Intervention de Alain Bertrand

Réunion du 7 mai 2015 à 9h30
Accord d'association union européenne et communauté européenne de l'énergie atomique–ukraine — Adoption d'un projet de loi en procédure accélérée dans le texte de la commission

Photo de Alain BertrandAlain Bertrand :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je salue les membres de la délégation ukrainienne.

L’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine s’inscrit dans le cadre du Partenariat oriental, lancé pour donner une dynamique nouvelle à la politique de voisinage avec les pays de l’Est, plus particulièrement avec six d’entre eux : la Moldavie, la Biélorussie, l’Ukraine, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Conçue pour favoriser la stabilité, la sécurité et la prospérité dans l’environnement immédiat de l’Union européenne, cette politique est bien évidemment souhaitable.

Nous avons clairement intérêt à développer un dialogue politique conduisant toutes ces républiques à mener les réformes indispensables en matière économique et institutionnelle ; je pense notamment à l’approfondissement de la démocratie. Les accords d’association vont en ce sens. Mais ce n’est pas exclusif. Il y a aussi des plans d’action et un outil financier, l’Instrument européen de voisinage, qui ont déjà produit des effets dans certaines des six républiques concernées.

Par ailleurs, des États membres de l’Union européenne entretiennent depuis plusieurs années des relations bilatérales avec ces pays. Ainsi, en Ukraine, les Alliances françaises sont très actives. La coopération décentralisée est également à l’œuvre, avec une quarantaine de jumelages entre villes françaises et ukrainiennes.

Pour autant, il reste encore beaucoup à faire pour que ces pays amis se hissent au niveau de nos standards européens, malgré les difficultés que nous connaissons.

Les membres du groupe du RDSE sont donc évidemment favorables au principe qui consiste à accompagner l’Ukraine dans son développement et son élan réformateur. Il faut encourager le développement économique de ce pays, qui dispose d’atouts et d’un formidable potentiel ; disant cela, je pense par exemple aux ressources minérales ou à l’agriculture. L’Ukraine offre à l’évidence des perspectives d’investissements et de commerce importantes pour ses voisins. Mais le climat des affaires devrait être plus serein pour que cela puisse se concrétiser.

Il faut le reconnaître, l’accord d’association comporte un certain nombre d’avancées en son titre III, qui concerne des points très importants : la justice, la liberté et la sécurité.

L’urgence paraît être à la consolidation des institutions judiciaires et de sécurité. L’Ukraine figure malheureusement en queue de peloton dans le classement sur la corruption de l’organisation Transparency international.

La Rada a adopté une stratégie anti-corruption pour 2014-2017, et les services de sécurité ont été largement réformés. Mais l’assassinat d’un député et d’un journaliste au mois d’avril dernier témoigne tragiquement des difficultés actuelles du pays, difficultés accentuées par la crise politique depuis 2013.

Ainsi que notre collègue rapporteur l’a indiqué, l’accord avec l’Ukraine intervient dans un contexte très sensible. Le conflit a fait plus de 6 000 morts. De nombreuses personnes ont été déplacées. Certes, les accords de Minsk des 11 et 12 février ont permis de contenir la situation, mais celle-ci reste instable, fragile, difficile.

Dans ces conditions, nous pouvons légitimement nous interroger sur la stratégie du Gouvernement visant à engager rapidement la procédure de ratification de l’accord d’association avec l’Ukraine en vue du prochain sommet de Riga.

Comme vous le savez, nous pouvons tous ici souscrire aux objectifs de l’accord. Mais personne n’ignore le fond du sujet : sa portée politique à l’égard de la Russie, qui s’inquiète de la concurrence exercée par l’Union européenne au détriment de l’Union économique eurasiatique et d’une potentielle avancée de l’OTAN vers l’Est. Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans l’esprit de nos amis russes, et il convient de le prendre en considération.

Notre diplomatie doit aussi se soucier de l’équilibre à trouver entre l’Europe, qui regarde légitimement vers l’Est, et la Russie, qui souhaite tout aussi légitimement conserver une aire d’influence, conformément à son histoire et à son poids sur la scène internationale. Il faut donc faire preuve de lucidité et d’honnêteté : des deux côtés, chacun peut avancer ses intérêts au regard de son passé et de son influence.

L’Ukraine constitue évidemment un point névralgique, pour les raisons géostratégiques, géopolitiques et historiques que nous connaissons tous. La Russie souhaite en faire une zone neutre, une zone tampon.

D’ailleurs, l’Ukraine est elle-même tiraillée entre Bruxelles et Moscou depuis 1991. La révolution de la place Maïdan en a été l’illustration. Si le pouvoir actuel est pro-occidental aujourd’hui, qu’en sera-t-il demain ? Les liens historiques et culturels entre l’Ukraine et la Russie sont très forts !

Ainsi, le président ukrainien Leonid Koutchma déclarait que personne en Occident n’attendait l’Ukraine en 1996 et demandait l’intégration européenne en 1999.

Viktor Ianoukovitch a développé le même syndrome du louvoiement, en suspendant les discussions sur l’accord d’association avec l’Union européenne, contre la promesse de Vladimir Poutine d’une aide économique importante.

C’est donc une situation d’équilibre. Il importe d’avoir un dialogue franc et clair à l’égard de tous les acteurs, y compris l’Ukraine, tant le poids de chacun est important.

À l’égard des républiques du Partenariat oriental, il faut rappeler – cela a été fait par M. le rapporteur – que les accords d’association ne constituent en rien un tremplin vers une adhésion future à l’Union européenne. À l’égard de la Russie, il sera opportun d’éviter les provocations telles que les entraînements militaires de l’OTAN à proximité des frontières russes.

Enfin, l’Union européenne doit définir collectivement une stratégie diplomatique efficace, durable et sûre dans sa relation avec la Russie, afin d’éviter de bâtir des murs d’incompréhension qui obscurciraient l’avenir des peuples.

Dans la mesure où les conditions ne sont pas réunies aujourd'hui et où le moment n’est pas le mieux choisi, les membres du RDSE ont décidé de s’abstenir sur ce texte.

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