Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Esther Benbassa, qui vise à autoriser la vente au détail de cannabis aux personnes majeures, c'est-à-dire à mettre en place une dépénalisation, nous permet d’ouvrir un débat. Comme ma collègue Françoise Gatel, je regrette que celui-ci ait été coupé en deux !
Cette proposition de loi conduirait à aligner la vente du cannabis sur le modèle du tabac. Ainsi, l’État contrôlerait la distribution du cannabis, tout en en interdisant la publicité et la vente aux mineurs.
Je dois reconnaître que l’exposé des motifs de votre proposition de loi, madame Benbassa, ainsi que le rapport de M. Desessard soulèvent des questions essentielles telles que l’inefficacité de nos politiques de prévention et de lutte contre le cannabis, ou la dangerosité et les conséquences néfastes de la consommation de cannabis.
En effet, malgré une répression sévère, la France est, après l’Espagne, le pays d’Europe où l’on consomme le plus fréquemment du cannabis.
Hier, dans la « matinale » d’une grande radio nationale, un baromètre officiel, encore non diffusé, a été évoqué. Il révèle des chiffres alarmants : on serait ainsi passé de 500 000 à 700 000 consommateurs quotidiens en quatre ans. Les consommateurs fumant au moins dix joints par mois représenteraient désormais 1, 5 million d’individus, tandis que les usages réguliers seraient de plus en plus banalisés dans tous les milieux.
Par ailleurs, d’après l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, l’OFDT, 41, 5 % des jeunes âgés de dix-sept ans ont déclaré, en 2011, avoir fumé du cannabis au cours de leur vie. Parmi ces derniers, plus de un sur cinq déclare avoir consommé du cannabis au cours du dernier mois, ces consommations ayant lieu principalement le week-end.
Quel est le problème d’une consommation occasionnelle et festive, diront certains ? Mes chers collègues, de nombreuses études le montrent, cette consommation n’est malheureusement pas sans conséquence.
Comment pourrions-nous fermer les yeux, alors que nous savons que le cannabis peut entraîner, notamment en cas de consommation régulière, une dépendance, surtout psychique, entraînant des problèmes non seulement relationnels, mais aussi scolaires ou professionnels ?
Comment laisser croire à des jeunes que cette consommation est anodine, quand nous savons que la consommation de cannabis altère les capacités de mémorisation, d’apprentissage et de concentration, ainsi que les aptitudes au raisonnement ?
Enfin, comment passer sous silence les troubles de la coordination motrice induits par cette consommation, lesquels sont susceptibles d’augmenter les risques associés à la conduite ? La prise de cannabis potentialise en outre les effets de l’alcool.
L’enquête SAM, Stupéfiants et accidents mortels de la circulation routière, a montré les liens entre consommation de cannabis et accidents de la route, notamment les accidents mortels. Malheureusement, depuis au moins trois ans, le nombre de conducteurs arrêtés pour conduite sous l’emprise de cannabis est en constante augmentation.
En effet, d’après l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, le nombre de conducteurs contrôlés sous l’emprise de stupéfiants a augmenté de 18 % sur l’année 2009-2010, de 1, 2 % en 2010-2011 et de 13 % au cours des sept premiers mois de l’année 2012.
Mais la consommation de cannabis a également des conséquences sociales, puisqu’il s’agit de la première substance en cause dans le cadre des interpellations pour usage de stupéfiants.
D’après l’OFDT, les interpellations pour usage de cannabis représentent toujours 90 % des interpellations pour usage de stupéfiants. Ces dernières ont augmenté de 65 % par rapport à l’année 2000. En dehors de l’usage, les services de police et de gendarmerie ont effectué 15 302 interpellations pour usage- revente et trafic de cannabis en 2010.
J’en viens donc naturellement à évoquer la question du trafic. Selon vous, madame Benbassa, la dépénalisation constituerait un moyen d’y mettre fin et de tarir une source de revenus du crime organisé.
Pourtant, d’après Stéphane Quéré, criminologue au département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines de l’université de Paris II, et grand spécialiste du grand banditisme et du crime organisé, la dépénalisation de la consommation du cannabis dans certains pays n’a pas fait disparaître le crime organisé. Celui-ci s’est simplement adapté, réussissant à s’implanter, notamment aux Pays-Bas, dans les coffee shops, tout en gardant la main sur la culture du cannabis.
C’est pourquoi, aux Pays-Bas, pays pionnier dans ce domaine, les autorités font aujourd’hui marche arrière. Elles ont ainsi récemment décidé d’encadrer davantage l’installation des coffee shops, qu’elles n’autorisent plus qu’à grande distance des frontières et, surtout, des écoles.
On peut également faire un parallèle avec le tabac : sa vente et sa consommation sont légales dans notre pays, ce qui n’empêche pourtant pas les trafics. En tant que sénatrice de la Haute-Garonne, département proche de l’Espagne et de l’Andorre, je peux témoigner du trafic florissant de cigarettes, notamment à Toulouse.
Par ailleurs, on le sait aussi, la consommation de cannabis peut conduire à la prise de drogues dures, bien que la transition soit loin d’être automatique. L’expérience de l’Espagne dans les années quatre-vingt en est la parfaite illustration.
Le fait de légaliser le marché de certaines formes de cannabis pourrait aussi contribuer au développement d’un marché parallèle d’un cannabis plus puissant, synonyme d’effets psychotropes amplifiés, mais aussi et surtout d’une plus grande dangerosité pour les consommateurs.
Enfin, on peut se demander quelle signification sociale se dégagerait d’un scénario de « nationalisation » du cannabis. Quel signal enverrait l’État en organisant le commerce d’un produit réputé néfaste et dangereux ? Ne sommes-nous pas là face à une fausse bonne solution ?
Aussi, si la dépénalisation n’entraîne pas un meilleur contrôle du trafic et ne réduit pas les dangers liés à une consommation régulière, pourquoi devrait-on se diriger vers cette solution ?
C’est pour toutes ces raisons que le groupe UMP votera contre ce texte.