Séance en hémicycle du 11 mai 2015 à 21h45

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.

Photo de Françoise Cartron

La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la réforme de l’asile.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’essentiel ayant été dit, je m’en tiendrai aux quelques points qui me paraissent les plus importants.

Le droit d’asile, consacré par la première République française, constitue, avec les droits de l’homme qu’il complète, une sorte de « marque de fabrique » qui engage la France, laquelle entend rester fidèle à ses principes fondateurs. Qu’elle ne l’ait pas toujours fait, et pas seulement sous des régimes non républicains, n’y change rien.

Aujourd’hui, cependant, l’exercice effectif de ce droit d’hospitalité est menacé de deux manières, d’ailleurs liées : d’une part, par l’explosion du nombre des bénéficiaires potentiels, ce qui change la nature du droit d’asile ; d’autre part, par les délais de procédure qui finissent par neutraliser l’efficacité de ce droit et qui sont source de souffrances inutiles pour les intéressés.

L’article 120 de la Constitution de l’an I dispose : le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans. »

Sans nous attarder sur le sort souvent réservé par la « doulce France » aux tyrans déchus, ce qui pose un autre problème, nous constatons qu’il est de plus en plus difficile de distinguer les martyrs de la liberté des victimes impuissantes de l’incurie, de la corruption des régimes policiers qui ne peuvent faire autrement que subir, à moins de fuir.

Il s’agit de répondre à l’attente non plus d’individus, voire de groupes ciblés ponctuellement par la persécution, mais de foules entières parfois transformées cyniquement en armes de guerre par leurs bourreaux. Je vous renvoie, mes chers collègues, au cas libyen.

Je le remarque, le présent projet de loi contourne cet aspect du problème, ce qui est fâcheux, pour se limiter à l’amélioration de la procédure de traitement des dossiers de demande d’asile, afin de la rendre plus conforme à son objet.

La durée moyenne totale d’une procédure d’examen de première demande d’asile par l’OFPRA suivie d’un recours devant la CNDA est estimée, on le sait, à dix-neuf mois et demi. Après un premier rejet définitif, dans le cas où le demandeur sollicite un réexamen de sa demande suivi d’un recours, le délai passe à deux ans et sept mois.

Si, comme le relève la Cour des comptes, annuellement, 75 % des demandes d’asile sont rejetées en moyenne, cela signifie que celles-ci étaient infondées et que l’on assiste à un véritable détournement de la procédure de demande d’asile, ce qui a un coût à la fois financier et humain.

S’agissant du coût financier, les dépenses du programme 303 sont passées de 340 millions d’euros en 2008 à plus de 600 millions d’euros en 2014. Selon les estimations, une réduction de trois mois des délais d’instruction de l’OFPRA et de six mois de ceux de jugement de la CNDA permettrait d’économiser de l’ordre de 88 millions d’euros en matière de dépenses d’hébergement et d’allocation.

Pour ce qui concerne le coût humain, lorsqu’une famille de demandeurs d’asile s’est installée pendant deux années sur le territoire français, que les parents parfois travaillent, que les enfants sont scolarisés et parlent français, comment la renvoyer d’où elle vient sans y regarder à trois fois ?

Pour les membres du RDSE, le présent projet de loi va dans le bon sens, même s’il constitue davantage une réponse à l’urgence qu’un traitement de fond du problème.

Nous souscrivons à la fois à la simplification, à la réduction des délais d’examen et de réexamen des demandes formulées auprès de l’OFPRA comme de la CNDA, à l’établissement d’une liste de pays sûrs afin de rationaliser les flux et au renforcement des garanties procédurales conformes à la directive européenne : droit au maintien sur le territoire de tous les demandeurs d’asile, tenue d’un entretien personnel, présence d’un avocat lors de cet entretien, prise en compte systématique de la vulnérabilité des demandeurs, possibilité du huis clos pour les audiences devant la Cour.

Reste évidemment le plus difficile, comme je l’ai indiqué : la gestion des flux migratoires à l’échelle européenne et l’exécution effective de l’obligation de quitter le territoire français laquelle, selon la Cour des comptes, n’est guère exécutée. Sur ce dernier point, M. le ministre nous a affirmé que la situation s’améliorait, mais tout le monde sera d’accord pour dire qu’il existe encore des marges de progrès.

Des remèdes sont proposés : une décision définitive de rejet de la demande vaudrait obligation de quitter le territoire français, et un étranger débouté ne pourrait être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre.

Ces solutions ont la logique pour elles, mais ne sont pas forcément conformes au principe international du droit à une vie familiale et aux principes humanitaires – renvoyer quelqu’un, sinon des familles entières en enfer, même si ces personnes n’ont aucun droit à en sortir, n’est rien moins qu’anodin.

Et je ne dis rien des injonctions contradictoires de l’ordre médiatique reprochant au gouvernement, dans un même mouvement, sa passivité devant l’immigration illégale et son insensibilité aux drames humains que crée nécessairement la lutte contre cette dernière !

Personne n’en doute, la rationalisation proposée par le biais du présent projet de loi est souhaitable, mais, vous en conviendrez, mes chers collègues, beaucoup reste à faire.

La première preuve de la volonté du Gouvernement d’avancer sera qu’il s’en donne effectivement, et sur la durée, les moyens financiers, ce qui, à constater la sous-budgétisation constante de la mission « Immigration, asile, intégration », est loin d’avoir été le cas jusqu’à présent. Les mouvements de menton atteignent rarement le porte-monnaie !

Les membres du groupe du RDSE ne s’opposeront pas à l’adoption du projet de loi que nous examinons. Ils attendront cependant l’issue définitive de la discussion, notamment le terme de l’examen des amendements, pour déterminer s’ils pourront aller jusqu’à l’approuver.

Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon temps de parole étant limité, je n’irai pas par quatre chemins : le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui est néfaste pour notre pays.

Ce texte ne va faire que renforcer encore l’appel d’air permanent qu’est le régime de l’asile en France, en donnant aux demandeurs toujours plus de moyens de se maintenir sur notre sol, alors même que celui-ci est plus que saturé d’immigration.

La majorité sénatoriale a voulu reporter l’examen du texte après la fuite d’un document interne de la Cour des comptes dénonçant un système « au bord de l’embolie », qui n’est « pas soutenable à court terme » et qui forme tout simplement « la principale source d’arrivée d’immigrants clandestins en France » !

Hélas pour les Français, l’opposition de l’UMP à ce projet de loi n’est que du théâtre – la remarquable prestation de Roger Karoutchi en est la parfaite illustration –, puisque ce texte est la transposition fidèle de plusieurs directives européennes que la France est obligée de transposer sans délai et qui ont été votées au Parlement européen par les députés de l’UMP !

De plus, le nombre de demandes d’asile a doublé sous le mandat de Nicolas Sarkozy, pour atteindre 66 000 en 2013. Ce seul chiffre montre l’ampleur du scandale d’une politique qui a été dévoyée de sa finalité première, pour devenir aujourd’hui principalement une filière migratoire.

Sur les quelque 66 000 demandes d’asile annuelles, les trois quarts sont finalement rejetés, et plus de 95 % des déboutés se maintiennent sans droit ni titre sur notre territoire.

Je cite là encore la Cour des comptes : « Tant que la question de l’organisation systématique et rapide de leur retour ne sera pas réglée, le système ne pourra fonctionner correctement ». « L’organisation systématique et rapide de leur retour » : voilà un point, monsieur le ministre, que vous n’avez évoqué dans votre intervention que de façon vraiment très discrète…

La Cour considère que l’asile représente un coût direct de 2 milliards d’euros par an, à savoir 1 milliard d’euros pour les demandeurs d’asile, et 1 milliard d’euros pour les déboutés qui restent illégalement en France. C’est sans compter les coûts indirects divers pour les Français : je pense, par exemple, à la hausse des dépenses de sécurité, publique et privée, devenues nécessaires dans certaines zones habitées par des faux réfugiés.

Il est beaucoup question ces temps-ci de « République », de « Républicains », mais comment oser parler de République, d’État de droit, quand on ne fait que laisser faire, laisser passer, et entériner le fait accompli ? Un peu partout en France, nos compatriotes les plus modestes souffrent de votre laxisme, mes chers collègues.

Comble de l’ironie, la petite minorité des vrais demandeurs d’asile en souffre aussi, car, à vouloir accueillir tout le monde sans discernement, nous n’avons plus les moyens d’héberger dignement ces personnes, alors qu’elles le méritent. Je rejoins là le constat de Roger Karoutchi.

Enfin, ces vrais demandeurs d’asile vont immanquablement souffrir de la suspicion – légitime – que crée chez les Français votre laxisme.

Vous faites mine de crier : « Pas d’amalgames ! ». Pourtant, vous faites tout pour en créer.

La gauche au pouvoir, comme l’UMP avant elle, est donc incapable de faire respecter la loi républicaine, …

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Ravier

… et la Cour pointe même une « forme de renoncement » dans certaines préfectures à cause de l’absence de directive claire du Gouvernement.

Pour conclure, le présent texte, véritable machine à régulariser des clandestins, est d’autant plus néfaste qu’il semble déconnecté du monde dans lequel nous vivons. Dans ce monde, nous assistons à des arrivées massives quotidiennes de clandestins sur les rivages de ce qu’un romancier devenu visionnaire a qualifié de « camp des saints » et à des persécutions de masse dans des pays où se déroule un véritable génocide des chrétiens d’Orient.

Qu’avons-nous à proposer à ces millions de réfugiés potentiels ?

L’urgence est là, dans la définition d’une véritable politique étrangère indépendante, et certainement pas dans le vote de ce projet de loi, qui achève de transformer notre pays en passoire !

Marques de protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la réforme de l’asile est un texte très important, à la fois symbolique et décisif, pour que notre pays perpétue la tradition d’accueil et d’intégration inscrite dans son histoire depuis la Révolution française.

Dans le contexte de drames humains et face à une actualité extrêmement sensible, que M. le ministre nous a rappelée rappeler, nous devons faire preuve de responsabilité. Car un constat s’impose à nous : le dispositif actuel de l’asile a été, au fil du temps, dévoyé.

Ce dispositif ne nous permet plus d’accueillir dans de bonnes conditions ceux qui justifieraient de l’être, car il est totalement engorgé par des demandes qui relèvent non pas de l’asile, mais plutôt d’une immigration économique, de la pauvreté, et donc d’un autre cadre que la convention de Genève.

Le 28 novembre 2013, Jean-Louis Touraine et moi-même avions rendu au ministre de l’intérieur un rapport sur la réforme de l’asile qui synthétisait les conclusions de la concertation que nous avions menée avec l’ensemble des acteurs quotidiens de l’asile. Depuis lors, j’attendais avec impatience que nous puissions débattre de cette réforme au Parlement. Nous y voilà !

Ces dernières semaines, les médias ont fait leur une sur « l’Europe assiégée » et bientôt « envahie » par les vagues de migrants venus du Sud, quelquefois à l’excès. Mais ce qui est certain, c’est que, au regard de cette détresse, il y a urgence à traiter non seulement de la question de l’accueil des demandeurs d’asile, mais, bien plus globalement, de la réponse que l’Europe, dans son ensemble, compte apporter aux immenses problèmes des pays qui sont à sa porte.

Lorsque Jean-Louis Borloo nous interpelle sur la situation de l’Afrique, continent de 1 milliard d’habitants où seules 180 millions de personnes ont aujourd’hui accès à l’énergie, mais où plus de 700 millions de portables permettent de savoir tout ce qui se passe ailleurs et qui, outre les conflits, subit les dérèglements climatiques, l’avancée du désert, la déforestation, la sécheresse et la baisse des capacités agricoles, comment pouvons-nous penser que ce qui s’y passe n’est pas notre problème ?

Monsieur le ministre, vous avez souligné récemment la nécessité de renforcer les coopérations avec les pays de départ ; je ne peux qu’approuver cette intention. Nous constatons bien aujourd’hui que le plan d’actions en dix points adopté le 20 avril dernier par le conseil conjoint des ministres des affaires étrangères et de l’intérieur ne suffira pas à faire face à cette situation de crise. La destruction des embarcations des passeurs, certes nécessaire, ne constitue pas, à elle seule, l’intégralité de la solution.

Par ailleurs, nous devons garder en tête que, même si le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de 44 % en 2014 du fait des crises politiques en Syrie et en Irak, il n’y a eu que 626 000 demandeurs d’asile qui ont frappé à la porte d’une Europe de plus de 511 millions d’habitants, soit en moyenne 1, 2 demandeur d’asile par millier d’habitants. Il est vrai toutefois que cette demande s’est principalement concentrée sur quelques pays : l’Allemagne, la Suède, l’Italie et la France. Je souhaite d’ailleurs, monsieur le ministre, comme nombre de mes collègues, que notre pays ait un rôle moteur en Europe et engage des actions nouvelles permettant de renforcer sa politique de développement et d’améliorer le fonctionnement de la politique européenne de l’asile, car – nous le savons – c’est à l’échelon européen que tout se joue.

Nous en convenons tous : la question de l’asile doit être dissociée de celle de notre politique d’immigration, et la présente réforme doit être complétée – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre – par une réforme – nécessaire – de la politique de l’immigration : comme ses voisins, notre pays a besoin d’être attractif pour accueillir une immigration professionnelle, en particulier dans les secteurs où existent des besoins non satisfaits. Nous devons pouvoir attirer des talents et leur donner envie de s’installer en France, à l’image de ce que pratique le Canada.

Nous devons aussi prendre notre part à l’accueil de l’immigration de la pauvreté, mais nous devons le faire de manière choisie, et non subie, comme c’est le cas aujourd’hui, réfléchie et contrôlée, afin de pouvoir offrir à ces migrants une vie décente et la possibilité de s’intégrer socialement et professionnellement en France. Les formations politiques ont trop souvent préféré esquiver cette question sensible. Or le vote extrême nous rappelle avec force que nos concitoyens attendent des réponses qui ne soient ni l’angélisme de la bonne conscience ni le simplisme du « tous dehors ».

Le présent projet de loi réforme la politique de l’asile en transposant le « paquet asile », composé des directives européennes « Qualification », « Procédures » et « Accueil », que nous devons intégrer à notre législation nationale avant le 20 juillet prochain. Je ne reviendrai pas sur le contenu de ces textes : le rapporteur l’a fait et en a parfaitement rappelé l’esprit. La philosophie des règles du régime d’asile européen commun repose sur un équilibre entre des procédures efficaces pour un traitement rapide des dossiers et des garanties renforcées pour les demandeurs et les personnes obtenant la protection.

