Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi de programmation militaire de décembre 2013 a traduit le souhait du Gouvernement d’assurer l’évolution de notre outil de défense pour faire face à de nouvelles menaces tout en tenant compte de la forte contrainte budgétaire.
Ce souhait, nous l’avons largement partagé au sein de notre commission des affaires étrangères et dans cet hémicycle. Toutefois, depuis l’automne dernier, soit moins d’un an après l’entrée en vigueur de la LPM, les projections financières et humaines sont devenues incompatibles avec les interventions de nos forces armées à l’extérieur, mais aussi sur notre sol.
Fort heureusement, l’article 6 de la LPM prévoit une première actualisation de cette trajectoire avant la fin de l’année 2015. Cette rectification, annoncée dès janvier dernier pour cet été, devra relever deux défis majeurs : il s’agit, d’une part, de renforcer notre capacité financière, d’autre part, d’ajuster notre stratégie de défense à moyen terme. Ce sont les deux points que j’aborderai.
Le premier défi pose la question de la crédibilité budgétaire.
Sous votre impulsion, monsieur le ministre, la LPM tendait à sanctuariser les crédits alloués à notre outil de défense. Le chiffre annoncé était de 31, 4 milliards d’euros par an, pour toute la durée d’application de cette loi. Cette enveloppe financière devait être composée de crédits budgétaires votés en loi de finances et de 2, 4 milliards d’euros de recettes exceptionnelles, les REX, issues de cessions immobilières et de cessions de bandes de fréquences hertziennes. Ce compromis budgétaire devait être respecté sous le contrôle des commissions des affaires étrangères et de la défense des deux assemblées.
En théorie, le montage était crédible. Malheureusement, l’exécution de cette orientation a été bien différente. À ce jour, nous n’avons pas vu le premier centime des fameuses recettes exceptionnelles annoncées. La cession de bandes hertziennes n’est toujours pas réalisée, alors qu’elle est évoquée depuis plus de deux ans.
Parallèlement, les opérations extérieures sont toujours sous-budgétisées, à 450 millions d’euros, alors que nous savons qu’elles représenteront un coût potentiellement supérieur à un milliard d’euros. L’effet de ciseau est là ! Il manque près de 3 milliards d’euros à notre défense pour la seule année 2015.
La sonnette d’alarme avait déjà été tirée en décembre dernier par la commission des finances et la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées du Sénat. Lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, le compte n’y était pas ; cela nous a conduits à rejeter les crédits de la mission « Défense ».
Aujourd’hui, nous craignons que de très fortes tensions dans le financement de la défense nationale n’apparaissent dès le mois de septembre. Cette situation est d’autant plus préoccupante que la France est la première puissance militaire de notre continent et contribue ainsi à sa sécurité.
L’urgence vous amène à conduire une politique au cas par cas. J’en veux pour preuve l’article 50 A du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui tend à créer des sociétés de projet dont la finalité serait de doter notre outil de défense en matériel par crédit-bail, en passant par un montage juridique discutable.
Le calendrier étant contraint, la mise en place des sociétés de projet et la réalisation des opérations financières devraient se réaliser en quelques semaines. N’est-ce pas déjà trop tard ? À quelle échéance, et pour quelle part, des capitaux privés intégreraient-ils ces sociétés ? Quelles sont les implications en matière de disponibilité du matériel ? Quelles sont les incidences juridiques ?
Le ministère de l’économie et des finances évoquerait même une troisième piste financière, différente des sociétés de projet et des cessions de bandes hertziennes.
Autant de flou a convaincu la commission de supprimer l’article 50 A. Vous le comprendrez, monsieur le ministre, nous serions tout à fait intéressés par de plus amples informations à ce sujet.
Il apparaît clairement que le Gouvernement cherche de nouvelles sources de financement, y compris des recettes de trésorerie. L’addition est lourde ; vos efforts, monsieur le ministre, suffiront-ils pour la régler ?
Notre pays faisant face à de nouvelles menaces, notre armée conduit de nouvelles missions. Cela implique que nous soyons en mesure de les financer. Pour l’heure, sans nouvelles propositions budgétaires, nous ne pourrons que rester inquiets.
Le second défi a trait à la stratégie de défense.
Est-il responsable, quand la décision est prise d’intervenir militairement, de faire le premier pas si nous ne sommes pas capables de financer le dernier ? Je rappelle que 8 500 militaires sont actuellement engagés sur des opérations extérieures, dans différents milieux : terrestre, naval et aérien. Nous menons notamment des opérations aériennes en Irak et des interventions au sol en Centrafrique et au Mali. Le rôle de la France est primordial, d’autant qu’aucun pays européen ne s’investit avec la même ampleur. Pourtant, c’est pour la sécurité de tous que nous intervenons.
De plus, la menace terroriste a durement frappé notre pays, en janvier. Elle conduit au déploiement d’une très vaste opération intérieure, l’opération Sentinelle, qui mobilise près de 10 000 personnes.
Monsieur le ministre, nous approuvons le choix de maintenir un niveau élevé de présence sur la scène internationale, tout en garantissant la protection de nos concitoyens. Mais la conséquence de la conjonction de ces deux engagements est simple : nous avons besoin d’hommes, de matériels et de financements. Or, en l’état actuel, la LPM n’est pas en phase avec cette politique. Les dépenses augmentent quand les financements sont absents.
Il ne reste, selon nous, qu’une seule alternative : soit nous limitons nos interventions extérieures en recentrant nos forces, soit nous accroissons les moyens mis à la disposition de notre défense en trouvant des financements.