme, il peut s’agir d’une baisse des performances intellectuelles, d’angoisses, de difficultés de coordination, d’une modification des perceptions, de troubles de la concentration, d’une altération de la mémoire courte, d’une baisse de la vigilance et des réflexes, la baisse étant encore plus importante lorsque la consommation de cannabis est couplée à l’alcool – cela a déjà été dit.

À long terme, ce sont des risques de cancer accrus par rapport à la consommation de cigarettes à cause de la concentration de goudron, des cas d’isolement social et des troubles du processus de développement cérébral chez les adolescents. Des études établissent aussi une relation de causalité entre la consommation de cannabis et l’aggravation ou la survenue de certains troubles psychotiques graves tels que la schizophrénie ou la paranoïa. Des recherches défendent l’idée que le cannabis, s’il n’est pas suffisant pour déclencher la schizophrénie, pourrait être un facteur nécessaire à son apparition et de nature à exacerber les symptômes déjà présents. Ces risques pourraient être accrus chez les adolescents dont le cerveau n’est pas encore arrivé à maturation.

Aussi, la question du produit en lui-même pose problème. Depuis une quinzaine d’années, des études ont montré une hausse importante de la concentration dans le cannabis de tétrahydrocannabinol, ou THC, ce qui accroît la dangerosité du produit sur la santé physique et mentale des consommateurs. De même, les agents de coupe utilisés pour augmenter le poids du cannabis ou améliorer son aspect peuvent être particulièrement nocifs : sable, colle, talc, verre, plomb, cirage, huile de pneu, huile de vidange...

Il est donc établi que, sur le plan sanitaire, les conséquences de la consommation de cannabis peuvent être gravissimes.

C’est aussi du point de vue de l’ordre public que le sujet soulève des questions. En France, la consommation de cannabis est interdite, la loi exposant les consommateurs à une peine de 3 750 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement. Dans le même temps, on sait qu’environ un Français sur cinq a consommé du cannabis dans sa vie, que 1, 2 million en consomme régulièrement et que le cannabis est la substance illicite la plus consommée dans les pays de l’Union européenne. La contradiction est flagrante !

Face à l’importance du phénomène de consommation, la particulière sévérité de nos dispositions répressives, qui trouvent leur origine dans une loi de 1970, ne doit-elle pas nous pousser à nous interroger sur la pertinence d’une telle législation et échelle des peines ? Avant la loi de 1970, l’usage privé du cannabis n’était pas sanctionné. Nous sommes forcés de constater que notre arsenal répressif actuel, qui ne parvient pas à faire baisser la consommation de cannabis, ne présente véritablement de solution ni pour la santé publique ni dans le cadre de la lutte contre les réseaux mafieux.

Les peines prévues, qui sont les plus sévères d’Europe, ne sont manifestement pas dissuasives pour les usagers. Bien entendu, l’action publique n’est pas toujours exercée, et des mesures alternatives telles que les injonctions thérapeutiques sont souvent mises en œuvre. Cependant, la marge laissée au magistrat est source de disparités de traitement entre les cours, et donc entre les justiciables. Aussi, même si les emprisonnements pour simple usage de cannabis sont rares, on recense de nombreux emprisonnements pour ce qui relève de la petite revente, alors que les gros trafiquants demeurent rarement atteints.

Or nous devons veiller à ne pas risquer de fragiliser les personnes qui rencontrent des problèmes d’insertion. Envoyer les petits revendeurs en prison, c’est risquer d’abîmer davantage des personnes qui se trouvent déjà dans des situations instables.

L’Uruguay et le Colorado ont fait le choix d’une expérimentation de la légalisation.

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