Le présent projet de loi doit nous permettre de passer un cap important en simplifiant la procédure d’examen du droit d’asile à chaque étape du parcours du demandeur. En supprimant la condition de domiciliation, en fixant des délais contraignants pour l’examen de la demande par l’OFPRA, puis par la CNDA, en organisant un hébergement directif et l’accompagnement social et administratif du demandeur, en précisant clairement les procédures de clôture, d’irrecevabilité, de retrait et de réexamen des dossiers par l’OFPRA, en permettant un examen en procédure accélérée des dossiers manifestement infondés ou prioritaires, en instaurant l’examen des recours devant la CNDA par un juge unique, nous devrions pouvoir accélérer le traitement des demandes et réduire leur délai moyen d’examen à neuf mois, contre environ deux ans aujourd'hui.

Cette réduction des délais est impérative pour deux raisons : d’abord, elle évitera que la procédure ne soit détournée de son objet par des personnes cherchant un moyen de se maintenir longtemps sur le territoire français, ce qui devrait donc décourager certaines filières mafieuses ; ensuite, elle permettra d’accueillir rapidement les personnes qui doivent être protégées en raison de menaces pesant sur leur intégrité physique, ce qui est aujourd’hui de moins en moins le cas.

Le présent projet de loi permet aussi d’accorder des garanties supplémentaires aux demandeurs : la possibilité de se faire accompagner lors de l’entretien à l’OFPRA, l’enregistrement de l’entretien, le caractère suspensif du recours jusqu’à la fin de la procédure, ou encore la prise en compte de la vulnérabilité. Il contient également des dispositions bienvenues : la réaffirmation de l’indépendance de l’OFPRA, la création de missions déconcentrées de ce dernier dans les territoires qui permettent de faire face efficacement à des afflux soudains de demandes, la suppression de la condition préalable de domiciliation, ou encore la désignation de l’OFII comme responsable du dispositif d’accueil du demandeur.

Lors de son examen, l’Assemblée nationale a modifié le texte, afin d’y introduire la prise en compte des violences faites aux femmes, la révision régulière de la liste des pays d’origine sûrs, l’ouverture à la parité du conseil d’administration de l’OFPRA, l’assouplissement de certains délais, ou encore la reconnaissance des associations de défense des droits de l’homme, des femmes ou des enfants ; en somme, une série de mesures qui ont utilement complété le travail du Gouvernement.

Ainsi, globalement, le projet de loi tel qu’il nous a été soumis après son adoption par l’Assemblée nationale reprend assez fidèlement les préconisations de simplification et de réorganisation figurant dans le rapport du mois de novembre 2013 précité, à une exception notable près : il ne traite pas de la question des demandeurs déboutés. Or, malgré les explications que vous nous avez fournies, celle-ci est centrale, monsieur le ministre, si l’on veut donner à la réforme de l’asile tout son sens. En effet, si 28 % des 64 811 demandes d’asile déposées en 2014 ont été satisfaites, cela signifie que, dans 72 % des cas, les demandeurs ont été déboutés. Et l’un des points sur lesquels le rapport susvisé avait mis l’accent était la nécessité que ceux-ci n’entrent pas, comme c’est le cas actuellement, dans la clandestinité, qu’ils ne recourent pas au dispositif d’hébergement d’urgence ou aux marchands de sommeil et qu’ils ne soient pas exploités, au sein de filières, par des personnes abusant de leur situation de précarité. Il faut au contraire les diriger vers des structures spécifiques, des centres dédiés, où ils seraient certes assignés à résidence, mais où leur situation ferait l’objet, si nécessaire, d’un dernier examen. En outre, le cas échéant, une fois que leur serait délivrée l’obligation de quitter le territoire français, cela permettrait de leur fournir une préparation psychologique et surtout matérielle au retour, plutôt que d’en faire des immigrés en situation irrégulière.

Sans ce volet, la réforme de l’asile n’est pas complète, et je me réjouis d’ailleurs que la commission des lois ait adopté mon amendement tendant à insérer un article additionnel après l’article 14, et visant la possibilité de mettre en place des centres dédiés aux personnes déboutées.

Mes chers collègues, puisque je mentionne les travaux de la commission des lois de la Haute Assemblée, permettez-moi de saluer la très grande qualité du travail de réécriture qu’a mené M. le rapporteur, François-Noël Buffet.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

Plus fluide, plus précise, plus ramassée : la rédaction de nombreux articles a beaucoup gagné après l’examen du texte par cette commission.

Enfin, je terminerai mon propos en abordant deux sujets importants sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir au cours de l’examen des amendements.

Premièrement, une partie de la majorité sénatoriale, réagissant à un article publié dans Le Figaro contenant les éléments d’un rapport à venir de la Cour des comptes – reprenant pourtant des chiffres déjà connus –, avait souhaité « durcir » le texte soumis au Sénat. Une de ses propositions, plutôt sévère – vous l’avez rappelée tout à l’heure, monsieur le rapporteur –, figure toujours dans le texte issu des travaux de la commission et consiste à conférer aux décisions de refus de l’OFPRA ou de la CNDA la valeur d’une obligation de quitter le territoire français. Adopter une telle disposition serait, selon moi, une erreur, car les décisions d’un agent de l’OFPRA ou d’un juge de la CNDA seraient brouillées si elles devaient être assimilées à des mesures de police administrative relevant d’une autre autorité. Nous aurons l’occasion d’en débattre ultérieurement, lors de la discussion des articles, et j’espère vivement, mes chers collègues, que je saurai vous convaincre de l’abandonner, car les arguments plaidant contre cette proposition sont nombreux.

Deuxièmement, une dernière étape reste à franchir, me semble-t-il, si nous voulons adapter l’examen des demandes d’asile à notre nouvelle organisation des territoires et à des entrées inégalement réparties selon les régions : la territorialisation de l’OFPRA par la création d’antennes là où existe une forte demande. À ce propos, je regrette que la commission des finances ait déclaré mon amendement n° 43 rectifié bis irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, l’excluant ainsi du débat parlementaire. Peut-être le Gouvernement voudra-t-il le reprendre, monsieur le ministre, s’il juge que la mesure qu’il visait à introduire mérite d’être expérimentée ? Il me semble en effet qu’une telle expérimentation mettrait en évidence des économies supérieures aux surcoûts créés, eu égard notamment au coût des missions foraines répétées ou du déplacement des demandeurs d’asile se rendant de manière massive et répétée à Paris.

Rendre notre dispositif plus souple, plus proche des territoires, plus efficace tout en réduisant les délais excessifs qui nuisent à sa lisibilité : voilà, selon moi, la meilleure manière de réussir la réforme de l’asile. Et nous nous devons de mener à bien cette réforme, qui touchera directement à la fois les milliers de demandeurs se présentant à nos frontières chaque année et tous les acteurs quotidiens de l’asile – travailleurs sociaux, officiers de protection, agents des préfectures, ou encore juges, qui travaillent aujourd’hui dans des conditions difficiles et méritent d’être soutenus. Enfin, vous l’avez rappelé, monsieur Karoutchi, il faudra s’assurer que les bénéficiaires du statut de réfugié puissent être pris en charge dans de meilleures conditions.

Pour conclure, je voudrais citer ces quelques lignes de Jean d’Ormesson : « Les Français s’interrogent sans cesse : qu’est-ce qu’être français ? C’est qu’il y a au cœur de la France quelque chose qui la dépasse. Elle n’est pas seulement une contradiction et une diversité. Elle regarde aussi sans cesse par-dessus son épaule. Vers les autres. Vers le monde autour d’elle. Plus qu’aucune nation au monde, la France est hantée par une aspiration à l’universel. Malraux assurait que la France n’était jamais autant la France qu’en s’adressant aux autres nations. […] C’est une tâche difficile de vouloir rester soi-même tout en essayant de s’ouvrir aux autres. Français, encore un effort pour être un peu plus que Français et pour faire de la France ce qu’elle a toujours rêvé d’être : un modèle d’humanité et de diversité. »

Un modèle d’humanité et de diversité : voilà ce que je souhaite que devienne notre système d’asile.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Protéger les combattants de la liberté, protéger les victimes du totalitarisme, c’est une tradition française. Cette tradition figure d’abord dans la Constitution de 1793 puis dans le préambule de celle de 1946 ; enfin, elle est consacrée à l’échelon international par la convention de Genève du 28 juillet 1951. Il existe donc dans notre pays deux fondements juridiques à l’asile, à la protection des combattants de la liberté : l’un constitutionnel, l’autre conventionnel.

Affirmer l’universalité des droits et l’égalité des hommes est essentiel ; c’est une valeur fondamentale de notre pays, celle qui empêche le repli sur soi. Reconnaître que les combattants de la liberté et les personnes persécutées sont nos frères humains et qu’ils méritent notre protection est par conséquent pour nous un devoir.

On ne peut défendre les valeurs de liberté et d’humanisme sans être solidaire de ceux qui les partagent et combattent en leur nom ; affirmer l’universalité de l’humain face à la barbarie est en effet au cœur de notre récit national. Renforcer le droit d’asile est donc non pas un poids, mais l’affirmation de notre identité et de nos valeurs. C’est dans cet état d’esprit, me semble-t-il, qu’il faut aborder le présent débat.

Dans ce projet de loi, qui me remplit de fierté, figurent trois points majeurs. D’abord, il y est proclamé que l’octroi de garanties supplémentaires aux demandeurs d’asile et le respect de leurs droits permettent d’améliorer l’efficacité de notre système. Ensuite, y est réaffirmée la volonté de notre pays de respecter les demandeurs en raccourcissant les délais de réponse. Enfin, ce texte donne à la France les moyens de promouvoir à l’échelon européen les dispositions nécessaires pour éviter les tragédies auxquelles nous assistons tous les jours en Méditerranée.

De ce point de vue, vous connaissez, mes chers collègues, la théorie de l’appel d’air. En se fondant sur cette théorie, certains des gouvernements précédents ont bouché le système, si je puis dire, faisant ainsi le pari de dissuader puis de faire disparaître les demandes d’asile. Nous avons de ce fait hérité d’un système au bord de l’embolie, et, nous le constatons, les vrais demandeurs se rendent ailleurs, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

… et ceux qui viennent dans notre pays utilisent le système pour obtenir le droit de rester sur le territoire national le temps que la procédure, très longue, arrive à son terme.

Or tout cela a un coût : environ 60 à 70 millions d’euros par mois, soit plus que le budget annuel de l’OFPRA.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

C’est pourquoi réduire les délais est essentiel pour sortir de la situation actuelle d’embolie totale du système.

Par le biais du présent projet de loi, nous affirmons notre volonté de refaire de la France un pays attractif. En effet, si, entre 2012 et 2014, la demande a doublé en Europe et plus que doublé en Allemagne, elle a stagné en France. Dès lors, la question de notre attractivité est centrale.

L’immigration provoquant aujourd'hui des tensions dans notre pays, nous pourrions nous dire que l’attractivité modérée de celui-ci n’est pas trop dérangeante. Mais nous ne devons pas raisonner ainsi. L’attractivité est une preuve de santé. Elle prouve que nous sommes fidèles à nos valeurs. Être attractifs, c’est aussi affirmer l’universalité de nos valeurs, plutôt que le repli sur soi. C’est, du reste, l’ambition de ce texte.

À l’instar de certains orateurs précédents, je crois qu’il est indispensable, à cette étape de la discussion, de bien séparer l’asile et l’immigration et donc d’essayer de réfléchir à leurs intersections, à l’entrée comme à la sortie du système.

À l’entrée, si les procédures durent deux ans, quels seront en réalité les demandeurs d’asile ? Il s’agira non pas de personnes cherchant vraiment une protection rapide pour pouvoir s’insérer et continuer à avoir le droit de vivre dans notre pays, mais de personnes recherchant le moyen de rester longtemps sur notre territoire, tout en sachant que la protection ne leur sera pas accordée. Il faut par conséquent faire en sorte que les procédures d’accueil soient rapides.

À la sortie, les délais doivent être courts et les protections doivent être accordées rapidement.

Par ailleurs, quand on parle des déboutés, il n’y va pas seulement des obligations de quitter le territoire français. Nous devons être capables de donner une réponse à un demandeur d’asile en quelques mois, réponse qu’il est en droit d’attendre. C’est quand même plus simple d’exiger d’un demandeur d’asile de quitter le territoire s’il ne se trouve sur celui-ci que depuis quelques mois !

À cet égard, traiter la question des déboutés du droit d’asile, c’est d'abord traiter celle des délais. C’est l’objet du présent projet de loi. Les obligations de quitter le territoire français n’ont pas réponse à tout !

Cela étant, depuis deux ans, le travail des agents de l’OFPRA et des juges de la CNDA a été amélioré et la mobilisation de ces personnels a été accrue. Ainsi, un plus grand nombre de décisions peuvent être rendues chaque année, afin de sortir le système de l’embolie.

Mais, aujourd'hui, il faut aller plus loin. En effet, pour continuer à améliorer les délais, on ne peut pas se contenter d’améliorer la productivité des agents et la rapidité des décisions rendues par la CNDA. Il faut modifier la législation, de manière à accorder plus de garanties lors de l’examen de la demande par l’OFPRA et à permettre à la CNDA de se prononcer rapidement, dans le cadre des procédures accélérées.

Je ne prendrai qu’un exemple. En 2011, 43 % des protections étaient accordées par l’OFPRA. En 2014, ce taux s’élevait à 60 %, soit une différence de 17 %. Autant de demandeurs légitimes qui n’auront pas à attendre une ou deux années que la procédure devant la CNDA soit achevée pour se voir reconnaître une protection !

Vous le constatez, ces deux dernières années, nous nous sommes battus pour réduire les délais. Cependant, pour aller plus loin, une loi est désormais nécessaire.

M. le ministre et plusieurs orateurs qui sont intervenus au cours de cette discussion générale ont présenté les principales dispositions du texte. Celui-ci octroie plus de garanties au demandeur au moment de la procédure devant l’OFPRA. Il améliore les conditions d’accueil de tous les demandeurs, ainsi que les droits et les délais dont ils disposent, en particulier en permettant la présence d’un tiers lors de l’entretien à l’OFPRA. Il prévoit une procédure spécifique pour la CNDA, de manière que les procédures accélérées soient vraiment rapides. Enfin, il organise un hébergement directif, afin de répartir l’accueil des demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire. À cet égard, certains de nos territoires, situés en dehors de la France métropolitaine, sont en contact avec d’autres situations géopolitiques que le continent européen. Cela rend l’ensemble du système, qui doit être cohérent avec le dispositif européen, compliqué. C’est pourquoi le projet de loi comporte des dispositions relatives à l’outre-mer.

