Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à l’heure où la situation financière des collectivités territoriales est de plus en plus fragile du fait de la baisse des dotations de l’État, nous mesurons à quel point l’octroi de mer est un enjeu crucial, en particulier pour le financement de l’action publique locale outre-mer.
Cet impôt représente la première recette fiscale des collectivités ultramarines. Le taux de base d’octroi de mer est de 17, 5 % en Guyane, de 9, 5 % en Guadeloupe et en Martinique et de 6, 5 % à La Réunion. À ces taux, il faut ajouter la taxe additionnelle à discrétion des exécutifs locaux. Le taux régional d’octroi de mer, taxe additionnelle, oscille entre 1 % et 2, 5 %. Au total, la recette s’élève ainsi à près de 1, 146 milliard d’euros par an, soit un montant non négligeable et difficilement substituable.
L’octroi de mer représente parfois jusqu’à 40 % des recettes fiscales de certaines collectivités territoriales ultramarines. Nous sommes tous conscients que l’insularité, l’éloignement et les différentes contraintes géographiques imposent au service public ultramarin des sujétions particulières. Par conséquent, il faut trouver une solution financière pour y répondre. L’octroi de mer est-il pourtant une solution parfaitement adaptée ?
Le présent projet de loi vient actualiser la loi de 2004 au regard du droit européen sans remettre fondamentalement en cause les équilibres et le fonctionnement de cet impôt. C’est bien dommage, car, au-delà de l’enjeu financier pour les collectivités d’outre-mer, cet impôt pose de véritables questions de justice sociale et représente également un enjeu pour le fonctionnement des services et l’image de l’État en outre-mer.
L’octroi de mer est une taxe ancienne, comme cela a été rappelé, qui frappe à la fois les importations de marchandises et les activités de production en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte et à La Réunion. Son origine remonte au « droit des poids » institué en 1670. Bien que toiletté ou actualisé, cet impôt demeure particulièrement complexe : en Guadeloupe et en Martinique, treize taux effectifs s’appliquent, quatorze à La Réunion, dix-huit en Guyane et vingt-cinq à Mayotte.
Au-delà de sa complexité, l’octroi de mer est un impôt inéquitable. De fait, cette taxe frappe aveuglément – je dis bien aveuglément – toutes les personnes résidant dans les régions, les départements et les territoires d’outre-mer. Il pénalise le consommateur sans aucune forme de distinction : c’est un impôt régressif. Par définition, ce sont donc les personnes et les familles les plus fragiles qui en souffrent le plus. Ne pas prendre en compte le niveau de revenu du consommateur final revient en l’espèce à accepter de frapper plus durement les familles avec plusieurs enfants.
Il est donc bien dommage que le présent projet de loi ne prenne pas cette question à bras-le-corps. Il s’agit du premier toilettage de la loi de 2004 depuis la grève générale des Antilles en Guadeloupe et en Martinique de 2009 menée par Élie Domota et le LKP au nom justement de la « vie chère ». Or nous continuons de financer le service public local au moyen d’une taxe sur la dépendance extérieure. Est-ce bien raisonnable ? Il est difficilement acceptable de pénaliser ainsi nos concitoyens ultramarins.
A fortiori, le développement économique lui-même est touché. L’octroi de mer est une forme de mauvaise TVA sociale. Taxer les importations pour favoriser la production locale est une chose, mais taxer ce qui ne peut pas être produit localement est injuste. Ainsi, consacrer la recette dégagée au financement du service public et, par conséquent, à son coût de fonctionnement est une déperdition pour le financement de l’économie réelle. L’octroi de mer ne saurait agir comme un protectionnisme éducateur ; il ne fait qu’étouffer l’économie locale.
À ce titre, je souhaite vous alerter, madame la ministre, sur la réduction du seuil d’imposition des entreprises de 550 000 euros à 300 000 euros. À l’occasion d’un récent déplacement en Guyane, le président du conseil régional m’a fait connaître ses doutes quant à l’opportunité de frapper ainsi plus durement le tissu économique local en période de crise.
Dans le même ordre d’idée, on mesure encore trop mal les conséquences commerciales, les effets d’aubaine et les distorsions concurrentielles induites par cet impôt. En effet, certains territoires se livrent une petite guerre commerciale en faisant varier le prix de leur production locale grâce à leurs pouvoirs de taux sur la part additionnelle de l’octroi de mer.
Enfin, autre incohérence provoquée par cet impôt : la fragilisation des services publics de l’État.
J’avais proposé en commission, et je le présenterai en séance dans quelques instants, un amendement visant à exonérer les importations nécessaires au bon fonctionnement des services publics de l’État. Il soulève la question de taxer les importations des services de secours et d’incendie. Faut-il imposer les munitions ou le matériel des forces de l’ordre ?
Peut-être présume-t-on de la capacité de l’État à payer l’impôt quel que soit son montant, car en l’espèce, les gestionnaires locaux rationnent leurs consommables et ajustent leur matériel à l’impôt, et non l’inverse.
Cela a pour conséquence de rompre de fait l’égalité de nos concitoyens devant les charges publiques. Ils peuvent subir une moindre qualité de service public selon qu’ils habitent sur une rive ou l’autre de l’océan.
Cela est aussi dommageable pour l’image et l’autorité de l’État. La baisse des dotations aux collectivités bloque toute forme de dialogue et de négociation sur ces questions. Rendez-vous compte, madame la ministre, de nombreux responsables administratifs de l’État en outre-mer sont contraints d’aller quémander des baisses de taux d’octroi de mer aux exécutifs locaux. Le ministère de la défense et le ministère de la santé viennent justement de demander des exonérations à la région de Guyane. Le dialogue a tourné court : du fait de la baisse des dotations de l’État, toute exonération est désormais rendue improbable. Les négociations sont difficiles et tournent rapidement au dialogue de sourds, dès l’instant où chacun est soumis à des contraintes budgétaires fortes. Comment pensez-vous faire respecter l’autorité de l’État de la même manière sur l’ensemble du territoire si nous continuons de perpétrer ce système fiscal ?
Il faut choisir clairement : soit on accepte ce système et, dans ce cas, il faut que l’État adapte son budget à l’inflation des coûts d’entretien et d’approvisionnement de ses services en outre-mer ; soit on exonère et on soulage les gestionnaires et les services publics nationaux de la contrainte exercée par cet impôt.
Au-delà, les solutions à apporter ne sont pas simples à concevoir. Je l’ai déjà dit, les sénateurs du groupe UDI-UC sont conscients de l’enjeu financier important pour les collectivités territoriales concernées. Nous sommes également conscients des limites importantes de ce mode de fiscalité.
Il faudra de toute façon continuer à réfléchir à une voie de sortie de l’octroi de mer et définir des ressources pérennes pour nos territoires ultramarins qui soient respectueuses des populations les plus fragiles, du développement économique et de l’autorité de l’État.
Dans l’immédiat, le groupe UDI-UC votera par défaut le présent projet de loi. Bien qu’il ne réponde pas aux véritables questions, il a au moins le mérite de mettre notre droit en conformité avec les exigences européennes et permettra, dans l’immédiat, de répondre aux besoins de financement des collectivités ultramarines. Ce sera déjà ça, mais prenons date pour que l’on poursuive nos échanges en vue de trouver d’autres solutions.