Intervention de Roger Karoutchi

Réunion du 11 mai 2015 à 14h00
Réforme de l'asile — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Roger KaroutchiRoger Karoutchi :

Monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers collègues, que puis-je ajouter de plus ? Mon collègue François-Noël Buffet a dit l’essentiel.

Monsieur le ministre, j’ai bien noté au début et à la fin de votre propos liminaire un peu d’agacement : ce texte méritait mieux, notamment d’autres propositions, plus républicaines...

Avant d’aborder les points liés plus particulièrement au financement de la réforme, permettez-moi de dire en toute sincérité que nous n’avons pas travaillé dans une ambiance partisane ni empreinte de sectarisme. J’ai toujours pensé que vous étiez un grand républicain. Je l’ai encore affirmé après les attentats de janvier dernier, lorsqu’il s’est agi de faire l’unité nationale. Ici aussi, sur le droit d’asile, pourquoi ne pas essayer de faire preuve d’unité ?

Lorsque j’ai été réélu sénateur en 2011, je me suis montré extraordinairement critique à l’égard du gouvernement de l’époque sur les questions liées au droit d’asile. Déjà, je pensais que tout cela était bel et bon, mais qu’il était important de préserver le droit d’asile. Car ce droit d’asile constitutionnel, lié à la convention de Genève, qui a fait l’honneur de la France lorsqu’elle a accueilli les persécutés des régimes militaires sud-américains, du bloc soviétique, du Cambodge ou d’Afrique, après bien des massacres et des guerres civiles, ce droit d’asile, nous y tenons ! Nous y sommes profondément attachés, car c’est l’honneur de la France que des personnes menacées du fait de leurs convictions, de leurs modes de vie ou de leur personnalité puissent se tourner vers notre République. Et je sais que tel est aussi votre sentiment, monsieur le ministre. Voilà pourquoi nous avons prévu certaines mesures, qui vont plus loin.

Depuis quelques années – le problème ne date pas de 2012, il résulte d’une situation internationale compliquée dans un grand nombre de pays, de la grande pauvreté qui règne sur le continent africain et de phénomènes qui échappent à la France, mais qui sont bien réels ! –, nous sommes passés de 30 000 demandes d’asile par an voilà sept ou huit ans à 60 000 en moyenne aujourd’hui. Or, excusez-moi de vous le dire, monsieur le ministre, mais ces 60 000 personnes ne viennent pas toutes de pays où elles sont persécutées. Toutes ne sont pas en danger du fait de leurs convictions politiques, philosophiques, religieuses ou humaines. Un grand nombre d’entre elles sollicitent le droit d’asile parce que des réseaux mafieux, comme l’a très bien souligné notre collègue François-Noël Buffet, les incitent à l’immigration pour fuir la pauvreté dans leur pays. Ces personnes partent pour la France ou d’autres pays d’Europe et se servent de la procédure du droit d’asile, qui offre un certain nombre de garanties, pour ne pas dire d’avantages, car je ne veux pas exagérer. Mais cela existe !

Depuis deux ou trois ans – et vous n’y êtes pour rien, monsieur le ministre ! –, avec la guerre en Syrie, les difficultés en Irak, les persécutions des chrétiens d’Orient et tous les migrants venus de Méditerranée, le système européen – pas uniquement français ! – explose. M. le rapporteur l’a souligné précédemment, l’Allemagne ne sait plus où elle en est. Ce pays a accueilli 130 000 demandeurs d’asile en 2013, 200 000 en 2014, et le ministre allemand de l’intérieur Thomas de Maizière en annonce 400 000 en 2015. Vous rendez-vous compte, 400 000 demandeurs d’asile en 2015, contre 130 000 voilà à peine deux ans ? L’État allemand réquisitionne les casernes et les écoles parce qu’ils ne savent plus comment faire.

Monsieur le ministre, le problème, ce n’est pas que votre texte ne va pas dans le bon sens – votre conception du droit d’asile n’est pas en question –, mais, en réalité, le système explose.

Dans l’urgence liée à cette explosion, votre texte est certes conforme aux directives européennes. Il va évidemment dans le bon sens puisqu’il vise, comme le rapporteur l’a très bien expliqué et comme le président de la commission des lois le rappelle régulièrement, à réduire les délais de la CNDA et à créer des postes à l’OFPRA. Je le reconnais, c’est le Gouvernement en place depuis 2012 qui crée ces postes ; les précédents gouvernements ne l’avaient pas fait ; ils avaient sanctuarisé les budgets.

Mais à quoi bon créer 20 % ou 25 % de postes supplémentaires à l’OFPRA quand il y a 100 % de demandeurs d’asile supplémentaires par an ? C’est une course infinie ! D’un côté, vous créez des postes mais, de l’autre, les demandes ne cessent d’augmenter. C’est, je le répète, une course sans fin. Certes, il faut réduire les délais. Mais comment voulez-vous faire ?

L’Allemagne, qui est débordée par l’afflux des demandes d’asile, vient de décider la création de plusieurs centaines de postes au sein de l’Office fédéral des migrations et des réfugiés, qui est l’équivalent de l’OFPRA.

On vous dit qu’il y a urgence, non pas parce que vous n’êtes pas conscient des réalités, mais parce que l’urgence à laquelle nous vous appelons est liée à la réalité internationale, à tout ce qui se passe, notamment en Orient, et vous en êtes parfaitement informé. Nous avons d'ailleurs toujours soutenu vos positions, que ce soit concernant le djihad islamique ou Daech. Les gens fuient l’Afrique, qui est de plus en plus pauvre ; les réseaux d’immigration se multiplient, et notre système a atteint ses limites.

Monsieur le ministre, vous évoquez les directives européennes, mais – et c’est là peut-être une différence entre nous ! – nous sommes tentés de vous dire que nous n’avons pas la capacité qui est la vôtre d’inciter l’Europe à prendre les choses à bras-le-corps. L’Europe doit se demander si sa politique en matière de droit d’asile et d’immigration correspond aux réalités d’aujourd’hui. Cette politique, qui a été définie voilà cinq ou dix ans dans bien des textes, a été mise en place à une période où on n’était pas dans l’urgence.

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