Des défis se posent en matière de délais.

D’une part, traiter les 60 000 ou 65 000 demandes d’asile actuelles est possible avec les moyens qui ont été attribués à l’OFPRA par la dernière loi de finances. Mais, si la France était sollicitée à même hauteur que l’Allemagne, l’interrogation demeurerait entière. Il faudrait, à ce moment, augmenter les moyens ! Vous vous imaginez bien que, en Allemagne, face au doublement de la demande d’asile à laquelle est confronté ce pays, l’instance équivalente à l’OFPRA a dû recruter massivement pour faire face aux besoins…

D’autre part, les procédures d’accueil en préfecture qui sont désormais elles aussi transmises au guichet unique et gérées en commun avec l’OFII connaissent aujourd'hui des délais très importants.

Nous devons engager toutes ces réformes d’ici au mois de juillet prochain. En effet, comme cela a déjà été dit, le projet de loi a vocation à transposer les directives « Qualification », « Procédures » et « Accueil ». Il importe que cette transposition intervienne rapidement, la France ayant besoin d’être crédible et claire en Europe pour que celle-ci modifie ses dispositifs d’asile.

Par ailleurs, nous avons parlé des drames liés à l’immigration économique qui ont eu lieu en Méditerranée. Nous savons bien aussi que certaines personnes, venues d’Irak, de Syrie ou encore de Libye, sont à la recherche d’une protection internationale. Est-il logique de demander à ces êtres humains de risquer leur vie pour pouvoir demander cette protection ? Est-ce vraiment ce que l’on veut ? Je le rappelle, en Jordanie, au Liban, en Turquie, les réfugiés syriens se comptent par millions ! Quant à la Tunisie et à l’Égypte, elles accueillent de nombreux réfugiés venus de Libye. De ce point de vue, l’Europe doit être totalement responsabilisée pour que nous puissions, ensemble, faire face à ce défi.

À cet égard, je veux rendre hommage au travail de l’OFPRA et des consulats, qui, dans un certain nombre de pays, examinent, sur place, les demandes d’asile déposées avant même l’arrivée, sur notre territoire, des personnes concernées. En effet, notre devoir de protection doit aussi s’exercer hors de France. Pourquoi demander à des personnes de risquer leur vie pour pouvoir bénéficier d’une protection ?

Aujourd'hui, la révision du règlement Dublin est indispensable. Compte tenu des circonstances, nous n’osons plus demander à l’Italie de respecter ce règlement, même si nous savons bien qu’un grand nombre des personnes qui arrivent dans ce pays poursuivent ensuite leur chemin vers l’Allemagne et la Suède. Nous savons aussi qu’il faut du temps, parce que des pays comme la Bulgarie ou la Hongrie n’en peuvent plus. Ils n’ont plus les moyens. Il est important de répartir la charge sur l’ensemble du territoire européen, de la même manière que nous devons répartir l’accueil sur le territoire français.

En conclusion, monsieur le rapporteur, les membres du groupe socialiste vous rendent hommage et saluent l’état d’esprit qui a animé vos travaux sur le présent texte. Toutefois, nous reviendrons sur les obligations de quitter le territoire français, parce que nous considérons que c’est un point dur du projet de loi, une question de principe, mais aussi parce que vous essayez de construire un modèle allemand, sans aller jusqu’au bout. Ce que vous proposez n’est pas efficace.

Au reste, en termes de reconduite à la frontière, nous nous en sortons mieux, toutes proportions gardées, que nos partenaires européens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Nous reviendrons sur ce point ultérieurement.

Monsieur le ministre, nous sommes tous fiers de ce projet de loi, de son esprit et de la manière dont l’Assemblée nationale a travaillé.

Cela étant, nous serons très vigilants sur des points durs, sur des questions de principe, auxquels nous sommes très sensibles et sur lesquels le texte pourrait être dénaturé et le travail du Sénat balayé. Comptez sur nous pour évoquer ces sujets !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous étions nombreux à espérer beaucoup de ce projet de loi relatif à la réforme de l’asile. Ma déception n’en est que plus grande quand je vois dans quelles conditions il a été examiné. La commission des lois n’a pu travailler sereinement, pour des raisons que je soupçonne d’être plutôt politiciennes. Nous allons examiner un texte capital par petits bouts, ce lundi soir, puis lundi prochain. Ce projet de loi, qui devrait être une expression privilégiée de l’humanisme fondant notre démocratie, valait mieux que cela, de même que la Haute Assemblée.

Qui peut rester insensible aux drames humains qui, ces dernières semaines, se jouent à nos portes ? Qui peut encore parler froidement de « chiffres de l’immigration », de « contrôle des flux migratoires », quand des milliers de migrants se noient en Méditerranée ? Qui peut refuser son empathie à ces centaines de milliers d’adultes et d’enfants qui fuient, chaque année, la guerre, la terreur, les catastrophes climatiques et que nous accueillons si peu et si mal ? Dans cette enceinte, qui sait ce que signifie quitter sa famille, ses amis, les couleurs et les odeurs de la terre où l’on est né ? Personne n’émigre ni ne demande de gaieté de cœur l’asile à un pays qu’il ne connaît pas.

Notre débat de ce jour doit s’élever au-dessus de la politique politicienne. Il exige, d’abord, de reconnaître l’intolérable détresse de ces êtres, menacés par des régimes dictatoriaux, qui s’exilent parce qu’ils ont pris des risques et qui font si souvent honneur au courage humain.

En commission, l’un d’entre vous, mes chers collègues, a affirmé récemment que, dans un tel débat, l’émotion ne devait pas interférer. Ce point de vue m’a beaucoup touchée, car je pense le contraire. Un législateur sans cœur est un arbre desséché.

Mouvements divers.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Rappelons les grands principes gouvernant le droit d’asile, non que je soupçonne certains de les ignorer, mais parce que les avoir à l’esprit empêche de céder au confusionnisme en vogue entre droit d’asile et immigration.

Si la protection que nous devons aux demandeurs d’asile découle de la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, elle est également, pour nous, Français, une exigence nationale, constitutionnelle, en vertu aussi bien du quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 que de l’article 53-1 de la Constitution de 1958.

Pour le Conseil constitutionnel, le droit d’asile est un droit fondamental, un principe de valeur constitutionnelle. Il ne saurait donc être soumis aux vicissitudes de nos politiques d’immigration.

Dans son avis du 20 novembre 2014, la Commission nationale consultative des droits de l’homme affirme, à raison, que « réduire la question de l’asile à un problème de gestion des flux ou de réduction des coûts » est « inacceptable ».

Gardons-nous donc de priver de sens nos débats, en instrumentalisant les chiffres, en ne parlant que « gros sous ».

Certains ont déjà tenté de jouer du rapport d’étape de la Cour des comptes, dont des extraits sont parus à point dans Le Figaro, présentant la politique d’asile comme extraordinairement coûteuse et en faisant « la principale source d’arrivée d’immigrants clandestins en France ».

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Revenons plutôt aux chiffres, tout à fait publics et transparents, montrant bien que la France n’est plus tout à fait la terre d’asile qu’elle s’enorgueillissait d’être.

Pour ne prendre qu’un exemple, sur les 122 800 Syriens ayant demandé l’asile dans l’Union européenne en 2014, seuls 2 084 l’ont fait en France. Au contraire de l’Allemagne et de l’Italie, qui, respectivement, ont connu une augmentation en la matière de 60 % et de 143 %, notre pays est l’un des seuls en Europe à connaître une diminution de la demande d’asile. Que je sache, cette baisse ne tient pas à une amélioration de la situation géopolitique mondiale ! Nous sommes loin, mes chers collègues, d’accueillir toute la misère du monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Le texte initial, amélioré par l’Assemblée nationale, comportait des avancées notables, que nous saluons. Ainsi, les membres du groupe écologiste se réjouissaient que le droit au maintien sur le territoire français soit consacré, que l’effet suspensif des voies de recours soit étendu, qu’un juge spécialisé dans le domaine de l’asile soit maintenu et que le demandeur puisse être mieux accompagné lors de son entretien devant l’OFPRA.

Malheureusement, si les modifications suggérées par la majorité sénatoriale étaient adoptées, le projet de loi, loin de mieux garantir les droits et libertés fondamentaux des demandeurs d’asile, tournerait au bouclier sécuritaire, sacrifiant les plus fragiles à une obsession anti-immigration.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Nous, écologistes, présenterons donc de nombreux amendements visant notamment à mieux encadrer la nouvelle procédure accélérée instaurée par le projet de loi.

Quant à notre vote final, il sera fonction de l’issue de nos travaux. Nous, écologistes, ne sommes pas là pour avaliser un texte satisfaisant l’agenda politique de l’UMP et du Front national, pour qui la lutte contre l’immigration tient lieu d’unique programme, alors que les Français attendent bien davantage de nous, à commencer par des solutions concrètes et justes aux difficultés économiques et sociales qu’ils rencontrent. Nous n’apporterons nos voix, mes chers collègues, qu’à un texte humaniste, ambitieux, fidèle aux valeurs de la France.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

J’ai lu vos déclarations dans le journal Le Monde, monsieur Bas, et je ne crois pas beaucoup me tromper…

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Avec le naufrage et la mort de centaines de migrants survenus au large des côtes libyennes ces dernières semaines, l’examen du présent texte relatif au droit d’asile s’inscrit dans une actualité dramatique et – malheureusement – répétitive qu’il ne suffit pas de constater. Ces drames humains, qui bénéficient d’une large couverture médiatique, ne sont que la partie visible de la souffrance de ces hommes, femmes et enfants confrontés, après les sentiers de l’exil, aux dédales de notre système d’accueil.

Ces êtres humains ont plusieurs visages : Soudanais persécutés par Boko Haram, Rohingyas – musulmans de Birmanie apatrides –, Yézidis et chrétiens qui fuient l’arrivée de l’État islamique en Irak, ou encore Bangladais réfugiés climatiques, victimes de la montée des eaux, par conséquent, des peuples entiers, mais aussi des individus persécutés en raison de leur minorité, de leur orientation sexuelle, voire de leur simple appartenance au genre féminin. Tous ces exemples nous rappellent, avec une féroce acuité, la nécessité du droit d’asile.

À cet égard, je tiens à saluer le travail des associations de soutien aux réfugiés, ainsi que celui des professionnels du droit qui incarnent au jour le jour les valeurs de notre République, aux côtés des réfugiés.

Ce qui se joue est très grave. Nous parlons du destin de femmes, d’enfants et d’hommes contraints de s’exiler dans la détresse, en quête de sécurité et d’une vie meilleure, et que l’on renvoie parfois tout simplement à la mort.

Prenons en compte l’humain d’abord et non les chiffres, tels ceux qui ont été récemment évoqués par la Cour des comptes et qui ont conduit au report de la publication du rapport de la commission des lois – ce que j’avais approuvé – et à un durcissement du présent texte – ce que je ne peux que réprouver.

Malgré le dévouement et le professionnalisme de l’ensemble des personnels concernés, notre système d’accueil en matière d’asile est défaillant : manque de places en CADA, saturation des dispositifs d’urgence, procédures trop complexes, allongement des délais de traitement, manque d’accompagnement des demandeurs d’asile, faible intégration des personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire… Mais de là à le considérer « à l’agonie », il y a – me semble-t-il – de la marge. En ce sens, la Cour des comptes nous propose une vision très dangereuse de l’asile, car purement comptable.

Arrêtons-nous donc un instant sur les chiffres, tout en gardant à l’esprit que la situation de la France est incomparable à celle du Liban, de la Jordanie ou même de la Turquie qui accueillent, dans des structures collectives, des centaines de milliers de réfugiés. Rappelons-nous aussi que les Nations unies estiment que, chaque jour, 32 000 hommes, femmes et enfants sont contraints à l’exil quand la France fait l’objet de quelque 60 000 demandes annuelles et que plus de 80 % de ces réfugiés atterrissent dans des pays dits « en développement ».

Quant aux demandeurs d’asile qui parviennent à franchir la fameuse forteresse Europe, des quatre pays européens ayant reçu le plus grand nombre de demandes d’asile en 2014, la France est celui qui y accède le moins, avec 21, 7 % de réponses positives. Ramené aux populations des États membres, c’est en Suède que le nombre de demandeurs d’asile est le plus élevé, devant la Hongrie, l’Autriche et Malte.

Contrairement aux idées reçues, ni l’Europe ni la France ne sont les principales zones destinataires du flux des demandeurs d’asile. Ces chiffres nous invitent à combattre les discours démagogues, ce que les membres du groupe communiste, républicain et citoyen s’engagent à faire tout au long de ces débats.

Mais au-delà de la question de savoir si nous accueillons trop ou pas assez de réfugiés, il devient urgent d’apporter à chacun d’entre eux un accueil de qualité, une réponse juste, rapide et effective. L’objectif est de rendre son sens au droit d’asile : il faut réduire les délais de traitement tout en améliorant la qualité de la décision, finalités tout à fait complémentaires.

Par le biais du présent projet de loi, le Gouvernement propose des améliorations au droit d’asile et la mise en lumière de certains grands principes incontournables qu’il reste toutefois à mieux définir.

Ce texte est porteur de plusieurs avancées issues des directives européennes, notamment d’un meilleur accès à la demande d’asile avec le droit au maintien sur le territoire français, pour tous les demandeurs, jusqu’à la décision définitive de l’OFPRA ou de la CNDA.

Les conditions de l’examen de la demande sont également améliorées, en particulier grâce à une mesure emblématique : l’entretien individuel systématique par l’OFPRA avec le demandeur d’asile et la possibilité, pour ce dernier, d’être assisté d’un avocat ou d’un représentant d’association.

D’autres avancées proposées à l’origine – vous pouvez le constater, monsieur le ministre, nous savons reconnaître et saluer les dispositions qui vont dans le bon sens…

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre

C’est rare !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Si vous étiez plus souvent parmi nous, vous verriez que ce n’est pas si rare. Mais vous n’écoutez pas les communistes, que vous considérez sans doute aujourd’hui comme des adversaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

À la tribune, ma parole est libre, madame la présidente.

D’autres avancées, disais-je, proposées à l’origine, ont été rognées par la commission des lois du Sénat.

Cependant, la mise en œuvre de ces mesures dépendra largement des moyens qui seront alloués pour garantir un hébergement et une allocation à tous les demandeurs. Nous attendons des précisions de la part du Gouvernement sur ce point.

