Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est saisi le premier de ce projet de loi autorisant la ratification de l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine, dont la signature est intervenue en deux étapes – le 21 mars 2014 pour les dispositions politiques et le 27 juin 2014 pour les autres dispositions –, à la suite de négociations entamées depuis 2007.
Cet accord vise à remplacer l’accord de partenariat et de coopération signé en 1994 entre l’Union européenne et l’Ukraine. Il s’inscrit dans le cadre du Partenariat oriental, initiative lancée en 2009 pour relancer la politique européenne de voisinage sur le flanc est de l’Europe, lequel, je le rappelle, concerne aussi la Moldavie et la Géorgie, deux pays avec lesquels des accords d’association similaires ont été passés, ainsi que l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Biélorussie, qui ne se sont pas encore engagées dans de tels accords.
L’accord d’association que nous examinons aujourd’hui est un accord ambitieux, qui comprend à la fois un volet politique, un volet commercial visant à une libéralisation quasi totale des échanges et un volet dit « de coopération », dont l’objectif est la reprise par l’Ukraine de l’acquis normatif communautaire dans un grand nombre de domaines.
Le contexte actuel en Ukraine donne évidemment une dimension particulière à l’examen de ce texte, et je salue la délégation parlementaire ukrainienne présente ici même.
On se souvient que c’est la décision du président Viktor Ianoukovytch de suspendre brutalement le processus de négociation, à une semaine de la signature de l’accord prévue au sommet de Vilnius du 28 novembre 2013, qui avait été l’élément déclencheur du soulèvement populaire de Maïdan. Néanmoins, très vite, la protestation a dépassé la question de la non-signature de l’accord et débouché sur une crise politique et internationale aux multiples implications.
Le gouvernement provisoire mis en place en février 2014 après le départ de Viktor lanoukovytch a, quant à lui, affirmé très vite son intention d’entériner l’accord, qui a été signé quelques semaines plus tard. Sa ratification par le Parlement ukrainien, la Rada, est intervenue, quant à elle, le 16 septembre 2014, symboliquement le même jour que celle du Parlement européen.
Le volet politique de cet accord particulièrement volumineux – je rappelle que l’accord comporte 486 articles et 44 annexes, le tout sur plus de 1 500 pages – prévoit le développement d’un dialogue sur les réformes intérieures et le renforcement de la coopération dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité. Il s’agit, par ce dialogue, de promouvoir la paix et la sécurité internationales et de renforcer le respect par l’Ukraine des principes démocratiques, de l’État de droit, de la bonne gouvernance, des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’accord de libre-échange complet et approfondi, qui constitue le noyau dur de l’accord en même temps que son deuxième volet, prévoit la libéralisation complète des échanges grâce à la suppression des droits de douane sur la quasi-totalité des lignes tarifaires et à des mesures non tarifaires visant à faciliter l’accès aux marchés, comme l’harmonisation des procédures douanières, la transparence des marchés publics, la libéralisation des services ou encore les règles visant à garantir la libre concurrence.
Enfin, le troisième volet vise à l’adoption par l’Ukraine d’une grande partie de la réglementation communautaire applicable dans vingt-sept domaines, allant de l’énergie à l’agriculture et aux transports, de la politique industrielle à la politique en faveur des PME, de l’environnement à la protection des consommateurs, au tourisme, à l’éducation ou à la culture. Ce rapprochement réglementaire et normatif doit être réalisé avec l’assistance de l’Union européenne.
Quels sont les avantages de cet accord pour chacune des parties ?
Pour l’Ukraine, il s’agit d’accélérer son rapprochement économique avec l’Union européenne, qui est d’ores et déjà son premier partenaire commercial, avec 31 % de ses échanges extérieurs. L’accord représente également un puissant levier pour moderniser son économie, en incitant à l’instauration d’un environnement favorable à la concurrence et aux investissements dans un pays où la corruption et l’économie informelle sont encore, hélas ! des réalités.
