Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 6 avril 2010 à 15h00
Grand paris — Discussion générale

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Monsieur le secrétaire d'État, j’avais prévu de vous faire le reproche d’avoir choisi la procédure accélérée pour ce texte et de n’avoir pas saisi le Sénat en premier lieu. Comme ce point a déjà été largement abordé par mes collègues, je préfère ne pas m’y attarder pour entrer directement dans le vif du sujet.

Le débat qui s’ouvre aujourd’hui est majeur. Il ne peut en conséquence être une simple redite de celui qui a été conduit à l’Assemblée nationale. Je ne peux en effet imaginer que les scrutins des 14 et 21 mars dernier puissent être sans effet sur nos débats. Les projets du Grand Paris n’ont pas convaincu les Franciliens. Leur expression démocratique doit être entendue.

Déjà, les élus locaux n’avaient pas été convaincus. Pourtant, l’attente était réelle de voir l’État prendre sa juste part dans le processus de modernisation de la métropole francilienne.

Après des années de désengagement financier de l’État, de désintérêt ou de blocage, à l’image de l’attitude qui est la sienne s’agissant du SDRIF, l’intérêt soudain manifesté par le Président de la République avait été salué. Rapidement, les espoirs auront été déçus.

Le regain d’intérêt de l’État pour le développement de la métropole se sera traduit par le non-respect des décisions et des compétences des collectivités et de leurs élus. En Île-de-France, la décentralisation est de fait mise entre parenthèses par ce projet de loi.

S’agissant du titre V relatif au plateau de Saclay, auquel je consacrerai mon propos, je rappelle que vous n’êtes pas le premier, monsieur le secrétaire d’État, à poser le problème de l’aménagement de ce plateau. Un groupement d’intérêt public avait en effet été créé par les quarante-neuf communes concernées, mais sa mise en œuvre effective a été bloquée par l’État.

En outre, les quatre communautés d’agglomération concernées ont toutes fait connaître leur désaccord avec ce projet de loi. Ce qui est contesté, ce n’est pas seulement le fait de les laisser à distance, c’est également le fait que leur expérience de terrain soit si peu valorisée et, surtout, que les projets rapidement opérationnels qu’elles portent sur leurs territoires ne tirent en définitive aucun profit du projet de loi. Il en va ainsi du projet de transport en commun en site propre reliant Orly à Saint-Quentin-en-Yvelines, pour ne citer que cet exemple.

La question des transports est symptomatique des carences du projet de loi. Celui-ci ne répond pas à l’enjeu majeur du Grand Paris d’articuler de façon cohérente les besoins à court terme et l’ambition d’un projet à long terme. Le constat de carence est identique s’agissant du logement, à l’exception de l’objectif très global de 70 000 logements par an, mais sans qu’aucun engagement soit pris sur leur répartition et la part du logement social.

Dès lors, c’est la vision même du développement du plateau de Saclay portée par ce projet de loi qui inquiète. Le schéma de développement multipolaire n’est pas en cause. La perspective d’un territoire uniforme n’est, je crois, défendue par personne. En revanche, ce qui interpelle, c’est à la fois l’hyperspécialisation des pôles et l’absence de projet global, compte tenu des carences en matière de logement, de transport, d’équipements publics, en définitive tout ce qui touche à la vie quotidienne des Franciliens. M. le rapporteur en a fait largement état durant nos travaux en commission.

Ce sont autant d’impasses qui traduisent une vision erronée et pour tout dire dépassée du cluster. Celui-ci impose pour réussir de créer un vrai lieu de vie, de « faire ville », car aussi spécialisé soit-il le développement d’un territoire ne peut faire l’économie d’une conception globale et transversale de la cité, et de traiter en conséquence les enjeux de la mixité sociale et des déplacements. L’article 21 traduit, en passant ces enjeux sous silence, une vision tronquée du développement de ce territoire. Je reviendrai plus tard dans le débat sur l’avenir de la zone agricole protégée, dont il faudra bien imaginer l’évolution des cultures sans rien retrancher à sa superficie.

Au-delà du schéma de développement, c’est l’architecture même du projet que nous récusons.

Première objection : vous pensez parvenir à répondre aux besoins du plateau de Saclay par la création d’un établissement public aux compétences le plus souvent exorbitantes du droit commun.

Tout d’abord, la superficie du territoire choisie me fait douter de la capacité de créer les dynamiques et coopérations nécessaires à la réussite du projet.

Ensuite, les possibilités offertes à l’établissement d’intervenir au-delà de son périmètre, notamment pour réaliser des acquisitions d’immeubles et des opérations d’aménagement et d’équipement urbains, posent des problèmes supplémentaires. Le premier est que les acquisitions d’immeubles peuvent se réaliser sans l’accord des communes intéressées. Le second est le risque d’un simple transfert vers le plateau de Saclay d’établissements ou d’organismes actuellement situés à Paris ou dans les Hauts-de-Seine.

S’agissant de la gouvernance de l’établissement public, elle appelle une double critique.

La première a trait au déséquilibre causé par l’introduction d’un comité consultatif. Force est de constater que sa création aura permis à la majorité d’y transférer des institutions initialement représentées au conseil d’administration, et je pense bien sûr au représentant du conseil régional.

La seconde touche au peu de cas qui est fait du conseil d’administration. Non seulement le collège des élus y est placé dans une position minoritaire, mais, surtout, le Gouvernement n’a pas jugé opportun que le président soit issu du collège des élus. Surtout, le choix s’est porté sur un cumul des fonctions de président et de directeur général, le P-DG sera nommé par décret avec pour conséquence qu’il aura moins à rendre compte de son action devant le conseil d’administration et qu’il sera en réalité redevable à l’État.

Le conseil d’administration se voit ainsi largement dépossédé de son rôle de contrôle. Ce glissement traduit la volonté recentralisatrice de votre projet de loi.

Seconde objection : la création d’une autorité organisatrice de transport traduit une nouvelle fois votre défiance à l’égard des collectivités territoriales et l’incapacité de l’État à imaginer un partenariat équilibré entre celles-ci et lui-même. La logique sous-tendue par la création du syndicat mixte de transports est que les élus paient, mais que l’État décide. Ainsi, plutôt que de contribuer et de coordonner, l’État impose et ordonne.

C’est surtout la question du respect des engagements pris qui est posée. Vous aviez pris l’engagement de retirer l’article 29 si le STIF répondait à votre demande d’envisager la création d’une autorité organisatrice de transport sur le plateau de Saclay et aux alentours. L’engagement clair pris par le STIF, le 17 février dernier, justifiait le retrait de l’article 29. Son maintien traduit les intentions dilatoires du Gouvernement, manifestement déterminé à imposer au STIF un syndicat mixte de transport sur le plateau de Saclay.

Monsieur le secrétaire d’État, si j’ai centré mon propos sur le titre V relatif au plateau de Saclay, c’est évidemment parce que ce projet de loi a de fortes répercussions sur les collectivités du département des Yvelines. C’est également parce que le montage que vous avez imaginé me paraît éclairant sur la philosophie du projet, sa volonté de mise à l’écart d’un dialogue avec les collectivités territoriales, donc de la représentation démocratique, et sa conception autoritaire de la gouvernance.

Vous avez une vision à rebours de la décentralisation qui a été impulsée il y a trente ans par la gauche, vision à laquelle nous ne pouvons en aucun cas adhérer. C’est pourquoi, en l’état, nous voterons contre ce projet de loi.

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