De plus, plusieurs dispositifs d’amélioration sont porteurs de limitations, voire de contradictions qui vident les droits de leur substance. Il en est ainsi du droit d’être assisté par un tiers, fortement mis en cause. Nous vous proposerons de faire de cette mesure une véritable avancée pour l’accueil des demandeurs d’asile, en permettant à l’avocat ou à un représentant d’association de prendre la parole et des notes au cours de l’entretien.

Il en est de même du droit au maintien sur le territoire. Les dérogations prévues par la présente réforme sont plus étendues que celles qui sont définies dans la directive européenne dite « Procédures », pourtant d’interprétation stricte.

En cet instant, je souhaite rappeler que le législateur ne doit pas se borner à transposer les directives du « paquet asile », mais que chaque État est libre d’ajouter un certain nombre de mesures qu’il estime utiles pour régler sa propre situation. Gardons à l’esprit que les principes régissant l’asile sont garantis par la Constitution.

Par ailleurs, un certain nombre des dispositions préconisées sont pour nous source de grande préoccupation, à commencer les nouvelles missions confiées à l’OFII. Ces mesures laissent à penser que des considérations liées à la gestion des flux migratoires prendront le pas sur les besoins de protection des demandeurs d’asile.

Ainsi, au regard des travaux de l’Assemblée nationale en première lecture et de ceux de la commission des lois du Sénat auxquels nous avons assisté, nous sommes très inquiets d’un certain discours teinté d’humanisme, mais qui masque mal le choix d’une politique du chiffre inavouée et de préoccupations de gestion des flux.

À cet égard, nous sommes vivement opposés à la procédure d’asile accélérée, dès lors qu’elle repose sur l’idée selon laquelle le détournement du droit d’asile serait aujourd’hui la règle. Son champ d’application, bien trop élargi par rapport à la procédure prioritaire déjà existante, permettra, d’une part, à l’OFPRA de traiter de manière expéditive l’essentiel des demandes d’asile et, d’autre part, de faire juger par un juge unique, devant la CNDA – dans un délai également expéditif –, l’essentiel des demandes rejetées par I’OFPRA. Ainsi, le principe deviendra assurément la procédure accélérée à juge unique en méconnaissance flagrante de toutes les garanties procédurales et de fond prévues par le droit européen, national et international des droits de l’homme.

De plus, le texte soumis à notre examen à l’issue des travaux de la commission est empreint de l’amalgame – croyez bien que je le regrette – entre demandeurs d’asile et immigrés. Pis encore, entre demandeurs d’asile et fraudeurs. Un article entier a été inséré pour écarter les « étrangers déboutés de leur demande d’asile » de l’hébergement d’urgence. Il s’agit là d’une vision scandaleuse de l’asile qui repose sur des chiffres par ailleurs inexistants et ne résiste à aucune analyse. Nous nous opposerons fermement à ces nouvelles dispositions inhumaines, tout comme à d’autres mesures directives ou discriminatoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Madame la présidente, des orateurs précédents ont dépassé leur temps de parole de deux minutes !

Nous nous sommes d’autant plus réjouis de la volonté du Gouvernement d’améliorer le fonctionnement du droit d’asile en France que nous plaidons depuis des années pour une véritable réforme. Cependant, au regard des arguments que je viens d’avancer, nous ne pouvons que douter de certaines de vos intentions qui semblent à la fois floues et guidées par une politique du chiffre…

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Que ne déposez-vous des amendements, alors !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Je ne vous ai pas attendu, monsieur Néri ! Laissez-moi finir mon propos, vous comprendrez mieux ce que je veux dire !

Cette politique du chiffre permet donc à la droite sénatoriale, …

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

… par l’intermédiaire des travaux de la commission, de durcir le texte initial. Vous êtes content comme ça, monsieur Néri ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

C’est vous qui n’êtes pas contente ! Déposez des amendements !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Mme Éliane Assassi. Avez-vous déjà vu le groupe communiste ne pas déposer d’amendements sur un texte ?

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Les idées que j’avance à la tribune, nous les défendrons par voie d’amendement !

C’est dans cet état d’esprit que nous présenterons au cours des débats un certain nombre d’amendements tendant à améliorer le texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Savin

« Notre politique d’asile a atteint ses limites, si bien que pour la préserver – je dirai même pour la sauver –, il nous faut la réformer, profondément. […] il convient évidemment de mener cette discussion au niveau européen, tout en agissant au niveau national. […] Toutefois, compte tenu des contraintes budgétaires, nous ne pourrons pas multiplier à l’infini les hébergements. Si le fonctionnement de notre système d’asile reste inchangé, ces efforts seront vains, avec le risque […] d’un appel d’air et d’une confusion des publics. »

« À cela s’ajoute que près de 80 % des demandeurs sont déboutés de leur demande, dont une large part relève en réalité de motivations économiques et non de nécessité de protection. La majorité de ces déboutés reste de manière irrégulière sur le territoire et parmi eux nombreux sont ceux qui introduisent une demande de séjour à un tout autre titre que l’asile et sollicitent de surcroît les dispositifs d’hébergement d’urgence. C’est précisément ainsi que le droit d’asile est dévoyé et détourné. »

Je viens de citer, mes chers collègues, des extraits d’un courrier de M. Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, ainsi qu’une partie de son discours, prononcé le 15 juillet 2013 à l’occasion du lancement de la concertation sur la réforme de l’asile.

Le droit d’asile, puisant ses racines dans notre culture et notre civilisation, est une tradition ancrée profondément dans l’histoire et les valeurs de notre République. Cette protection fondamentale accordée aux victimes de persécutions et de violations des droits de l’homme n’a cessé de contribuer au rayonnement international de notre pays et au crédit qui lui est reconnu pour ce qui concerne la défense des libertés et des principes démocratiques.

Dans un rapport remis le 28 novembre 2013 à Manuel Valls, Valérie Létard et le député Jean-Louis Touraine avaient déjà clairement souligné les dysfonctionnements rongeant depuis plusieurs années le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile, aujourd’hui à bout de souffle.

Si votre texte, monsieur le ministre, va dans le bon sens, il ne permettra malheureusement pas un changement profond de la gestion des demandes d’asile sur notre territoire. En restant trop focalisé sur l’aspect procédural, vous ne vous donnez pas les moyens de rendre ce projet de loi efficace : il contient beaucoup trop de règles et bien trop peu de sanctions.

Le faible taux de décisions positives devrait retenir notre attention sur la réalité du détournement de la procédure d’asile. Le nombre de demandes d’asile présentées à la France a presque doublé en sept ans, atteignant 65 894 en 2013. En moyenne, 80 % d’entre elles aboutissent à une décision négative. Ce taux important de réponses négatives, propre à la France, n’a malheureusement pas pour effet de réduire le nombre de demandeurs d’asile, lui aussi en forte augmentation.

Sans nous voiler la face sous l’effet de l’idéologie, nous devons y voir une preuve, parmi d’autres, du contournement de notre procédure d’asile par des populations qui visent, en réalité, une immigration économique.

Je garde à l’esprit le fait que les candidats à l’asile et à l’immigration sont les premières victimes des nombreuses filières organisées, réseaux mafieux difficiles à démanteler qui détournent notre réglementation à leur profit, sans vergogne, sans scrupule et sans crainte des sanctions – quand elles existent –, et qui exploitent honteusement la misère humaine.

C’est pourquoi nous appelons de nos vœux un durcissement du présent projet de loi, afin que notre pays envoie un message clair et sans ambiguïté.

De manière à mettre fin à la dynamique perverse de ces contournements évidents, nous devons considérablement raccourcir les délais de traitement des demandes et nous assurer que les reconduites à la frontière sont effectives.

Pour ce qui concerne la question centrale des délais, il n’est plus supportable que la France affiche un délai moyen de traitement supérieur à vingt-quatre mois, dont seize mois entre le dépôt d’une demande à l’OFPRA et la décision définitive de la CNDA. Ce délai est respectivement de cinq mois en Allemagne et de six mois au Royaume-Uni…

L’augmentation des effectifs de l’OFPRA qui sont passés de 407 à 470 entre 2009 et 2014, auxquels s’ajoutent les 50 recrutements prévus cette année, ne permettra pas, à elle seule, de réduire significativement les délais de traitement des demandes, si elle ne se double pas de procédures réellement allégées et accélérées.

Dans sa version initiale, monsieur le ministre, votre texte présentait l’avantage de réduire ces délais, unanimement considérés comme trop longs et donnant trop souvent lieu à de nombreux détournements. Pour des raisons qui échappent à ma compréhension, les députés de votre majorité ont décidé d’introduire de nouveaux droits juridiques et matériels au bénéfice des demandeurs et d’apporter de nombreuses restrictions au champ de la procédure accélérée.

Qui dit plus de droits dit plus de recours ! Ces nouvelles dispositions aboutiront donc à un nouvel allongement de la durée des procédures. Résultat de ce jeu à somme nulle : les avancées louables de votre projet de loi – accélération des procédures de traitement et assainissement du système français de l’asile en vue de le rendre plus juste pour ceux qui obtiennent le statut – disparaîtraient aussitôt.

Si nous ne parvenons pas à statuer plus rapidement sur les demandes présumées abusives ou plus urgentes, notre pays se trouvera dans l’incapacité d’accueillir dignement les ressortissants de pays en crise sévère qui connaissent une situation dramatique, comme la Syrie et l’Irak.

Aussi, nous veillerons à ce que soient adoptées toutes les mesures susceptibles de diminuer les délais de traitement des demandes et de faciliter le recours à des procédures accélérées, dans le respect des droits du demandeur.

À ce titre, je vous invite à faire preuve de bon sens en acceptant la proposition de la commission des lois visant à inscrire dans la loi le respect des délais de traitement devant l’OFPRA et la CNDA.

J’en viens au sort des déboutés du droit d’asile, en lien avec la politique d’immigration. Dans les faits, notre système d’asile crée chaque année des dizaines de milliers de sans-papiers. Comme le rappelait si justement l’un de nos collègues, « le système actuel génère des “ni-ni”, c’est-à-dire des personnes qui ne sont ni expulsables – 95 % des mesures d’éloignement n’étant pas appliquées – ni régularisables. » Les filières clandestines d’immigration ont parfaitement conscience de cette faille, dans laquelle elles s’introduisent massivement.

Ainsi, ne faire porter nos efforts que sur l’accélération du traitement des dossiers ne servira à rien si nous ne renforçons pas, en aval, l’exécution des mesures de reconduite à la frontière des déboutés, auxquels le projet de loi s’intéresse bien trop peu.

Il ne semble pas logique, en effet, de dissocier de la présente réforme du droit d’asile la thématique de l’immigration et la question des étrangers en situation irrégulière dans notre pays. Les professionnels et les ONG qui interviennent auprès de ces populations pourraient même qualifier cela d’aberration.

Il aurait été beaucoup plus pertinent de traiter ces sujets au sein d’un texte commun, sans pour autant confondre asile et immigration, comme l’a rappelé M. le rapporteur. Bien au contraire, une telle démarche aurait offert l’occasion d’aborder de manière globale et cohérente les interactions entre ces deux enjeux.

Sur le terrain, les agents doivent faire face à des situations humaines très délicates, par exemple lorsqu’un demandeur d’asile doit être reconduit à la frontière alors qu’il demeure sur le territoire français depuis plus d’un an, éventuellement avec sa famille, et qu’il a tissé de nombreux liens avec notre pays : famille nouvellement fondée, éventuellement avec des enfants bénéficiant du droit du sol, enfants scolarisés en France, etc.

Faut-il rappeler que l’article 6 de la directive 2008/115 impose à tout État membre de prendre une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire ainsi que d’adopter toutes les mesures nécessaires à l’exécution de la décision de retour ?

Évoquons ensuite les moyens budgétaires, qui paraissent insuffisants et détournés, au détriment des bénéficiaires.

Nous ne pouvons plus accepter une situation dans laquelle ceux qui obtiennent l’asile se retrouvent à peine mieux lotis que les déboutés. Le montant des dépenses au bénéfice de ceux-ci serait, sous réserve de confirmation, équivalent aux sommes consacrées aux demandeurs d’asile.

Le coût de la politique d’asile, estimé entre 1 et 2 milliards d’euros, pourrait être considérablement diminué si l’on faisait preuve de plus de fermeté dans l’exécution des mesures d’éloignement comme dans l’attribution des moyens matériels.

Les cas de figure d’abus sont légion. C’est, par exemple, un débouté du droit d’asile, dont on n’a plus la moindre nouvelle et à l’encontre duquel a été prononcée une obligation de quitter le territoire français, qui continue à bénéficier du versement des allocations. C’est aussi une personne déboutée qui refuse de quitter sa place en CADA, gelant ainsi la possibilité pour tout nouveau demandeur de bénéficier d’un hébergement d’accueil décent.

Il est nécessaire de mieux gérer le budget dédié à notre système d’asile. Plus de rigueur et de fermeté en matière de versement indu de prestations matérielles d’accueil permettrait de dégager des marges budgétaires au profit des services qui en ont le plus besoin.

Faute de budgets suffisants, les services de police, de gendarmerie et de police aux frontières n’ont pas les moyens adéquats pour rechercher les déboutés et pour assurer comme il se doit les mesures d’éloignement, mettant ainsi en péril l’ensemble du système.

De même, il paraît indispensable d’augmenter les crédits alloués à l’OFPRA, dont le budget est en diminution alors qu’il devrait connaître un élargissement de ses missions.

J’aborde maintenant la question de la saturation des dispositifs d’hébergement. Permettez-moi de vous donner lecture d’un extrait du courrier adressé au mois de juin 2013 par le président socialiste de Grenoble-Alpes Métropole à l’ensemble des maires de la métropole grenobloise : « La plateforme d’accueil grenobloise recense tous les mois de nombreuses personnes nouvelles en situation de demandeurs d’asile qui viennent grossir l’effectif existant.

« Les lieux d’accueil, gérés par l’État, sont totalement saturés et ne peuvent plus faire face à ces arrivées régulières.

« Le corollaire de cet état de fait est une situation de précarité qui se diffuse à l’ensemble des territoires, au-delà des zones urbaines prioritairement concernées.

« L’État, compétent dans ce dossier, m’a officiellement annoncé son impossibilité de maintenir son effort financier lié à ses obligations faute de crédits disponibles. » Quel aveu ! Quel naufrage !

Saturés, les dispositifs d’hébergement ne répondent plus à l’urgence de la situation et ne peuvent plus accueillir les publics auxquels ils sont destinés. L’accélération du traitement des dossiers, pourtant nécessaire, ne sera pas suffisante. Il est indispensable que les organismes concernés puissent légalement mettre hors des lieux d’hébergement les personnes qui s’y maintiennent indûment.

