Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la réforme de l’asile est un texte très important, à la fois symbolique et décisif, pour que notre pays perpétue la tradition d’accueil et d’intégration inscrite dans son histoire depuis la Révolution française.
Dans le contexte de drames humains et face à une actualité extrêmement sensible, que M. le ministre nous a rappelée rappeler, nous devons faire preuve de responsabilité. Car un constat s’impose à nous : le dispositif actuel de l’asile a été, au fil du temps, dévoyé.
Ce dispositif ne nous permet plus d’accueillir dans de bonnes conditions ceux qui justifieraient de l’être, car il est totalement engorgé par des demandes qui relèvent non pas de l’asile, mais plutôt d’une immigration économique, de la pauvreté, et donc d’un autre cadre que la convention de Genève.
Le 28 novembre 2013, Jean-Louis Touraine et moi-même avions rendu au ministre de l’intérieur un rapport sur la réforme de l’asile qui synthétisait les conclusions de la concertation que nous avions menée avec l’ensemble des acteurs quotidiens de l’asile. Depuis lors, j’attendais avec impatience que nous puissions débattre de cette réforme au Parlement. Nous y voilà !
Ces dernières semaines, les médias ont fait leur une sur « l’Europe assiégée » et bientôt « envahie » par les vagues de migrants venus du Sud, quelquefois à l’excès. Mais ce qui est certain, c’est que, au regard de cette détresse, il y a urgence à traiter non seulement de la question de l’accueil des demandeurs d’asile, mais, bien plus globalement, de la réponse que l’Europe, dans son ensemble, compte apporter aux immenses problèmes des pays qui sont à sa porte.
Lorsque Jean-Louis Borloo nous interpelle sur la situation de l’Afrique, continent de 1 milliard d’habitants où seules 180 millions de personnes ont aujourd’hui accès à l’énergie, mais où plus de 700 millions de portables permettent de savoir tout ce qui se passe ailleurs et qui, outre les conflits, subit les dérèglements climatiques, l’avancée du désert, la déforestation, la sécheresse et la baisse des capacités agricoles, comment pouvons-nous penser que ce qui s’y passe n’est pas notre problème ?
Monsieur le ministre, vous avez souligné récemment la nécessité de renforcer les coopérations avec les pays de départ ; je ne peux qu’approuver cette intention. Nous constatons bien aujourd’hui que le plan d’actions en dix points adopté le 20 avril dernier par le conseil conjoint des ministres des affaires étrangères et de l’intérieur ne suffira pas à faire face à cette situation de crise. La destruction des embarcations des passeurs, certes nécessaire, ne constitue pas, à elle seule, l’intégralité de la solution.
Par ailleurs, nous devons garder en tête que, même si le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de 44 % en 2014 du fait des crises politiques en Syrie et en Irak, il n’y a eu que 626 000 demandeurs d’asile qui ont frappé à la porte d’une Europe de plus de 511 millions d’habitants, soit en moyenne 1, 2 demandeur d’asile par millier d’habitants. Il est vrai toutefois que cette demande s’est principalement concentrée sur quelques pays : l’Allemagne, la Suède, l’Italie et la France. Je souhaite d’ailleurs, monsieur le ministre, comme nombre de mes collègues, que notre pays ait un rôle moteur en Europe et engage des actions nouvelles permettant de renforcer sa politique de développement et d’améliorer le fonctionnement de la politique européenne de l’asile, car – nous le savons – c’est à l’échelon européen que tout se joue.
Nous en convenons tous : la question de l’asile doit être dissociée de celle de notre politique d’immigration, et la présente réforme doit être complétée – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre – par une réforme – nécessaire – de la politique de l’immigration : comme ses voisins, notre pays a besoin d’être attractif pour accueillir une immigration professionnelle, en particulier dans les secteurs où existent des besoins non satisfaits. Nous devons pouvoir attirer des talents et leur donner envie de s’installer en France, à l’image de ce que pratique le Canada.
Nous devons aussi prendre notre part à l’accueil de l’immigration de la pauvreté, mais nous devons le faire de manière choisie, et non subie, comme c’est le cas aujourd’hui, réfléchie et contrôlée, afin de pouvoir offrir à ces migrants une vie décente et la possibilité de s’intégrer socialement et professionnellement en France. Les formations politiques ont trop souvent préféré esquiver cette question sensible. Or le vote extrême nous rappelle avec force que nos concitoyens attendent des réponses qui ne soient ni l’angélisme de la bonne conscience ni le simplisme du « tous dehors ».
