Intervention de Jean-Pierre Caffet

Réunion du 6 avril 2010 à 22h00
Grand paris — Question préalable

Photo de Jean-Pierre CaffetJean-Pierre Caffet :

Aujourd’hui, nous sommes obligés de constater, que dans ce texte, par rapport à ce discours, il n’y a rien de vrai, il n’y a rien de beau, il n’y a rien de grand, il n’y a rien de juste. Le rêve prometteur initié par les architectes a finalement accouché d’un métro automatique souterrain, de deux établissements publics et de nombreuses dispositions contraires aux principes de la décentralisation.

Nous aurons l’occasion d’en faire la démonstration dans le débat qui s’ouvre.

Pour l’heure, parce que la loi sort toujours grandie d’un vrai débat démocratique, arguments contre arguments, je veux me concentrer sur les désaccords de fond qui nous opposent et qui nous incitent à poser la question préalable.

Notre premier désaccord, monsieur le secrétaire d’État, porte sur la stratégie économique qui est sous-jacente à ce texte. Pour vous, afin de doubler la croissance en Île-de-France, il suffirait de relier entre eux, par un métro automatique, des clusters, des pôles de développement spécialisés, qu’ils soient déjà identifiés ou en devenir. Seraient ainsi créés un million d’emplois supplémentaires à l’horizon de quinze ans, cela d’ailleurs en parfaite contradiction avec les perspectives démographiques actuelles, notamment en termes de population active et, surtout, sans que le texte réponde à ces questions cruciales : où et comment seront logés ces nouveaux salariés ?

C’est cette stratégie, fondée sur une vision avant tout technique, que nous contestons. Et si nous la contestons, c’est que nous pensons que votre texte souffre d’un problème de diagnostic.

Vous citez abondamment, monsieur le secrétaire d’État, les autres villes-monde, New York, Londres, Tokyo, mais vous ne faites que les citer comme des eldorados à imiter, sans décrire leur stratégie de développement. Or il suffit de les observer pour constater que le postulat de concentration de l’activité économique dans quelques pôles spécialisés comme facteur essentiel de compétitivité et de croissance ne résiste pas à l’examen de la manière dont se recomposent les grandes métropoles mondiales.

En tout cas, ce que nous ont dit clairement les responsables de l’extension du réseau de transports en commun londonien lors de notre déplacement outre-manche, c’est que leur stratégie ne reposait pas sur un lien de transport entre clusters, mais visait avant tout à relier les banlieues ouest et est de Londres, en passant par le centre de la capitale. Vous en conviendrez, monsieur le rapporteur.

Cette question du diagnostic sur les forces et les faiblesses de l’Île-de-France est pour nous centrale. Le temps me manque pour expliciter notre analyse, mais force est de constater que cette région est extrêmement puissante sur un grand nombre de filières économiques.

Aussi l'enjeu n’est-il pas de rechercher une ou plusieurs filières pour les renforcer en les territorialisant à l'extrême.

Non, le véritable enjeu pour nous est de faire en sorte que la machine à innover régionale soit plus efficace, ce qui suppose de combler le déficit d'entrepreneuriat que l'on constate par rapport à d'autres régions du monde ou, dit autrement, le déficit d'accompagnement aux porteurs de projets dont peuvent naître les petites et moyennes entreprises. Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d'État, je me réfère à ces deux étudiants de Stanford que vous évoquiez dans la discussion générale.

De fait, partant du constat que les pôles de compétitivité ne peuvent tout faire, nous pensons que la stratégie francilienne de croissance renvoie moins à un problème de choix de secteur à privilégier qu'à la sous-efficacité actuelle de l'appareil productif.

Nous pensons, pour résumer, que la véritable question stratégique est celle de la territorialisation des politiques d’innovation et qu'elle dépasse largement le seul problème du contour géographique des clusters.

En Île-de-France, le cluster, pour nous, ce doit être la région tout entière. C’est cette stratégie qu’a tenté d’incarner le SDRIF – peut-être imparfaitement, j’en conviens... –, en faisant en sorte, en outre, que les enjeux sociaux soient intégrés au mieux dans les priorités régionales, de manière à associer les politiques d’aménagement et les politiques de développement économique.