De manière complémentaire, je tiens à saluer les efforts effectués par l’OFII en matière d’orientation territoriale des demandeurs dans l’attribution des places, face à la répartition inégale des demandes d’hébergement sur le territoire national, plus de 50 % des demandes étant concentrées dans les régions Île-de-France et Rhône-Alpes. De même, un meilleur partenariat entre les départements pourrait favoriser une gestion encore plus équitable de ces flux.

J’en termine en abordant le rôle de l’Europe. Nous le savons tous, Roger Karoutchi l’a rappelé, rien ne pourra se faire sans une politique européenne volontariste. Nous devons agir vite, surtout si nous ne voulons plus être les spectateurs impuissants de naufrages de navires chargés de demandeurs d’asile, en pleine Méditerranée ou le long des côtes italiennes.

Les récentes mesures prises par certains pays européens, visant en particulier à réduire les entrées migratoires, démontrent qu’il y a urgence à revoir en profondeur la politique communautaire si l’on souhaite faire preuve d’efficience et de dignité en matière d’accueil des populations dont la sécurité n’est pas, ou plus, assurée dans leurs pays d’origine.

Si le ministre de l’intérieur rappelait, voilà deux ans, la nécessité de mener une discussion à l’échelon européen, force est de constater que les instances européennes se sont peu mobilisées sur ce dossier, malgré l’urgence grandissante.

Militariser la Méditerranée ne suffira pas à faire diminuer les flux migratoires, dopés par les crises politiques, les conflits entre nations ou ethnies, et les difficultés socio-économiques. Le triplement annoncé du budget consacré à l’opération européenne Triton, dont le mandat cesse à cinquante kilomètres des côtes européennes, ne contribuera pas à réduire le nombre de naufrages.

Il est absolument nécessaire de réorienter et de mieux coordonner au plan communautaire nos efforts politiques et nos moyens financiers en direction de pays clairement identifiés, qui sont pourvoyeurs de départs massifs de populations désireuses d’une vie meilleure et plus humaine.

Afin d’offrir aux candidats au départ une nouvelle alternative, un cadre de vie meilleur, source de paix et d’espoir pour l’avenir, il est en effet devenu indispensable de remettre à plat les politiques bilatérales et européennes de coopération et de développement – projets structurants en matière d’éducation, d’agriculture, d’infrastructures, de développement économique –, dont les résultats sont loin d’être à la hauteur des investissements financiers consentis.

Dans un contexte d’explosion démographique dans les zones de départs massifs qui va s’amplifier au cours des prochaines années, cette voie seule nous permettra d’apporter des réponses concrètes à la régulation des flux et à l’éradication des réseaux mafieux qui profitent de la misère d’enfants, de femmes et d’hommes prêts à payer des sommes importantes et à risquer leur vie sur des embarcations de fortune.

Mes chers collègues, tenter tout ce qui est possible pour refuser la fatalité et changer le sort de centaines de milliers de personnes en quête d’une vie meilleure : tels sont notre devoir et notre honneur.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, débattre de notre politique de l’asile nous renvoie à l’éternel dilemme entre le respect de principes humanitaires affirmés en droit international et les limites, malheureusement constatées, de nos capacités d’accueil. Sommes-nous vraiment condamnés ad vitam aeternam à cette opposition entre humanisme et réalisme ? Il me semble au contraire urgent d’en sortir. Pour cela, nous devons nous donner les moyens de la responsabilité, plutôt que nous enfoncer dans la passivité et l’assistanat, qui nourrissent suspicion et xénophobie.

Si le présent projet de loi et certains amendements adoptés en commission vont dans le bon sens, davantage d’ambition serait nécessaire. Je partage pleinement la volonté de réduire les délais d’instruction des demandes, mais je souhaite vous alerter sur deux écueils.

Raccourcir les délais d’examen des demandes est évidemment indispensable pour lutter contre l’engorgement du dispositif et redonner tout son sens au droit d’asile. C’est indispensable sur le plan à la fois humain, pour que les demandeurs d’asile soient, au plus tôt, fixés sur leur sort, et économique, pour éviter de faire peser trop longtemps sur la collectivité le coût de l’assistance aux demandeurs en attente de décision.

Je salue donc la volonté de la commission des lois d’inscrire les délais d’instruction par l’OFPRA dans la loi au lieu de les laisser au niveau réglementaire. La rapidité de traitement des dossiers est non pas un détail administratif, mais bien une condition de l’exercice effectif du droit d’asile.

Gardons-nous, toutefois, de nous arrêter à la formulation de vœux pieux. La longueur excessive des délais de traitement n’est évidemment pas le résultat de la mauvaise volonté des agents de l’OFPRA ou des juges de la CNDA. Fixer des objectifs ambitieux sans les assortir de moyens adéquats, c’est prendre le risque d’une planification à la soviétique. Je veux donc insister sur la nécessité de mettre en cohérence objectifs et moyens.

Un autre risque serait d’encourager une approche trop expéditive au niveau de la première instruction par l’OFPRA, qui se traduirait par une multiplication des recours au niveau de la CNDA.

Nous avons trop tendance, en France, à considérer la multiplication des possibilités de recours comme le critère de la décision juste. Le danger est de favoriser les demandeurs d’asile les plus procéduriers, souvent épaulés par des réseaux qui leur fournissent des argumentaires tout prêts, au détriment des demandeurs véritablement légitimes, rendus méfiants par rapport à une administration trop tatillonne du fait des traumatismes subis dans leur pays d’origine.

L’approche individuelle et humaine est essentielle. Et celle-ci exige de pouvoir consacrer un peu de temps à chaque dossier. Tout en comprenant le bien-fondé d’un raccourcissement des délais d’instruction des demandes, j’attire donc l’attention sur la nécessité de maintenir une approche individualisée bienveillante. C’est particulièrement essentiel pour des personnes en situation de grande vulnérabilité, notamment les mineurs ou les femmes victimes d’abus.

Cette étape du recueil des témoignages des demandeurs d’asile me semble être la clé d’une approche juste et d’une modération de l’engorgement du système.

Il y a aujourd’hui, comme il a été rappelé, plus de 60 000 demandes annuelles d’asile, contre 35 000 en 2007. Trois quarts de ces demandes environ font l’objet d’un rejet. Cela pèse évidemment sur notre capacité à accueillir dans la dignité les demandeurs d’asile légitimes. L’engorgement du dispositif rallonge les délais de traitement des demandes ; le partage des budgets alloués à l’hébergement et aux allocations temporaires d’attente entre un nombre croissant de demandeurs tourne à la gestion de la pénurie.

Mais comment endiguer cet afflux ? À l’évidence, exiger une réduction des délais de traitement ne diminuera en rien le nombre de demandes. Il faut donc trouver des approches complémentaires.

N’est-il pas absurde que les migrants chassés par la guerre et les persécutions soient obligés, pour déposer leur demande d’asile, de traverser la Méditerranée au péril de leur vie et en finançant les réseaux de trafiquants ? Plutôt que de compter les cadavres et de financer de coûteuses opérations de sauvetage en mer, ne devrait-on pas favoriser un examen des demandes d’asile sur place ?

C’est ce qui a commencé à être fait en Syrie et en Irak, où nos consulats réalisent un tri des demandes et peuvent délivrer le statut de réfugié sans que les demandeurs aient à venir clandestinement sur notre territoire pour présenter une demande à l’OFPRA. Cette approche aussi positive qu’humaine ne s’applique malheureusement qu’à quelques centaines de personnes, alors même qu’en 2014 20 % des 620 000 demandeurs d’asile en Europe étaient originaires de Syrie. Ne devrait-on pas favoriser la montée en puissance d’un tel dispositif, non seulement dans le cadre de la crise actuelle au Moyen-Orient, mais aussi de manière plus générale ?

Traiter les demandes dans le pays de départ plutôt qu’à l’arrivée des réfugiés en France présenterait de nombreux avantages.

D’un point de vue strictement économique, cela constituerait autant d’économies sur les dépenses liées à la subsistance des demandeurs d’asile sur notre sol – hébergement, allocation d’attente, soins médicaux, placement en rétention – et à leur éventuel éloignement du territoire.

D’un point de vue humain, cela éviterait aux demandeurs de risquer leur vie, de perdre toutes leurs économies en recourant à des passeurs, de subir des mois, voire des années de vie précaire dans l’attente de la décision de l’OFPRA et de risquer un nouveau déracinement en cas de rejet de la demande d’asile et d’éloignement forcé du territoire.

L’examen des dossiers d’asile par les consulats favoriserait aussi une approche plus juste, car mieux informée de la réalité du contexte politique et social local. Cela limiterait aussi les difficultés pratiques et budgétaires engendrées, en France, par le recours aux traducteurs. Cela éliminerait la polémique récurrente sur la liste des « pays sûrs » et permettrait de vérifier plus facilement la véracité des faits évoqués. Cela permettrait de mieux orienter, en amont, les candidats à l’émigration vers des statuts leur correspondant : asile pour les victimes de persécutions, visas étudiants ou visas d’affaires pour les autres...

Cet élargissement des missions consulaires nécessiterait évidemment le déploiement de moyens adaptés, mais ces dépenses seraient largement contrebalancées par les économies réalisées sur le fonctionnement du dispositif de l’asile dans notre pays. D’autant qu’une telle décentralisation de l’examen des demandes d’asile n’aurait de sens qu’en étant déployée à l’échelle européenne, par la création de véritables « guichets d’asile » européens.

En 2014, 20 % des 620 000 demandeurs d’asile en Europe étaient originaires de Syrie. Il est pourtant impossible de remplir une demande d’asile depuis les camps de réfugiés syriens au Liban ou en Jordanie, et ce malgré l’existence d’une directive européenne de 2001 sur la protection temporaire. Cela se faisait pourtant dans des camps de réfugiés irakiens en Syrie que j’avais pu visiter en 2008.

Cette directive européenne visait à gérer l’arrivée massive dans l’Union européenne d’étrangers ne pouvant rentrer dans leur pays en raison d’une guerre, de violences ou de violations des droits de l’homme. Elle instituait, pour ces personnes déplacées, une protection immédiate et temporaire d’un an renouvelable et assurait un équilibre entre les efforts réalisés par les États membres pour les accueillir.

La directive demeure inappliquée, faute de volontarisme politique des États membres. Par conséquent, seules l’Allemagne et la Suède accueillent massivement les réfugiés syriens. La France s’honorerait pourtant d’œuvrer en faveur d’une réelle application de cette directive.

Certes, le réseau consulaire français, particulièrement dense, exposerait la France à gérer une grande partie de ces demandes. Mais la directive prévoit un partage équitable de l’effort et donc un dédommagement par les États moins exposés. Un accord a tout récemment été trouvé en matière de protection consulaire. Une philosophie similaire pourrait donc être appliquée à l’asile.

L’adoption, par la commission des lois, d’un amendement offrant une base légale à la pratique de la vidéoconférence pour les entretiens OFPRA est, à cet égard, prometteuse, puisque cette mesure, initialement pensée pour les demandeurs placés en centre de rétention, pourrait aussi faciliter un traitement plus décentralisé des demandes.

Je voudrais consacrer le temps qui me reste à évoquer une question injustement laissée de côté dans le débat actuel sur l’asile : l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail.

Bien que le droit au travail des demandeurs d’asile soit reconnu en droit international, notamment par la convention des Nations unies de 1951 et par la Charte sociale européenne, la France reste frileuse.

Depuis 1991, les demandeurs d’asile ne bénéficient plus d’une autorisation de travail. Ils ne peuvent en solliciter une qu’au bout d’un an, si l’OFRA n’a pas répondu à leur demande ou si un recours est en cours d’instruction par la CNDA. Les conditions pour obtenir cette autorisation sont draconiennes et, en cas d’acceptation, des taxes élevées sont dues par l’employeur.

Remarquons-le au passage, si la question de l’accès au marché du travail est abordée dans le présent projet de loi, ce n’est sans doute pas le fruit d’une volonté politique forte. C’est, bon gré mal gré, la simple transposition en droit interne de la directive européenne « Accueil » de 2013, qui impose d’ouvrir le marché du travail aux demandeurs d’asile pour lesquels aucune décision n’aurait été prise dans un délai de neuf mois. Maigre progrès, alors que la législation actuelle fixe ce délai à douze mois !

La France est aussi très en retard par rapport à ses homologues européens : en Suède, les demandeurs d’asile peuvent travailler dès le dépôt de leur demande ; en Allemagne, en Autriche ou en Suisse, le délai n’est que de trois mois ; en Belgique, en Italie ou aux Pays-Bas, il est de six mois. Aux États-Unis aussi, les demandeurs d’asile ont le droit de travailler – et ce sur un pied d’égalité avec les citoyens américains.

La question du travail est, chez nous, un véritable tabou. Elle réveille des peurs irrationnelles. Permettre aux demandeurs d’asile de travailler encouragerait, croit-on, les filières d’immigration clandestine et pousserait des migrants économiques à solliciter indûment le statut de réfugié. Mais il y en aura toujours pour profiter du système ! Certains sont déjà encouragés à postuler au statut de réfugié par l’existence de l’allocation temporaire d’attente. L’ouverture du marché du travail ne constituerait pas une incitation supplémentaire décisive.

Pouvoir travailler permettrait aux demandeurs d’asile de vivre dans la dignité, en gagnant eux-mêmes de quoi vivre et faire vivre leur famille. Le droit au travail est un droit fondamental, reconnu notamment par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Il est aussi le socle de la plupart de nos droits fondamentaux.

Travailler permet d’assurer un revenu de subsistance. Pouvoir travailler légalement diminue la probabilité du recours au travail informel et, notamment, à des emplois dégradants, exposant à des risques d’exploitation, à des violences sexuelles, voire à la traite des êtres humains. Cela réduit aussi les risques de sombrer dans la délinquance ou de devenir dépendant de l’aide publique.

Le travail est aussi un facteur essentiel de dignité et d’estime de soi, ce qui revêt une importance particulière pour des réfugiés souvent traumatisés par des parcours tragiques.

Travailler est, enfin et surtout, un facteur d’intégration.

Dans un avis voté en décembre 2013, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, souligne qu’il est « de l’intérêt de tous de permettre l’accès au marché de l’emploi dans la mesure où il s’agit d’un facteur d’autonomisation des demandeurs d’asile. Cet accès devrait être ouvert à tout demandeur d’asile après le dépôt de sa demande. »

Dans une récente résolution, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe note que faciliter l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile profite tant aux sociétés dans lesquelles ils vivent qu’aux sociétés dans lesquelles ils pourraient retourner. C’est aider les demandeurs d’asile à maintenir et développer leurs compétences et à les mettre au service de leur pays d’accueil.