Le présent projet de loi réforme la politique de l’asile en transposant le « paquet asile », composé des directives européennes « Qualification », « Procédures » et « Accueil », que nous devons intégrer à notre législation nationale avant le 20 juillet prochain. Je ne reviendrai pas sur le contenu de ces textes : le rapporteur l’a fait et en a parfaitement rappelé l’esprit. La philosophie des règles du régime d’asile européen commun repose sur un équilibre entre des procédures efficaces pour un traitement rapide des dossiers et des garanties renforcées pour les demandeurs et les personnes obtenant la protection.
Le présent projet de loi doit nous permettre de passer un cap important en simplifiant la procédure d’examen du droit d’asile à chaque étape du parcours du demandeur. En supprimant la condition de domiciliation, en fixant des délais contraignants pour l’examen de la demande par l’OFPRA, puis par la CNDA, en organisant un hébergement directif et l’accompagnement social et administratif du demandeur, en précisant clairement les procédures de clôture, d’irrecevabilité, de retrait et de réexamen des dossiers par l’OFPRA, en permettant un examen en procédure accélérée des dossiers manifestement infondés ou prioritaires, en instaurant l’examen des recours devant la CNDA par un juge unique, nous devrions pouvoir accélérer le traitement des demandes et réduire leur délai moyen d’examen à neuf mois, contre environ deux ans aujourd'hui.
Cette réduction des délais est impérative pour deux raisons : d’abord, elle évitera que la procédure ne soit détournée de son objet par des personnes cherchant un moyen de se maintenir longtemps sur le territoire français, ce qui devrait donc décourager certaines filières mafieuses ; ensuite, elle permettra d’accueillir rapidement les personnes qui doivent être protégées en raison de menaces pesant sur leur intégrité physique, ce qui est aujourd’hui de moins en moins le cas.
Le présent projet de loi permet aussi d’accorder des garanties supplémentaires aux demandeurs : la possibilité de se faire accompagner lors de l’entretien à l’OFPRA, l’enregistrement de l’entretien, le caractère suspensif du recours jusqu’à la fin de la procédure, ou encore la prise en compte de la vulnérabilité. Il contient également des dispositions bienvenues : la réaffirmation de l’indépendance de l’OFPRA, la création de missions déconcentrées de ce dernier dans les territoires qui permettent de faire face efficacement à des afflux soudains de demandes, la suppression de la condition préalable de domiciliation, ou encore la désignation de l’OFII comme responsable du dispositif d’accueil du demandeur.
Lors de son examen, l’Assemblée nationale a modifié le texte, afin d’y introduire la prise en compte des violences faites aux femmes, la révision régulière de la liste des pays d’origine sûrs, l’ouverture à la parité du conseil d’administration de l’OFPRA, l’assouplissement de certains délais, ou encore la reconnaissance des associations de défense des droits de l’homme, des femmes ou des enfants ; en somme, une série de mesures qui ont utilement complété le travail du Gouvernement.
Ainsi, globalement, le projet de loi tel qu’il nous a été soumis après son adoption par l’Assemblée nationale reprend assez fidèlement les préconisations de simplification et de réorganisation figurant dans le rapport du mois de novembre 2013 précité, à une exception notable près : il ne traite pas de la question des demandeurs déboutés. Or, malgré les explications que vous nous avez fournies, celle-ci est centrale, monsieur le ministre, si l’on veut donner à la réforme de l’asile tout son sens. En effet, si 28 % des 64 811 demandes d’asile déposées en 2014 ont été satisfaites, cela signifie que, dans 72 % des cas, les demandeurs ont été déboutés. Et l’un des points sur lesquels le rapport susvisé avait mis l’accent était la nécessité que ceux-ci n’entrent pas, comme c’est le cas actuellement, dans la clandestinité, qu’ils ne recourent pas au dispositif d’hébergement d’urgence ou aux marchands de sommeil et qu’ils ne soient pas exploités, au sein de filières, par des personnes abusant de leur situation de précarité. Il faut au contraire les diriger vers des structures spécifiques, des centres dédiés, où ils seraient certes assignés à résidence, mais où leur situation ferait l’objet, si nécessaire, d’un dernier examen. En outre, le cas échéant, une fois que leur serait délivrée l’obligation de quitter le territoire français, cela permettrait de leur fournir une préparation psychologique et surtout matérielle au retour, plutôt que d’en faire des immigrés en situation irrégulière.
Sans ce volet, la réforme de l’asile n’est pas complète, et je me réjouis d’ailleurs que la commission des lois ait adopté mon amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 14, et visant la possibilité de mettre en place des centres dédiés aux personnes déboutées.
Mes chers collègues, puisque je mentionne les travaux de la commission des lois de la Haute Assemblée, permettez-moi de saluer la très grande qualité du travail de réécriture qu’a mené M. le rapporteur, François-Noël Buffet.