Or la situation économique de l’Ukraine est telle qu’elle a besoin de manière urgente d’une modernisation en profondeur qui lui permette de se relever et de redémarrer. À lui seul, le conflit à l’Est coûterait au pays quelque 10 millions de dollars par jour. Depuis un an, l’activité s’est effondrée, la monnaie ukrainienne a perdu plus de la moitié de sa valeur, les réserves de change ont fortement diminué et le secteur bancaire se trouve largement fragilisé.
Si l’application de l’accord est susceptible, dans un premier temps, de provoquer des ajustements difficiles, notamment pour la production industrielle et les biens de consommation courante, l’Ukraine bénéficiera, pour certains produits sensibles, d’une asymétrie transitoire, la diminution des droits de douane étant plus rapide pour les exportations ukrainiennes que pour les exportations européennes. À moyen terme, l’Ukraine espère valoriser son potentiel dans des domaines comme l’agriculture et l’agroalimentaire, l’énergie et les transports, où elle excelle.
Enfin, l’Ukraine bénéficiera sur la période 2014-2020 d’une aide financière européenne importante d’environ 4, 8 milliards d’euros, sans compter les prêts que peuvent accorder la Banque européenne d’investissement et la Banque européenne de reconstruction et de développement, soit un total approchant les 13 milliards d’euros sur la période.
En ce qui concerne l’Union européenne, l’accord a pour premier avantage de favoriser le développement économique et la stabilité d’un pays de son voisinage immédiat. L’Union gagne également des perspectives en matière d’investissements directs et de commerce. Enfin, l’accord permet des avancées au bénéfice des pays européens, notamment en ce qui concerne la lutte contre la contrefaçon et la protection des indications géographiques protégées. Ainsi, des dénominations telles que Cognac, Champagne ou encore Cahors, pour ne citer que quelques exemples intéressant particulièrement la France, ne pourront plus être utilisées pour des vins produits sur le territoire ukrainien. L’application par l’Ukraine des normes sanitaires et phytosanitaires représentera également un progrès, contribuant à l’égalisation des conditions de concurrence en même temps qu’à une sécurité sanitaire accrue pour le commerce des produits végétaux et issus de l’élevage.
Pourquoi ratifier maintenant cet accord ?
Il s’agit tout d’abord – et c’est essentiel – de permettre à la France d’être à la hauteur du rôle important qu’elle joue en faveur du règlement du conflit en Ukraine et de l’engagement personnel du Président de la République, avec la Chancelière allemande, dans le cadre des accords de Minsk. Il s’agit de faire en sorte que, dans la perspective du sommet de Riga des 21 et 22 mai prochains sur le Partenariat oriental, la France ait engagé le processus de ratification.
Il s’agit également de répondre à l’attente de l’Ukraine, qui, dans la perspective de la mise en œuvre de l’accord, a lancé des chantiers de réformes dans un certain nombre de domaines : fiscalité, secteur bancaire, lutte contre la corruption, politique énergétique, dépenses publiques. Même s’il ne faut pas sous-estimer les difficultés rencontrées, il existe une volonté réformatrice en relation avec l’accord d’association, qui mérite d’être encouragée. Il convient aussi de ne pas décevoir les aspirations de la société ukrainienne à l’égard de l’Europe.
Néanmoins, il faut souligner que cet accord, si ambitieux soit-il, ne donne pas de perspective européenne à l’Ukraine. C’est un point sensible sur lequel la position de la France, qui est aussi celle de plusieurs autres États membres, est claire et a été exprimée : nous ne sommes pas favorables à un élargissement de l’Union européenne à l’Ukraine.
A contrario, cet accord n’implique pas que l’Ukraine se tourne exclusivement vers l’Union européenne et renonce aux relations économiques qu’elle peut avoir, par ailleurs, avec d’autres partenaires, au premier rang desquels figure la Russie. Il est à cet égard souhaitable que se poursuivent les discussions trilatérales entre l’Union européenne, l’Ukraine et la Russie – vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État –, afin d’identifier les problèmes pratiques que l’accord d’association pourrait poser et de tenter d’y remédier, pour la plus grande satisfaction de tous.
En conclusion, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous propose d’adopter ce projet de loi de ratification.