Le programme EQUAL, financé par le Fonds social européen, préconise de commencer l’intégration et l’autonomisation des demandeurs d’asile dès leur arrivée. Il a aussi prouvé que l’emploi des demandeurs d’asile était un élément essentiel de leur intégration future.

Pourquoi alors continuer à favoriser l’assistanat plutôt que la responsabilité et l’intégration ?

J’ai déposé un amendement d’appel visant à ouvrir notre marché du travail aux demandeurs d’asile, à l’image de ce que pratique la Suède. Je propose sinon, comme solution de repli, de réduire le délai d’accès au marché du travail de neuf à six mois. Le nombre de personnes concernées serait limité et une telle expérience serait riche d’enseignements pour envisager une évolution de notre politique d’accueil des réfugiés.

La fermeture du marché du travail aux demandeurs d’asile a un coût élevé, non seulement pour les individus auxquels on impose l’inactivité, mais aussi pour les sociétés d’accueil.

J’ai bien conscience que prôner une telle ouverture est politiquement incorrect en période de chômage et d’immigration élevés, mais le débat mérite véritablement d’être lancé.

Il ne s’agit pas d’ouvrir inconsidérément les portes de notre territoire, mais simplement de donner aux demandeurs d’asile les moyens de sortir de l’assistanat et de s’intégrer.

Une telle libéralisation peut aussi aller de pair avec une sévérité accrue vis-à-vis de ceux qui déposent des demandes d’asile manifestement illégitimes. Je soutiens les amendements déposés en ce sens, notamment ceux qui prévoient que la décision définitive de rejet prononcée par l’OFPRA, le cas échéant après que la CNDA a statué, vaut obligation de quitter le territoire français, ou que l’étranger débouté de sa demande d’asile ne peut, à un autre titre, solliciter un titre de séjour.

La politique de l’Europe « forteresse » fait, naufrage après naufrage, la preuve de son échec. Les politiques uniquement répressives sont coûteuses et inefficaces, mais il est inadmissible que seule une petite minorité des déboutés de l’asile soit effectivement éloignée de notre territoire. L’alternative n’est pas une ouverture sans contrôle de nos frontières.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Je conclus, madame la présidente.

Il s’agirait plutôt de miser sur les aspirations profondes des demandeurs d’asile. S’ils ont risqué leur vie pour venir en France, ce n’est pas pour vivre à nos crochets. Donnons-leur les moyens de reconstruire leur vie, de s’autonomiser, de s’intégrer.

Ouvrir le marché du travail aux demandeurs d’asile est le seul moyen de sortir du dilemme entre une générosité irresponsable et laxiste, source de dérives budgétaires, et un pseudo-réalisme nous conduisant au repli identitaire, qui s’avère chaque mois plus difficile à mettre en œuvre.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

N’oublions pas, enfin, que la politique de l’asile et la politique d’immigration ne peuvent être découplées de notre diplomatie globale. Prévenir l’afflux de migrants suppose de s’impliquer beaucoup plus activement en amont, non seulement par le biais de l’aide publique au développement, de la communication et de l’éducation, mais aussi par une meilleure coopération policière, pour lutter contre les réseaux de passeurs, et par la diplomatie.

Il faut une réponse européenne globale qui développe le travail en amont. C’est toute notre politique migratoire européenne qu’il nous faut revoir aujourd’hui, avec humanisme mais aussi avec fermeté, lucidité et courage.

Voilà, madame la présidente, et je n’ai pas plus dépassé mon temps de parole que mes collègues !

Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Deux minutes quarante, ma chère collègue. Avec le nouveau règlement, nous allons devoir nous imposer une plus grande concision.

La parole est à Mme Catherine Tasca.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’une question fondamentale, celle du droit de l’asile. Il s’agit en effet d’un droit de nature constitutionnelle et conventionnelle. Nous devons porter au crédit du Gouvernement de s’être saisi de ce sujet et d’avoir remis l’ouvrage sur le métier, car nous avons assisté à la déliquescence de notre système d'asile pendant de trop nombreuses années. Alors qu’aucune réforme n’est intervenue depuis 2003, il est grand temps de réagir, comme l’Europe nous y oblige !

Il nous faut d'emblée écarter tout amalgame entre la politique de l'asile et les politiques de l'immigration et bien distinguer ces deux champs de l’action publique. À cet égard, plusieurs des collègues qui sont intervenus précédemment nous ont démontré combien la tentation est forte de confondre ces politiques et combien elle pollue le regard porté sur le droit d’asile. Nous ne les suivrons donc pas sur ce terrain.

Le droit d'asile est ancré dans notre histoire. Or il nous est impossible, aujourd'hui, de nier le manque d'efficacité de nos procédures, l'insuffisance de notre offre d’hébergement, les inégalités juridiques que subissent les différents demandeurs d'asile et les carences liées à l'accueil et à l'accompagnement de ces derniers sur notre territoire.

Actuellement, le délai pour qu’un demandeur d’asile obtienne une réponse définitive à sa demande avoisine les vingt-quatre mois. Cette situation est inacceptable ! Je pense également au coût élevé qu’induisent la longueur de ces délais et le manque de places dans les centres d'accueil de demandeurs d'asile, les CADA, qui entraîne des placements en hébergement d’urgence.

Les conditions matérielles de l’exercice du droit d’asile en France ne nous permettent plus d’accueillir comme nous le souhaiterions ceux qui ont réellement besoin de notre protection. Elles constituent, du reste, la source principale d’éventuels détournements de procédure et d’exploitations politiciennes tendant à faire croire que la France accueille « toute la misère du monde ».

Si le nombre de demandeurs d’asile en France a presque doublé entre 2007 et 2013 pour s’élever à près de 65 000 au titre des demandes déposées au cours de l’année 2014, l’Allemagne comptait, à elle seule et pour la même année, environ 173 100 demandes. La France est donc loin de ployer sous le poids des demandes d’asile, ainsi qu’on l’entend trop souvent.

Ce projet de loi cherche à pallier les défauts évidents de notre système d’asile et à mettre notre législation en conformité avec les directives communautaires qui, elles-mêmes, devront évoluer.

Les événements tragiques qui se déroulent depuis des mois – en particulier ces dernières semaines, où l’on a assisté à la mort de milliers de migrants lors de traversées décidées au mépris de toute sécurité – ont démontré qu’il est nécessaire de faire avancer l’harmonisation des législations et des pratiques européennes dans un domaine où chacun sait que la solution ne peut pas être strictement nationale.

Si je ne reviens pas sur l’architecture du texte, qui a été parfaitement présentée par M. le ministre et analysée par M. le rapporteur et les différents intervenants qui m’ont précédée, je veux toutefois souligner ici le caractère courageux d’une réforme juste et équilibrée.

Le texte traite des temps primordiaux de l’asile : l’accueil de la demande, les délais de l’instruction, les recours et l’issue de la procédure.

Premièrement, l’accueil des demandeurs d’asile sera rationalisé et amélioré grâce à la création en préfecture d’un guichet unique d’enregistrement des demandes, qui se fera désormais en trois jours. Après leur prise en charge par l’Office français de l'immigration et de l'intégration, l’OFII, les demandeurs se verront ensuite proposer un hébergement dans le cadre d’un nouveau système dit « directif », qui favorisera progressivement l’accueil en CADA pour tous les demandeurs. De l’acceptation de cette offre d’hébergement dépendra le bénéfice des allocations.

Ce nouveau système d’accueil des demandeurs représente donc l’un des piliers de la réforme. Il permet la mise en place d’un équilibre en proposant une offre décente aux demandeurs d’asile tout en réduisant le phénomène de congestion que connaissent les grandes métropoles.

Deuxièmement, le Gouvernement a fixé la réduction des délais d’instruction comme l’un des objectifs cruciaux de la réforme. Pour y parvenir, les mesures contenues dans le projet de loi allient rapidité et efficacité, tout en garantissant les droits des demandeurs. Le respect d’un délai d’instruction de neuf mois est une condition de réussite de la réforme, mais aussi la meilleure garantie de pérennité de notre système d’asile.

En ce sens, la nouvelle procédure accélérée permettra d’écarter rapidement les demandes qui suscitent le moins de difficultés, que ce soit lors de leur traitement par l’OFPRA ou devant la CNDA, avec un recours devant un juge unique dans un délai de cinq semaines.

En contrepartie, la réduction de ces délais s’accompagne de garanties nouvelles pour les demandeurs d’asile : la présence dorénavant de tiers lors des entretiens à l’OFPRA, la possibilité pour l’Office de déclasser une demande placée en procédure accélérée ou la généralisation du recours suspensif devant la CNDA.

L’Assemblée nationale a également assorti l’objectif de traitement des demandes dans un délai de neuf mois de la possibilité, pour les demandeurs dont le dossier ne serait pas clos à ce terme, d’accéder au marché du travail. Il s’agit à la fois d’une incitation pour l’exécutif à tenir les délais qu’il se fixe et du meilleur moyen d’aider les demandeurs d’asile à conquérir leur autonomie.

Le succès de la réforme dépendra bien évidemment des modalités de sa mise en œuvre et des moyens qui lui seront consacrés.

L’OFPRA, sous la direction courageuse de M. Pascal Brice, a déjà entrepris une réforme interne en adoptant un plan d’action pragmatique et en augmentant ses effectifs de 55 emplois pour venir renforcer l’efficacité de l’Office. Les résultats sont déjà visibles, puisque la proportion de statuts protecteurs accordés a augmenté, passant de 24 % à 28 % entre 2013 et 2014, dont les deux tiers sont reconnus dès l’OFPRA. Tandis que la demande d’asile a baissé de 2 % l’an dernier, le nombre de décisions s’est accru de 12 % entre ces deux années, ce qui a permis, pour la première fois, une réduction des demandes en attente et des délais.

Je veux aussi saluer la qualité du travail des officiers de protection qui remplissent quotidiennement cette mission et assurent l’écoute individualisée et humaine qu’a tant réclamée Mme Garriaud-Maylam. Il faudra porter une attention particulière à la formation et au statut de ces personnels.

L’effort doit également se poursuivre au niveau de la CNDA, mais aussi de l’OFII, dont les moyens sont encore trop restreints.

Je ne peux pas ne pas évoquer ici la situation des outre-mer au regard du droit d’asile.

En raison des changements incessants de l’ordre du jour du Sénat, nos collègues ultramarins ne peuvent pas assister à nos débats, en particulier M. Thani Mohamed-Soilihi, qui tenait pourtant à intervenir pour évoquer la situation désastreuse de l’asile à Mayotte. Si l’asile est un phénomène relativement nouveau et marginal dans ce département, il s’accélère depuis les années deux mille en raison de l’instabilité politique et de la multiplicité des conflits impliquant des populations civiles dans les régions voisines. Pour tous les demandeurs d’asile, la procédure d’asile est anormalement longue, avec des délais d’instruction qui peuvent durer près de trois ans.

La commission de recours des réfugiés n’est d’ailleurs pas venue sur l’Île depuis 2009 et l’antenne de l’OFII, dont l’une des missions déléguées par l’État est l’accueil des demandeurs d’asile, n’a ouvert que le 5 janvier dernier à Mayotte.

Il faut saluer le travail de l’association Solidarités Mayotte, qui, en l’absence de centre d’accueil sur le département, a mis en place un dispositif d’hébergement d’urgence comprenant une quinzaine de places. Mais est-il bien normal de devoir compter sur une structure associative pour pallier l’absence de réponses de l’État ?

Les différences avec la métropole ne s’arrêtent pas à ces constats : on les observe également en matière de droits sociaux et d’accès aux droits, puisque les demandeurs d’asile ne disposent d’aucune source de revenus, contrairement à ceux de la métropole, qui bénéficient de l’allocation temporaire d’attente, l’ATA, et de l’allocation mensuelle de subsistance, l’AMS.

Lors de votre audition par la commission des lois le 6 avril dernier, monsieur le ministre, vous avez noté que le centre de rétention de Mayotte était indigne.

M. le ministre le confirme.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Rien ne justifie l’absence d’un accueil digne, la précarité générale des conditions de vie des demandeurs d’asile à Mayotte, la lenteur de traitement des dossiers par l’OFPRA et la CNDA, ainsi que le manque de moyens mis à disposition. Souhaitons que l’application de ce texte permette d’améliorer nettement le système de l’asile sur l’ensemble du territoire de la République et que les outre-mer ne soient pas les oubliés de la réforme !

À Mayotte comme dans d’autres départements, la confusion entre asile et immigration est courante. Mais, dans ce département ultramarin qui subit une pression migratoire insensée, l’amalgame est encore plus nuisible qu’ailleurs. Cette pression explique la réticence des Mahorais à l’égard de l’asile et des valeurs qui le sous-tendent. La réduction des délais d’examen que vise ce texte devrait permettre de faire tomber ces préventions.

Troisièmement, enfin, s’agissant de l’issue de la procédure, la refonte du système de l’asile devra nécessairement passer par un renforcement de la prise en charge et de l’accompagnement des demandeurs qui accèdent au statut de réfugié ou au bénéfice de la protection subsidiaire.

Dans le même temps, les décisions de rejet des demandes devront être dotées d’une réelle effectivité, afin de permettre aux autres demandeurs d’asile d’être pris en charge dans de bonnes conditions et de couper court aux tentations d’instrumentalisation de l’asile à des fins politiciennes.

Confondre rejet d’une demande d’asile et obligation de quitter le territoire français, OQTF, comme le fait malencontreusement la commission des lois dans le texte qu’elle a adopté, revient à confondre asile et immigration.

La Haute Assemblée ferait bien de se garder d’un tel amalgame.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Mme Catherine Tasca. À notre sens, les objectifs du projet de loi sont nécessaires et justes. C’est pourquoi, monsieur le ministre, le groupe socialiste soutient votre initiative et se tiendra à vos côtés pour que votre ambition au service d’une réforme progressiste ne reste pas lettre morte. J’espère que le Sénat saura prendre de la hauteur lors de l’examen de ce projet de loi pour faire aboutir ce texte équilibré.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je n’aurai pas de mots assez forts pour saluer un projet de loi qui a le mérite insigne de préciser les modalités d’acceptation de l’asile en France. Il en définit précisément les contours en en prescrivant le cadre et fixe sans ambiguïté, dans un esprit de responsabilité qui mêle rigueur, humanisme et transparence, les modalités de son octroi ou de son rejet, tout en tenant compte de ses évolutions.

