Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis relève d’un curieux paradoxe : il prétend bâtir l’avenir tout en usant des moyens du passé ! L’avenir, c’est celui de la région d’Île-de-France, l’une des plus puissantes du monde, avec en son cœur Paris, ville globale au même titre que New York, Tokyo ou Londres.
Ce territoire est une zone stratégique, il est le moteur de la croissance de notre pays. Aussi, il est normal que l’État s’en préoccupe. Il est même légitime qu’il veuille intervenir sur ce territoire, qu’il a pourtant si longtemps délaissé. Reste à savoir si cette intervention peut prendre la forme d’un projet hors sol, reposant sur une démarche autiste, sans concertation avec les acteurs locaux.
En d’autres termes, nous nous demandons si, pour préparer l’Île-de-France du XXIe siècle, il faut se référer aux méthodes et au mode de pensée de Paul Delouvrier, grand préfet s’il en fut, dont les projets étaient adaptés à son temps et en phase avec son époque – c’était il y a quarante ans –, période, comme nous l’a rappelé Nicole Bricq, où l’État avait des moyens financiers, ou s’il faut privilégier la méthode plus actuelle de Bertrand Delanoë au travers du syndicat mixte « Paris-Métropole ». Il s’agit en effet d’établir un véritable dialogue entre les collectivités territoriales de tous bords, sans volonté d’hégémonie, sans pression d’aucune sorte, autour de thèmes communs et fédérateurs, dans le respect de l’intérêt général.
Monsieur le secrétaire d’État, vous présentez ce projet comme étant visionnaire, j’ai tendance à le trouver rétrograde. On nous affirme que l’État revient dans le jeu institutionnel avec une vision en matière d’aménagement. Je trouve plutôt qu’il s’y incruste avec violence, sans réelle vision globale. Il s’agit, cela a déjà été dit, d’un projet autoritaire, « recentralisateur » et inadapté aux attentes des Franciliens et de leurs élus.
Qu’on en juge plutôt : ce projet se borne à créer deux EPIC : le premier, la Société du Grand Paris, chargé de diriger la construction d’un métro automatique sous la forme d’une double boucle ceinturant Paris ; le second, l’établissement public de Paris-Saclay, pour gérer l’aménagement d’un cluster. Dans les deux cas, l’État sera seul maître à bord, les collectivités seront peu représentées. Nous voilà donc revenus au temps des villes nouvelles ! La gouvernance du Grand Paris fait donc l’impasse sur plus de vingt ans d’évolution des institutions au travers de la décentralisation, sur plus de vingt ans d’évolution des projets urbains. Seule une prise en compte a minima des citoyens, des habitants et des usagers est prévue.
Au fil des décennies, aménager un territoire est devenu plus complexe, plus exigeant, plus délicat, mais c’est là un impératif démocratique. La société n’accepte plus les projets technocratiques vantant des lendemains qui chantent, établis dans le secret d’un cabinet, aussi compétent fût-il, et, surtout, sans discussion.
M. le rapporteur a rappelé quelques-uns des impératifs d’aménagement modernes dans son préambule : un financement clair, des outils de pilotage efficaces, une concertation loyale avec les collectivités territoriales, une association des citoyens à l’élaboration des projets. Votre projet, monsieur le secrétaire d’État, ne répond à aucun de ces objectifs.
Commençons par le financement clair. Le coût du projet est inconnu. La somme de 21, 4 milliards d’euros est avancée dans le rapport. Même s’il est exact, ce montant, considérable, n’inclut pas le coût de construction des gares. On nous demande donc de signer un chèque en blanc. Pis, non seulement le coût final de l’opération n’est pas connu, mais son financement n’est pas assuré, comme l’a rappelé notre collègue Nicole Bricq. Parmi les modes de financement proposés, il en est un dont les résultats sont incertains : la taxe sur la valorisation foncière, comme le souligne lui-même le rapporteur. En d’autres termes, le financement n’est pas clair, il est au contraire pour le moins opaque.
Continuons avec un autre impératif : la concertation loyale avec les collectivités territoriales et l’association des citoyens. Les instances de décision de la Société du Grand Paris sont majoritairement composées de représentants de l’État. En cas de désaccord, c’est donc la voix de l’État qui primera. Aussi, un passage en force n’est pas exclu.
L’impératif d’associer les citoyens au projet n’est pas non plus respecté. L’article 3 du présent projet de loi permet la mise en œuvre d’une procédure simplifiée, dérogatoire à la procédure de droit commun en matière de débat public. Elle vise, selon les termes mêmes du rapport, à économiser un an. D’une part, on se demande s’il est pertinent de précipiter les aménagements de long terme. D’autre part, si on souhaite économiser le temps de la réflexion, cela montre bien que l’association des citoyens au projet est purement factice.
Autre exemple : l’impératif du développement durable. Le tracé prévu du métro souterrain passe en certains lieux des Yvelines et de la Seine-et-Marne par des espaces peu densément peuplés. Des gares y sont cependant prévues. Pour que de tels investissements soient rentables, pour que ces gares soient viables, il va falloir densifier les territoires environnants et augmenter du même coup l’étalement urbain. Le projet actuel n’est pas compatible avec les exigences d’une ville durable, qui doit être une zone moins dévoreuse d’espace, plus compacte et moins cloisonnée. Le projet laisse aussi de côté la question du fret.
Par ailleurs, l’aménagement du plateau de Saclay laisse également perplexe : sur le papier, on nous vante une vision innovante d’un futur cluster scientifique et technique. Pourtant, le projet semble méconnaître la réalité des clusters. Ainsi, le périmètre envisagé, qui couvre plus d’une quarantaine de communes et quelque 240 kilomètres carrés, soit deux fois et demie la taille de Paris, n’est pas compatible avec la définition du cluster, lequel repose sur la concentration des hommes et des activités.
M. le secrétaire d’État cite volontiers l’exemple de la Silicon Valley et de l’université Stanford pour justifier son aménagement. Je connais bien Palo Alto, dont j’ai été témoin de l’évolution au fil du temps : on y rencontre une entreprise high tech à chaque coin de rue. Le périmètre important de ce territoire est donc le résultat de la concentration exceptionnelle d’entreprises, non sa cause.
De plus, l’État occupe une place prépondérante dans ce projet, limitant le rôle et l’action des collectivités territoriales, alors qu’un cluster est avant tout le résultat d’une dynamique locale. La gouvernance proposée est donc en inadéquation avec le but visé et s’inscrit plutôt dans une perspective d’aménagement d’un autre temps. C’est là un double déni : déni démocratique d’une part, déni de modernité d’autre part. Le texte qui nous est présenté s’appuie sur un concept biaisé et insuffisamment maîtrisé. Nous le constatons, ce projet ne répond pas à la définition d’un véritable cluster, et il n’est donc pas viable.
En outre, le projet de loi est fondé sur une vision très contestable des métropoles, qui se résumeraient à une mosaïque de pôles spécialisés. Cette vision multipolaire ne résiste pas à l’analyse. L’activité économique est souvent plus diffuse. C’est davantage vers des quartiers mixtes groupant logements et activités qu’il faut aller.
Nous sommes bel et bien en désaccord sur la forme et sur le fond. Nous privilégions des liaisons domicile-travail, des liaisons de banlieue à banlieue, le désenclavement de certaines villes et le rééquilibrage à l’est, ce qui permettrait de répondre aux attentes des Franciliens.