Notre deuxième point de désaccord, qui est tout aussi profond que le premier, porte sur la méthode employée pour élaborer ce projet de loi. D’une certaine manière, ce texte signe le retour de l’État en Île-de-France. Cela aurait pu être une bonne nouvelle, après des décennies d’absence, mais ce retour s’effectue dans les pires conditions, et je dirai même dans des conditions exécrables.

Je ne reviendrai pas sur les différentes versions de ce texte, notamment celle du 27 août 2009, heureusement modifiée à la suite de son examen par le Conseil d’État, afin d’en gommer les aspects les plus « recentralisateurs », qui encouraient le risque d’inconstitutionnalité.

Songez, mes chers collègues, que le Gouvernement avait imaginé au départ, après une vague concertation avec les collectivités locales, de leur imposer par décret le périmètre et le contenu des contrats de développement territorial ! Et quand je parle de contenu, ce n’est pas un vain mot, puisqu’il s’agissait « des orientations générales de développement et d’aménagement, notamment en matière d’urbanisme, de logement, de transports et de déplacements, de développement des communications numériques, de développement économique et culturel, d’espaces publics, de commerce », et j’en passe... La liste serait trop longue à énumérer dans le temps qui m’est imparti.

Vous aviez même prévu, monsieur le secrétaire d’État, que ce décret pourrait modifier la charte d’un parc naturel régional, ce qui en dit long sur les préoccupations environnementales qui vous animent ! Il est vrai que vous avez reculé sur ces prétentions, mais cette philosophie attentatoire à la décentralisation ne vous a pas abandonné. Je n’en citerai que deux exemples.

Tout d’abord, premier exemple, vous avez délibérément ignoré – pour ne pas dire méprisé ! – le plan de mobilisation pour les transports élaboré par la région et les départements d’Île-de-France. Or ce plan, qui tend à répondre aux besoins urgents des Franciliens, est financé, lui, pour les deux tiers de son coût, grâce aux engagements consentis par les collectivités locales. Cerise sur le gâteau, monsieur le secrétaire d'État, vous avez inspiré une disposition visant à étouffer dans l’œuf tout débat public sur la pièce maîtresse de ce plan, c’est-à-dire Arc Express.

Le second exemple a trait à la composition des organes dirigeants de la Société du Grand Paris et aux pouvoirs exorbitants qui lui sont conférés.

C’est l’État qui, de fait, au travers du directoire de la SGP, un triumvirat nommé par décret, aura les pleins pouvoirs, les collectivités territoriales étant appelées à faire de la figuration dans un conseil de surveillance où elles seront minoritaires.

C’est l’État encore qui, au travers de la SGP, aura pour mission de définir ce nouveau réseau de transports, au mépris des compétences légales de la région et du STIF.

Et c’est toujours l’État qui, au travers de la SGP, pourra imposer à une commune ou à un EPCI une opération d’aménagement ou de construction autour d’une nouvelle gare, et ce même si la commune ou l’EPCI concerné a émis un avis défavorable. Car c’est ce que dit le texte.

Tout cela constitue à l’évidence un recul démocratique majeur, car c’est la première fois depuis que la gauche a lancé le mouvement de décentralisation, voilà maintenant près de trente ans, que l’on éloigne à une telle échelle la prise de décision des élus légitimes qui en ont la charge.

J’en viens au troisième désaccord de fond que nous avons sur ce texte.

Nous pouvons comprendre, monsieur le secrétaire d’État, que vous êtes le représentant d’un gouvernement gérant un État impécunieux et financièrement exsangue, mais nous avons le regret de vous dire, en tant qu’élus nationaux représentant les collectivités territoriales, que nous ne pouvons accepter de cautionner un projet d’un montant de plus de 20 milliards d’euros qui n’est pas financé ou qui ne l’est qu’à la marge, via la valorisation foncière des terrains qui feront l’objet d’une opération d’aménagement ou de construction dans les périmètres concernés. Je dis « à la marge », car chacun sait que ces recettes ne procureront sans doute que quelques centaines de millions d’euros, peut-être 1 ou 2 milliards d’euros, sur les 30 milliards au moins que vous devrez rembourser en quarante ans, c'est-à-dire les 20 milliards d’euros de capital emprunté auxquels viendront s’ajouter les intérêts.