Ce projet de loi, qui porte des avancées réelles pour les demandeurs comme pour le législateur, ne doit en aucun cas être confondu avec la problématique globale de l’immigration. Il décline les nombreux cas de figure qui peuvent se présenter et essaie de pallier les difficultés qui peuvent survenir. Beaucoup de ces difficultés ont d’ailleurs été évoquées par les orateurs qui m’ont précédée.

Mon intervention traitera essentiellement des solutions apportées par ce texte aux problématiques d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile.

Articulé autour du principe de l’hébergement directif, le projet de loi prévoit la mise en place d’un schéma national d’accueil qui favorise l’orientation directive des demandeurs d’asile ainsi que la simplification et l’unification du régime des conditions matérielles de cet accueil.

Dans ses grandes lignes, le texte permet une répartition plus équilibrée de la demande d’asile sur le territoire, ce qui est l’un des objectifs que vise la réforme, qui se veut équitable, en mettant en œuvre des mesures de bon sens.

Rationalisée, la procédure d’accueil est simple et concrète : le demandeur d’asile est orienté par le guichet unique, après enregistrement de sa demande, vers un hébergement dans la région d’arrivée ou vers une autre région. L’admission dans le lieu d’hébergement est opérée par l’OFII, qui assure la gestion nationale des demandes avec pour instruction principale d’orienter les demandeurs vers un centre adapté à leurs besoins. Ce point est primordial, en particulier pour les personnes en situation de handicap.

En ce sens, le texte donne des garanties nouvelles qu’il faut reconnaître à leur juste valeur.

Autre avancée notoire, le principe d’une orientation rapide évitera dans l’absolu aux demandeurs de longs mois d’attente en hébergement d’urgence.

Orienter certes, mais où et vers quelle CADA ? Telle est la difficulté à laquelle nous sommes confrontés. Compte tenu du nombre élevé de demandes et de l’extrême longueur des procédures à laquelle continuent encore de faire face les demandeurs – plus pour longtemps, je l’espère !- on ne peut que constater le manque de places d’hébergement

Je citerai quelques expériences vécues dans les CADA de Carcassonne et de Lagrasse dans le département de l’Aude. Les orateurs qui m’ont précédée m’ont semblé très optimistes lorsqu’ils ont évoqué les durées d’instruction des demandes. En effet, dans les CADA que je connais, les demandeurs d’asile doivent attendre au moins trois ans, voire parfois cinq ans avant de se voir octroyer le droit d’asile, sans même parler pas ici des dossiers en appel.

Je passe sous silence les drames humains liés à l’attente des demandeurs et l’inquiétude des personnels des structures chargées de les accompagner.

Si complexe que soit la tâche, je suis convaincue que le dispositif prévu par le projet de loi est bien conçu : la réduction du délai d’instruction des demandes, la généralisation, après adaptation, du modèle des CADA, dont les personnels seront rassurés, la disparition des commissions de sélection et l’attribution des places d’hébergement d’urgence aux seules personnes en situation transitoire, sans oublier la répartition équitable des places en CADA réalisée par les préfets de région après concertation avec les préfets de département et les élus locaux, toutes ces mesures bien pensées amélioreront l’accueil sur leur sol des familles persécutées.

Elles sont conformes à l’idée d’une France ouverte, juste et humaine. C’est pourquoi je voterai, en conscience, avec cœur et conviction, ce beau projet de loi républicain et fidèle à l’esprit des Lumières !

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Je vous remercie d’avoir respecté votre temps de parole, ma chère collègue.

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de remercier l’ensemble des orateurs qui ont contribué de façon très utile à cette discussion générale en versant au débat leurs différents éclairages. Je regrette simplement que, compte tenu de l’ordre du jour de la Haute Assemblée, le débat aujourd’hui ouvert ne puisse se poursuivre que lundi prochain.

Plusieurs questions ont été soulevées, auxquelles je vais m’efforcer de répondre aussi précisément que possible.

S’agissant d’abord des phénomènes migratoires en général, et de l’asile en particulier, le Sénat doit savoir que, contrairement à la crainte qui a été exprimée et aux affirmations plus aléatoires qui ont été avancées, la France n’est pas confrontée depuis deux ou trois ans à un flux de demandeurs d’asile qu’elle ne maîtriserait pas. Même, le nombre de demandes d’asile dans notre pays baisse depuis 2014, dans le contexte d’une pression migratoire pourtant considérable : après avoir baissé de 2, 34 % l’an dernier, il n’a pas du tout augmenté au début de cette année, alors même que des milliers, et même des dizaines de milliers de demandeurs d’asile arrivent à Lampedusa.

Je me permets d’insister, car l’un d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, a laissé entendre que la déstabilisation du contexte géopolitique entraînait, sur le territoire européen, un afflux massif de migrants que nous serions incapables de maîtriser. Cela ne correspond pas du tout à la réalité.

Néanmoins, étant d’accord avec les nombreux orateurs de toutes sensibilités, en particulier M. le rapporteur et M. le rapporteur pour avis, qui nous ont appelés à la lucidité, je parlerai honnêtement devant la représentation nationale : je ne peux pas exclure que la déstabilisation politique de la Libye, un pays dépourvu d’État et incapable de faire face à l’existence sur son sol de véritables organisations de traite des êtres humains, sans parler des organisations terroristes qui, me dit-on, se livrent au trafic des êtres humains pour financer leurs activités, ne conduise à une pression démographique telle que l’Union européenne se trouver un jour confrontée à une situation extraordinairement difficile. Ne pas l’admettre serait, dans le contexte actuel, une manière d’occulter la réalité ; or ne pas regarder la réalité en face nous condamnerait à ne pas pouvoir la maîtriser à terme.

Ainsi donc, il est faux de prétendre que le nombre de demandeurs d’asile en France connaîtrait une augmentation massive depuis trois ans, même si la pression migratoire qui s’exerce sur l’Union européenne s’est fortement accrue ; en revanche, nous pourrions nous trouver confrontés demain à une situation compliquée, du fait notamment de la situation en Libye.

Non moins inquiétante est la situation dans la bande sahélo-saharienne, où des groupes terroristes et des organisations criminelles sont disséminés dans de nombreux pays qui peinent à maîtriser leurs frontières. Conscient de ce problème, je me rendrai à partir de mercredi au Niger, puis au Cameroun ; je m’attacherai à approfondir le travail que nous avons entrepris l’an dernier en Mauritanie avec les pays de la bande sahélo-saharienne pour les aider à mieux maîtriser leurs frontières et pour lutter contre les organisations criminelles internationales, en particulier celles qui se livrent à la traite des êtres humains.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’ont très bien dit Catherine Tasca, Jean-Yves Leconte et Esther Benbassa, ainsi qu’Éliane Assassi, que j’ai écoutée avec beaucoup d’intérêt, comme à l’accoutumée, nous devons bien prendre la mesure de cette véritable bataille pour l’existence que mènent les migrants qui sollicitent asile et protection. De quelque manière que l’on envisage la question, il demeure que rien, dans le temps long de l’histoire de l’humanité, n’a jamais empêché des hommes, des femmes, des enfants et même des peuples, lorsqu’ils sont persécutés sur leur sol avec le degré d’abjection que l’on devine, de prendre le chemin de l’exode pour essayer de sauver leur vie.

En vérité, quand on connaît les exactions dont sont capables certains régimes, en Irak, en Syrie ou en Érythrée, à l’égard de leur propre peuple, et la barbarie dont font preuve à l’encontre des chrétiens d’Orient, des yézidis et d’autres minorités, les groupes terroristes qui prospèrent en Irak, en Syrie et, désormais, en Libye, on comprend que des populations prennent le chemin de l’exode, à leur corps défendant et avec une souffrance extrême, parce que c’est leur existence même qui est en jeu.

Lorsque Laurent Fabius et moi-même avons reçu, au Quai d’Orsay, les représentants des minorités chrétiennes qui sollicitent la protection de la France, parce qu’elles sont victimes des exactions les plus horribles de la part de groupes terroristes, ils ne nous ont pas demandé d’accorder l’asile à leurs populations, non, ils nous ont demandé que la France fasse tout, au plan international, pour qu’elles n’aient pas à partir et à chercher refuge en Europe.

Marques d’approbation sur de nombreuses travées.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Mesdames, messieurs les sénateurs, combien d’horreurs ai-je entendues dans les récits de ces victimes contraintes à prendre le chemin de l’exil ! J’ai en revanche rencontré peu de personnes m’expliquer que c’est par amour du code Schengen, lu quelque part sur les plages de Libye, qu’elles se sont mises en route vers l’Europe. Ils ne sont que quelques-uns à faire de l’Europe la source de tous les maux et raisonner de façon extraordinairement sommaire sur des sujets des plus compliqués pour faire croire à l’opinion publique que les choses se passent ainsi. D’ailleurs, je constate que, malgré la pluralité des sensibilités représentées sur les travées du Sénat, aucun d’entre vous, à une exception, n’a exprimé une telle idée.

De nombreux orateurs, en particulier M. le rapporteur pour avis, Mme Catherine Tasca, M. Jean-Yves Leconte, M. Pierre-Yves Collombat et Mme Valérie Létard, ont abordé la question de l’Europe : considérons-nous que l’Europe a un rôle particulier à jouer pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés ? Une autre question, tout aussi fondamentale, a été posée par M. Karoutchi : la France a-t-elle une stratégie en Europe pour faire face au drame de grande ampleur que nous connaissons ?

Oui, la France a une stratégie en Europe ; je prendrai le temps de l’exposer précisément devant la Haute Assemblée, car cet aspect du débat est capital.

Nous sommes confrontés à un drame humanitaire qui conduit l’Europe à augmenter les moyens consacrés au sauvetage de migrants de plus en plus nombreux et de plus en plus vulnérables, que leurs passeurs abandonnent sur des embarcations de plus en plus frêles pour une traversée de plus en plus souvent mortelle, après avoir prélevé sur eux des sommes de plus en plus importantes – un véritable impôt de mort.

Pour secourir ces migrants, les Italiens ont décidé, il y a quelques mois, l’opération Mare Nostrum. Cette opération de sauvetage en mer, tout à fait exemplaire d’un point de vue moral et que nous ne pouvons que remercier les Italiens d’avoir lancée, a incontestablement permis des sauvetages plus nombreux ; mais le contexte a provoqué, au bout du compte, une augmentation du nombre de morts. Ainsi arrive-t-il parfois qu’une opération humanitaire inspirée par les meilleures intentions conduise à une aggravation des problèmes. De fait, ces cyniques que sont les acteurs de l’immigration irrégulière ont incité de plus en plus de migrants à prendre la mer dans des conditions de plus en plus aléatoires. Résultat : s’il y a eu plus de sauvetages, il y a eu aussi plus de morts.

C’est la raison pour laquelle je me suis battu, monsieur Karoutchi, pour qu’une opération de FRONTEX, l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l’Union européenne, se substitue à Mare Nostrum. Il ne s’agissait pas de cesser de sauver des vies, comme j’ai pu le lire ou l’entendre dire, mais de mettre en place une opération qui, tout en continuant de sauver des vies – c’est le cas, comme nous en avons des exemples récents -, envoie aux passeurs un signal : nous n’entendons pas les laisser se livrer à leur trafic morbide sans réagir, tant il est vrai que cette opération FRONTEX vise, en même temps qu’à sauver des vies, à démanteler les filières criminelles de la traite des êtres humains.

La France se battra pour que les moyens alloués à FRONTEX soient accrus, afin que l’Agence soit en mesure de continuer à démanteler les filières de l’immigration irrégulière.

En France, nous obtenons de bons résultats dans ce domaine : en 2014, comme je l’ai signalé au début de la discussion générale, nous avons démantelé 300 filières d’immigration irrégulière de plus qu’en 2013. J’ai donné des instructions très claires aux services qui sont sous ma responsabilité pour qu’ils fassent de la lutte contre ces filières l’une de leurs priorités et pour qu’ils travaillent en liaison avec les services de renseignement et les polices non seulement des autres pays de l’Union européenne, mais également des pays de provenance, car il faut démanteler les filières partout où elles agissent.

La France œuvre également au renforcement d’un autre aspect de la politique de l’Union européenne, au sujet duquel j’ai présenté des propositions à mes homologues européens dès cet été, soit bien avant la publication du plan Juncker : je veux parler de l’organisation, dès les pays de provenance, de la distinction entre les personnes qui relèvent de l’immigration économique irrégulière et celles qui relèvent de l’asile.

Si nous, pays de l’Union européenne, réussissons à opérer cette distinction au Niger, au Cameroun et dans les autres pays qui voient transiter les flux de migrants, en liaison avec le Haut- Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l’Organisation des migrations internationales, nous conduirons nous-mêmes en Europe ceux qui ont droit à notre protection ; ainsi, nous les arracherons aux mains des passeurs, nous combattrons les organisations criminelles internationales qui les exploitent et nous préviendrons des morts en mer. Si nous y parvenons, nous serons fidèles aux pères fondateurs de l’Union européenne et à leurs valeurs d’humanité, d’accueil et de protection, auxquelles tous les orateurs ont marqué leur attachement.

Grâce à des mesures de développement puissantes, nous devons assurer l’intégration dans leur propre pays de ceux qui fuient l’Afrique pour des raisons, vous les avez évoquées, qui tiennent à la pauvreté. Il s’agit d’ailleurs souvent de pays d’Afrique de l’Ouest qui ne sont pas dirigés par des régimes sanguinaires.

Je voudrais insister sur un dernier point concernant la politique de l’Union européenne, à savoir la politique des quotas. Contrairement à ce que vous avez pu croire, je ne soutiens pas la politique des quotas. Au contraire, je suis persuadé que nous devons mener une politique européenne de l’asile. C’est le seul moyen de renforcer l’Union européenne dans ses politiques d’immigration.

Le nombre de demandeurs d’asile que nous devons accueillir dans les pays européens doit prendre en compte l’effort déjà fourni en la matière par certains d’entre eux au cours des années précédentes. En effet, pour soutenir la politique d’accueil, des pays comme l’Allemagne, qui reçoit beaucoup de demandeurs d’asile, ou comme la France, qui fait son devoir, doivent être moins sollicités que d’autres qui n’en ont pas accueilli du tout jusqu’à présent.

Cette répartition du nombre des demandeurs d’asile entre les États de l’Union européenne qui prenne en compte les efforts déjà fournis par ces pays au cours des dernières années n’est pas une politique des quotas, c’est une politique européenne de l’asile. Voilà ce que je préconise, et c’est pour cela que nous nous battons au sein de l’Union européenne.

