Le réduire à la question du tracé ne nous semble pas suffisant : c’est un débat sur l’opportunité même de la création d’un tel EPIC qui est nécessaire.
Penser de manière durable la gouvernance de la métropole ne peut se faire de manière autoritaire et centralisée. C’est une impasse idéologique. La seule voie envisageable est celle de l’imbrication des structures, de la conjugaison des volontés, du respect des différents acteurs, de la participation à chaque étape des Franciliens eux-mêmes, au plus près des attentes, mais aussi des réalités. Ce projet doit être mouvant et non figé.
Pourtant, rien n’est prévu dans votre texte pour que cette participation des citoyens et des collectivités se poursuive une fois le débat public entériné.
On le voit bien, si vous avez des problèmes avec le débat public, vous en avez également avec les procédures qui vont le précéder et le suivre. Nous y reviendrons lors de la présentation de nos amendements.
J’en viens au contenu même du projet de loi relatif au Grand Paris.
À la lecture de ce texte, on se rend assez vite compte que loin des effets d’annonce de l’article 1er évoquant pêle-mêle les questions de logement, de lutte contre les déséquilibres sociaux et territoriaux, de développement économique durable, solidaire et équilibré, la réalité des propositions formulées par le Gouvernement est assez faible.
Il s’agit simplement de construire un métro souterrain en rocade de cent trente kilomètres desservant des clusters jugés attractifs, comme La Défense ou Saclay, en organisant une dérogation systématique aux règles d’urbanisme de droit commun et en mettant fin, de façon autoritaire, à des projets comme Arc Express.
À défaut d’être complet, innovant et porteur d’un projet visible et cohérent, au moins le SDRIF ne se réduit-il pas à un métro automatique ! Nous regrettons, à ce titre, une absence profonde de réflexion sur la pertinence de ce tracé et la faisabilité du Grand huit, élaboré dans le secret des cabinets ministériels. Nous regrettons la même absence de réflexion sur le recours à une option souterraine. Il fallait laisser, si j’ai bien compris, la Société du Grand Paris décider de tout cela !
Les syndicats ne s’y sont pas trompés. Ce projet est non pas celui des salariés franciliens, mais celui des hommes d’affaires qui ont besoin de passer des aéroports à des clusters dédiés à la finance et à la recherche. Le texte n’appréhende donc pas les déplacements travail-domicile, qui constituent pourtant la première préoccupation des Franciliens. Pour ces derniers, cette question est liée à celles de la tarification des transports et du maillage qui fait cruellement défaut et rend leurs déplacements difficiles. D’ailleurs, j’aimerais beaucoup vous entendre sur ces sujets, monsieur le secrétaire d’État.
C’est de tout cela dont les Franciliens ont besoin ! Et le Grand huit ne peut ni les ignorer ni les oublier ! Ils ont besoin que l’État, dans le cadre de ses compétences traditionnelles, empêche le marché d’imposer sa loi et réinvestisse dans les outils de puissance publique que sont la SNCF, RFF et la RATP. Or, aujourd’hui, les réseaux sont vétustes et saturés.
Vous ne pouvez pas en rendre seule responsable la région : elle ne gère le STIF que depuis 2006. Cette situation résulte d’un désengagement progressif et massif de l’État en matière de transports collectifs publics.
À ce titre, comment penser la métropole de demain, celle de l’après-Kyoto, en envisageant la question du fret ferroviaire uniquement en termes d’accès aux ports ?
En outre, le projet de Grand huit induit, de fait, une chenille d’expropriation et d’urbanisation couvrant une surface de quatre fois la taille de Paris, aménagement dont la Société du Grand Paris sera seule responsable. Cette privatisation de l’intérêt commun est insupportable ! La région d’Île-de-France ne peut pas devenir un terrain de jeu pour des bétonneurs !
En effet, pour financer ce projet de rocade, la valorisation des terrains attenants aux gares constituera une voie prioritaire portant en germe le risque important de nouvelles ségrégations sociales autour du Grand huit. Or ce risque est adossé à une réelle injustice fiscale, puisque toutes les taxes créées par ce texte permettront le financement de la Société du Grand Paris, indépendamment de toute exigence de péréquation régionale.
À ce titre, sous couvert de « coconstruction », reprenant en fin de compte une tendance de fond soulignée par le Conseil d’État, le nouvel outil des contrats de développement territorial enfermera dans un tête-à-tête les collectivités locales et l’État, ce qui peut, par ailleurs, favoriser le localisme. Il apparaît particulièrement hypocrite de laisser entendre qu’il pourrait exister de la coopération là où, en réalité, il ne s’agira que d’appliquer une seule volonté.
En effet, en l’état du texte, on voit bien que les collectivités seront, de toutes les manières, contraintes d’accepter les desiderata de la Société du Grand Paris et de l’État afin de laisser la maîtrise urbaine autour des gares.
Je souhaite donc, monsieur le secrétaire d’État, que la nature de ces contrats soit plus transparente et que vous nous indiquiez précisément votre objectif politique.
J’en viens aux sommes consacrées au financement de ces contrats dont nous savons aujourd’hui qu’elles rentreront partiellement dans le cadre des contrats de projets État-régions, les CPER. Nous contestons le fait que la région et le département concernés sur le projet de contrat soient, non pas associés, mais seulement consultés sur la conclusion de ces contrats.
Sur le fond, nous nous inscrivons en faux contre cette conception de clusters qui traverse ce texte. Comme le souligne l’Ordre des architectes d’Île-de-France, ce projet ouvre la voie à la balkanisation des aires métropolitaines. En effet, une telle conception laisse inévitablement de côté toute une partie du territoire. Alors qu’il manque aux citoyens un maillage fin par des services publics, cette question ne figure nulle part dans votre texte !
Quant à la spécialisation des territoires, c’est une voie sans issue. En effet, nous ne pouvons que constater, à l’échelon mondial, l’obsolescence de ce système qui ne permet pas, entre autres, de respecter les prescriptions écologiques. Ce que vous nous proposez, c’est donc, non la modernité, mais des schémas de développement d’ores et déjà obsolètes.
Il nous semble également qu’il ne faut pas laisser de côté la grande couronne : à terme, le développement de la métropole parisienne couvrant globalement la petite couronne, captant l’ensemble des financements, mettra en péril l’existence même de l’échelon régional.