Certes, l’article 1er de ce projet de loi, dans sa nouvelle rédaction, dispose que ce financement sera assuré par l’État. Mais, en même temps, pour alimenter les caisses de la Société du Grand Paris, vous ne résistez pas à la tentation d’alourdir les charges du STIF en appliquant l’imposition forfaitaire des entreprises de réseau au matériel roulant utilisé sur les lignes de transport en commun de voyageurs en Île-de-France.

Bref, nous avons tout lieu de craindre que le financement de ce nouveau réseau ne soit partagé avec les collectivités locales de façon bien plus importante que vous ne le dites maintenant.

Vous aurez compris que ce texte ne nous convient absolument pas. Pourtant, dans cette idée généreuse de Grand Paris, une autre voie était possible : celle d’un partenariat loyal et fécond entre l’État et les collectivités territoriales, partenariat que nous avons réclamé pendant des mois sans être entendus. Cette voie n’est pas un rêve, ni une idée fumeuse. Elle avait même trouvé une incarnation : le rapport de notre collègue député Gilles Carrez, qui faisait consensus sur l’essentiel.

L’essentiel, c’est la redéfinition du réseau de transports francilien en intégrant votre double boucle, mais aussi le contrat de projets État-région dans sa dimension « transports », et le plan de mobilisation de la région et des départements franciliens.

L’essentiel, c’est aussi un phasage prévisionnel crédible, avec une première étape jusqu’en 2025, conciliant l’impératif économique et l’urgence pour les Franciliens.

L’essentiel, c’est encore un plan de financement, tout aussi crédible, sur le plan tant de l’investissement que du fonctionnement.

L’essentiel, enfin, c’est une gouvernance originale de la mise en œuvre de ce nouveau réseau par la création d’une nouvelle entité juridique distincte du STIF, dans laquelle l’État aurait d’ailleurs pu être majoritaire, mais qui aurait partagé avec le STIF sa direction et ses équipes techniques, ce qui aurait à l’évidence permis d’optimiser la cohérence des projets de l’État et des collectivités locales.

Ce schéma, monsieur le secrétaire d’État, vous n’avez pas voulu en entendre parler, pas plus d’ailleurs que le rapporteur de notre commission spéciale, que je tiens néanmoins à remercier de la quantité et de la qualité des auditions qu’il a menées.

Vous persévérez aujourd’hui dans une volonté recentralisatrice de mise à mal des compétences légales et des projets des collectivités territoriales. Vous le faites en outre dans un contexte très particulier. Qui, sinon le Président de la République, a décidé de transformer les élections régionales franciliennes en une sorte de référendum sur les transports et sur votre vision du Grand Paris ? Vous conviendrez, monsieur le secrétaire d’État, que ce référendum, vous l’avez perdu. Et de quelle manière ! Et pourtant, vous décidez aujourd’hui de continuer sur la voie que les électeurs ont rejetée.

À élections régionales, conséquences régionales, nous avait-on dit. Et pourtant, ce que nous vivons avec le maintien de ce texte, et même son aggravation, c’est plutôt : à élections régionales, oukase national ! À l’ignorance des collectivités locales et de leurs élus, vous ajoutez le déni de démocratie vis-à-vis des électeurs.

Mes chers collègues, il me faut conclure. Je le ferai en quelques mots.

Stratégie économique erronée parce que trop partielle et trop datée, empiétement inacceptable de l’État sur les compétences des collectivités locales, aventurisme financier, refus de tirer les leçons pourtant claires d’un scrutin qui date de moins d’un mois : voilà autant de raisons de vous demander de retirer ce texte et d’en écrire un autre qui pourrait être fondateur d’un partenariat inédit entre l’État et les collectivités franciliennes, un partenariat fondé sur le respect mutuel et le principe de la codécision. Pour notre part, nous sommes prêts à y contribuer.

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