Je tiens maintenant à apporter des réponses précises aux questions que vous avez posées sur l’efficacité des dispositions prévues par ce projet de loi.

La réduction des délais est-elle efficace au regard des objectifs que nous nous fixons ? Elle est efficace à condition que nous tenions l’objectif d’une reconduite à la frontière, dans des conditions dignes et humaines, de ceux qui ont été déboutés du droit d’asile

Sur ce point, nous devons dire clairement les choses. Je susciterai peut-être des divergences d’appréciation avec certains des parlementaires qui se sont exprimés, mais j’estime que nous devons tenir un discours de responsabilité et de vérité.

Si nous considérons qu’au terme de la procédure d’asile tous ceux qui sont déboutés ont vocation à rester sur le territoire national, à quoi sert-il d’avoir une procédure d’asile en France ?

Bien sûr ! sur plusieurs travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Mais j’irai plus loin : si tous les déboutés du droit d’asile doivent rester sur notre sol, cela signifie a fortiori que nous avons vocation à accueillir de façon inconditionnelle tous ceux qui arrivent. Une telle politique – et j’aimerais par anticipation prévenir les parlementaires les plus enclins à aller dans cette voie – ne pourrait que renforcer encore l’attractivité de la destination France, au point qu’il n’y aurait bientôt plus de politique d’accueil au sens où nous l’entendons, c'est-à-dire que les meilleures intentions humanitaires se traduiraient par une catastrophe humanitaire. C’est précisément parce que je suis attaché à l’asile, dont la philosophie a été rappelée par nombre d’entre vous, que je ne le souhaite pas.

Ma position sur ce sujet est donc très claire : les déboutés du droit d’asile doivent pouvoir être reconduits à la frontière dans les meilleures conditions et en toute humanité, ce qui implique un dialogue avec les pays de provenance et des dispositions juridiques nouvelles dans ces pays d’origine, c’est-à-dire un continuum d’humanité et de responsabilité, moyennant des dispositifs juridiques qui le permettent.

La position qu’a adoptée le groupe UMP, dont je me réjouis, et la manière dont nous avons débattu ce soir, que j’ai appréciée, me rendent optimiste quant à la possibilité d’aboutir, sur ce projet de loi, au compromis républicain que je souhaite.

Si je ne souscris pas à tous les amendements que vous avez déposés, pour des raisons qui tiennent à la Constitution ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme, je suis cependant d’accord avec certaines des dispositions proposées à l’occasion de la discussion du présent projet de loi, même si j’estime qu’elles trouveront mieux leur place dans le projet de loi relatif à l’immigration et au droit au séjour.

En effet, un débouté du droit d’asile est, me semble-t-il, un immigré en situation irrégulière, et il ne faudrait pas que cet immigré, sous prétexte qu’il a demandé l’asile en France, soit moins bien traité qu’un immigré en situation tout aussi irrégulière qui n’aurait pas demandé l’asile. Cela poserait des problèmes notamment d’ordre constitutionnel, au regard du principe d’égalité.

Mais à partir du moment où le Gouvernement, par ma voix, pose en toute clarté que ces préoccupations seront traitées dans le projet de loi relatif au droit au séjour, et non dans le projet de loi de relatif à l’asile, toutes les conditions sont réunies pour parvenir à trouver le chemin d’un compromis républicain de qualité. Je ne pense pas que les orateurs de la majorité sénatoriale qui ont exprimé ces inquiétudes aient la volonté de créer des clivages inutiles ou de susciter des tensions à ce sujet, et encore moins de l’instrumentaliser. Je m’engage donc sur la suite, que je n’envisage pas dans un temps très lointain, et je pense que nous pouvons trouver un accord sur ce point.

Mme Éliane Assassi et M. Jean-Yves Leconte se sont inquiétés de la procédure accélérée. On retrouve ces interrogations dans certains propos et dans certains journaux. Que les uns et les autres soient rassurés, ma réponse sera, là encore, très claire : nous ne sommes animés d’aucune volonté d’accorder moins l’asile et de renouer avec une politique du chiffre.

Si nous voulons réduire les délais de traitement des dossiers, c’est dans l’intérêt des demandeurs d’asile eux-mêmes, et aussi parce que nous pensons – c’est ma conviction profonde - que nous sommes en mesure de le faire. Les discussions que j’ai pu mener avec le directeur général de l’OFPRA, M. Pascal Brice, le directeur général de l’OFII, M. Yannick Imbert, et le directeur général des étrangers en France, M. Luc Derepas, m’ont convaincu du fait que plus le temps de traitement du dossier est long, plus on risque une déshumanisation de la gestion de ces migrants désespérés, et plus le retour dans des conditions humaines de ceux qui ne relèvent pas de l’asile est difficile.

Mme Catherine Tasca s’est très bien exprimée à ce sujet et je souscris tout à fait à son propos : nous ne pouvons faire autrement que de traiter ces demandes avec rapidité et efficacité.

Madame Assassi, vous l’avez remarqué, j’ai précisé dans mon propos, à plusieurs reprises, que cette procédure accélérée avait deux corollaires : la reconnaissance intégrale des droits des demandeurs d’asile, y compris en procédure accélérée, et la mise en place de dispositifs nouveaux devant l’OFPRA, permettant de les voir reconnus dans leurs droits, y compris dans des procédures contradictoires qui jusqu’à présent n’existaient pas.

Si, parce que nous introduisons dans un projet de loi, en toute sincérité républicaine, des dispositifs destinés à faciliter la vie et à diminuer les tourments de ceux qui sont les plus vulnérables, d’aucuns décèlent dans ces dispositifs de simplification une arrière-pensée perverse, alors il sera difficile de trouver des éléments de consensus et de mobilisation des associations qui, comme vous l’avez relevé à juste titre, font un travail absolument remarquable.

Madame Garriaud-Maylam, vous avez particulièrement fait porter votre propos sur la question de l’accès au travail des demandeurs d’asile, développant à cette occasion une réflexion et une argumentation abouties. J’espère ne pas trahir votre raisonnement, et montré par là que je vous ai écoutée avec attention, en résumant ainsi votre propos : il faut créer les conditions pour permettre une mise au travail la plus rapide possible des demandeurs d’asile en évitant absolument l’assistanat, et, à cet égard, le texte tel qu’il est issu des travaux de l’Assemblée nationale pourrait être grandement amélioré.

Précisément, madame Garriaud-Maylam, j’ai donné un avis favorable à un amendement défendu par votre collègue députée Sandrine Mazetier qui tendait à instaurer un délai de neuf mois ; passé ce délai les demandeurs d’asile devaient avoir accès à l’emploi ainsi qu’à la formation professionnelle. Cet amendement me semblait relever d’un bon équilibre.

Vous proposez d’aller au-delà, seulement je ne suis pas certain que cela facilitera l’insertion professionnelle des demandeurs d’asile, et je redoute que l’on renforce ainsi l’appel d’air et l’attractivité de la France. Or vous redoutez justement que la France ne soit exposée plus que d’autres pays à ce risque.

Il faut choisir sa stratégie, on ne peut se fixer les deux objectifs à la fois.

Les débats que nous aurons sur ce projet de loi seront sans doute l’occasion d’approfondir la réflexion sur le sujet, et je pense que l’examen de certains amendements nous permettra de traiter cette question.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si nous voulons humaniser ces dispositifs, qu’il s’agisse de la réduction des délais ou de l’amélioration des conditions d’accueil des demandeurs d’asile et de leur reconduite à la frontière, nous avons besoin impérativement d’une mobilisation forte des administrations, en lien étroit avec les associations. Telle doit être la méthode, telle doit être la règle.

Je terminerai en évoquant la situation à Calais, ce mot qui n’a pas été prononcé encore dans notre débat.

Votre collègue Natacha Bouchart est très mobilisée sur le sujet et nous travaillons dans une relation d’écoute et de coproduction. Je souhaite qu’il en soit ainsi, par-delà nos différences politiques. Je me suis rendu dans cette ville il y a quelques jours auprès de migrants installés sur le terrain mis à leur disposition à proximité de l’accueil de jour que nous avons aménagé conjointement avec la mairie de Calais, et j’ai effectivement dit aux migrants de demander l’asile en France.

Il s’est ensuivi toute une série de tweets compulsifs de représentants de sensibilités politiques différentes, lesquels ont expliqué que j’étais un irresponsable incitant les migrants à demander l’asile en France, comme s’il n’y avait pas déjà suffisamment de demandeurs d’asile dans notre pays…

De quoi s’agit-il ? Quelle est ma politique à Calais ? Je tiens à ce que ma réponse soit consignée dans le compte rendu intégral des débats, car c’est un point important.

D’abord, à Calais, se trouvent toujours 2 000 migrants vivant encore dans des conditions qui, humainement, ne correspondent pas à ce que nous souhaitons. Or si nombre de ces migrants relèvent de l’asile en France, parce qu’ils viennent d’Érythrée, d’Irak ou de Syrie, d’autres sont dans une situation d’immigration économique irrégulière.

Nous avons confié à deux personnalités, MM. Vignon et Aribaud, le soin de conduire une mission sur l’humanisation des conditions d’accueil des migrants, en très étroite liaison avec les associations présentes à Calais. Le travail effectué par ces deux personnes missionnées avec lesdites associations a été remarquable. Les conclusions de cette mission seront rendues publiques à Calais à la fin du mois de mai, afin de définir les modalités d’un travail au long cours avec les associations en vue de répondre aux préoccupations humanitaires en la matière.

J’ai accepté que des financements de l’État et des fonds de l’Union européenne accompagnent la mise en place d’un accueil de jour à Calais, parce que je ne voulais pas qu’en France des migrants quels qu’ils soient, hommes, femmes et enfants, puissent mourir de faim et ne pas avoir accès, en termes de soins, d’hygiène et d’alimentation, au minimum que nous leur devions dès lors qu’ils relevaient de l’asile en France.

En outre, plutôt que de laisser ces migrants entre les mains des passeurs leur promettant un Eldorado en Grande-Bretagne, alors que les accords du Touquet nous interdisent de les laisser passer, nous avons conclu un accord avec les Britanniques, afin que ceux qui n’étaient pas « dublinables » et qui relevaient par conséquent de l’asile en France, demandent cet asile chez nous. À défaut, notre stock de migrants à Calais ne cesserait d’augmenter.

Alors, oui, à Calais, j’ai dit à ceux qui relevaient de l’asile en France qu’il était préférable pour eux de demander l’asile ici plutôt que de rester entre les mains des passeurs et des organisations internationales du crime, parce qu’il était de mon devoir moral de le faire et que, juridiquement, je n’avais d’autre issue que de leur tenir ce discours. C’était, pour des raisons morales et juridiques et au nom de l’efficacité de notre action à Calais, le seul discours que je pouvais tenir.

Par ailleurs, monsieur le sénateur, vous qui vous êtes interrogé pour savoir si nous avions assez de moyens pour agir, sachez que j’ai demandé à mes représentants, à mes collaborateurs, aux forces de sécurité qui dépendent de moi, notamment la direction centrale de la police aux frontières, la DCPAF – cela aussi, je l’assume devant le Sénat – de procéder à la reconduite à la frontière de tous ceux qui, à Calais, ne relèvent pas de l’asile en France. Sinon, notre action humanitaire à Calais n’a aucune soutenabilité. Telle est la politique que nous menons.

J’aurais pu survoler Calais en hélicoptère. J’aurais pu demander aux forces de l’ordre de disperser la « jungle » et conclure ma première visite à Calais, qui aurait d’ailleurs été aussi la dernière §en disant : « Regardez ce dont on est capable lorsqu’on a le courage politique de faire des choses absolument inefficaces et totalement inhumaines ! » Et j’aurais pu ne jamais revenir à Calais. Ce n’est pas mon choix. Je me rends régulièrement à Calais, une fois toutes les six ou huit semaines, je travaille en liaison avec la municipalité de Calais qui n’est pas de ma sensibilité politique, et je viens rendre des comptes à la population et aux associations de Calais pour expliquer notre action et la façon dont nous travaillons.

Voilà un lieu de désolation que l’on améliore en installant des infrastructures ; voilà des migrants qui n’ont pas d’autre solution en droit que de demander l’asile en France ; voilà un ministre qui conseille à ces migrants de faire cette demande parce que sa responsabilité morale le lui impose et qu’il n’y a de toute façon pas d’autre solution, en droit, que d’agir ainsi si l’on veut régler efficacement le problème, du moins si l’on parvient à convaincre les migrants. Mais voilà aussi des commentateurs de tous poils qui se disputent le droit de traiter le ministre d’irresponsable. Irresponsable ? Les migrants ne peuvent demander l’asile nulle part ailleurs qu’en France et ne pas s’y résoudre se résume pour eux à être condamnés à l’errance et à la vulnérabilité pour de longs mois !

Tel est le sens de ce que nous faisons à Calais, mesdames, messieurs les sénateurs, et c’est précisément parce que nous sommes convaincus de la responsabilité qui est la nôtre, de la nécessité d’être rigoureux dans notre action tout en étant respectueux des principes de notre droit, que nous devrions pouvoir trouver en la matière un compromis républicain. Il est bien d’autres sujets sur lesquels nous pouvons nous opposer pour que nous nous rapprochions à l’occasion de drames humains dont l’intensité est aussi forte et la réponse de la République si attendue.

Ce sont les éléments de réponse que je souhaitais donner à vos différentes interventions, très utiles, très riches et très denses. Je forme le vœu que le débat que nous allons avoir permette, au travers des amendements, d’aller au fond des questions, avec un niveau de précision technique et d’écoute mutuelle tel que ce texte puisse sortir du Sénat en étant meilleur, sur le plan des principes, sur le plan du droit, sur le plan de sa constitutionnalité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ces premiers échanges.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Nous saluons la précision de vos réponses, monsieur le ministre.

La discussion générale est close.

La suite de la discussion est renvoyée à la séance du lundi 18 mai.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 12 mai 2015 :

À neuf heures trente : vingt questions orales.

À quatorze heures trente : explications de vote des groupes sur le projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (300, 2014-2015).

De quinze heures quinze à quinze heures quarante-cinq : vote par scrutin public sur le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

À quinze heures quarante-cinq : proclamation du résultat du scrutin public sur le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

À seize heures : débat sur l’avenir industriel de la filière aéronautique et spatiale face à la concurrence.

À dix-sept heures trente : question orale avec débat n° 10 de M. Joël Labbé à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie sur les risques inhérents à l’exploitation de l’huître triploïde.

Le soir : débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée le mardi 12 mai 2015, à zéro heure cinq.