« Notre politique d’asile a atteint ses limites, si bien que pour la préserver – je dirai même pour la sauver –, il nous faut la réformer, profondément. […] il convient évidemment de mener cette discussion au niveau européen, tout en agissant au niveau national. […] Toutefois, compte tenu des contraintes budgétaires, nous ne pourrons pas multiplier à l’infini les hébergements. Si le fonctionnement de notre système d’asile reste inchangé, ces efforts seront vains, avec le risque […] d’un appel d’air et d’une confusion des publics. »
« À cela s’ajoute que près de 80 % des demandeurs sont déboutés de leur demande, dont une large part relève en réalité de motivations économiques et non de nécessité de protection. La majorité de ces déboutés reste de manière irrégulière sur le territoire et parmi eux nombreux sont ceux qui introduisent une demande de séjour à un tout autre titre que l’asile et sollicitent de surcroît les dispositifs d’hébergement d’urgence. C’est précisément ainsi que le droit d’asile est dévoyé et détourné. »
Je viens de citer, mes chers collègues, des extraits d’un courrier de M. Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, ainsi qu’une partie de son discours, prononcé le 15 juillet 2013 à l’occasion du lancement de la concertation sur la réforme de l’asile.
Le droit d’asile, puisant ses racines dans notre culture et notre civilisation, est une tradition ancrée profondément dans l’histoire et les valeurs de notre République. Cette protection fondamentale accordée aux victimes de persécutions et de violations des droits de l’homme n’a cessé de contribuer au rayonnement international de notre pays et au crédit qui lui est reconnu pour ce qui concerne la défense des libertés et des principes démocratiques.
Dans un rapport remis le 28 novembre 2013 à Manuel Valls, Valérie Létard et le député Jean-Louis Touraine avaient déjà clairement souligné les dysfonctionnements rongeant depuis plusieurs années le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile, aujourd’hui à bout de souffle.
Si votre texte, monsieur le ministre, va dans le bon sens, il ne permettra malheureusement pas un changement profond de la gestion des demandes d’asile sur notre territoire. En restant trop focalisé sur l’aspect procédural, vous ne vous donnez pas les moyens de rendre ce projet de loi efficace : il contient beaucoup trop de règles et bien trop peu de sanctions.
Le faible taux de décisions positives devrait retenir notre attention sur la réalité du détournement de la procédure d’asile. Le nombre de demandes d’asile présentées à la France a presque doublé en sept ans, atteignant 65 894 en 2013. En moyenne, 80 % d’entre elles aboutissent à une décision négative. Ce taux important de réponses négatives, propre à la France, n’a malheureusement pas pour effet de réduire le nombre de demandeurs d’asile, lui aussi en forte augmentation.
Sans nous voiler la face sous l’effet de l’idéologie, nous devons y voir une preuve, parmi d’autres, du contournement de notre procédure d’asile par des populations qui visent, en réalité, une immigration économique.
Je garde à l’esprit le fait que les candidats à l’asile et à l’immigration sont les premières victimes des nombreuses filières organisées, réseaux mafieux difficiles à démanteler qui détournent notre réglementation à leur profit, sans vergogne, sans scrupule et sans crainte des sanctions – quand elles existent –, et qui exploitent honteusement la misère humaine.
C’est pourquoi nous appelons de nos vœux un durcissement du présent projet de loi, afin que notre pays envoie un message clair et sans ambiguïté.
De manière à mettre fin à la dynamique perverse de ces contournements évidents, nous devons considérablement raccourcir les délais de traitement des demandes et nous assurer que les reconduites à la frontière sont effectives.
Pour ce qui concerne la question centrale des délais, il n’est plus supportable que la France affiche un délai moyen de traitement supérieur à vingt-quatre mois, dont seize mois entre le dépôt d’une demande à l’OFPRA et la décision définitive de la CNDA. Ce délai est respectivement de cinq mois en Allemagne et de six mois au Royaume-Uni…
L’augmentation des effectifs de l’OFPRA qui sont passés de 407 à 470 entre 2009 et 2014, auxquels s’ajoutent les 50 recrutements prévus cette année, ne permettra pas, à elle seule, de réduire significativement les délais de traitement des demandes, si elle ne se double pas de procédures réellement allégées et accélérées.
Dans sa version initiale, monsieur le ministre, votre texte présentait l’avantage de réduire ces délais, unanimement considérés comme trop longs et donnant trop souvent lieu à de nombreux détournements. Pour des raisons qui échappent à ma compréhension, les députés de votre majorité ont décidé d’introduire de nouveaux droits juridiques et matériels au bénéfice des demandeurs et d’apporter de nombreuses restrictions au champ de la procédure accélérée.
Qui dit plus de droits dit plus de recours ! Ces nouvelles dispositions aboutiront donc à un nouvel allongement de la durée des procédures. Résultat de ce jeu à somme nulle : les avancées louables de votre projet de loi – accélération des procédures de traitement et assainissement du système français de l’asile en vue de le rendre plus juste pour ceux qui obtiennent le statut – disparaîtraient aussitôt.
Si nous ne parvenons pas à statuer plus rapidement sur les demandes présumées abusives ou plus urgentes, notre pays se trouvera dans l’incapacité d’accueillir dignement les ressortissants de pays en crise sévère qui connaissent une situation dramatique, comme la Syrie et l’Irak.
Aussi, nous veillerons à ce que soient adoptées toutes les mesures susceptibles de diminuer les délais de traitement des demandes et de faciliter le recours à des procédures accélérées, dans le respect des droits du demandeur.
À ce titre, je vous invite à faire preuve de bon sens en acceptant la proposition de la commission des lois visant à inscrire dans la loi le respect des délais de traitement devant l’OFPRA et la CNDA.
J’en viens au sort des déboutés du droit d’asile, en lien avec la politique d’immigration. Dans les faits, notre système d’asile crée chaque année des dizaines de milliers de sans-papiers. Comme le rappelait si justement l’un de nos collègues, « le système actuel génère des “ni-ni”, c’est-à-dire des personnes qui ne sont ni expulsables – 95 % des mesures d’éloignement n’étant pas appliquées – ni régularisables. » Les filières clandestines d’immigration ont parfaitement conscience de cette faille, dans laquelle elles s’introduisent massivement.
Ainsi, ne faire porter nos efforts que sur l’accélération du traitement des dossiers ne servira à rien si nous ne renforçons pas, en aval, l’exécution des mesures de reconduite à la frontière des déboutés, auxquels le projet de loi s’intéresse bien trop peu.
Il ne semble pas logique, en effet, de dissocier de la présente réforme du droit d’asile la thématique de l’immigration et la question des étrangers en situation irrégulière dans notre pays. Les professionnels et les ONG qui interviennent auprès de ces populations pourraient même qualifier cela d’aberration.
Il aurait été beaucoup plus pertinent de traiter ces sujets au sein d’un texte commun, sans pour autant confondre asile et immigration, comme l’a rappelé M. le rapporteur. Bien au contraire, une telle démarche aurait offert l’occasion d’aborder de manière globale et cohérente les interactions entre ces deux enjeux.
Sur le terrain, les agents doivent faire face à des situations humaines très délicates, par exemple lorsqu’un demandeur d’asile doit être reconduit à la frontière alors qu’il demeure sur le territoire français depuis plus d’un an, éventuellement avec sa famille, et qu’il a tissé de nombreux liens avec notre pays : famille nouvellement fondée, éventuellement avec des enfants bénéficiant du droit du sol, enfants scolarisés en France, etc.
Faut-il rappeler que l’article 6 de la directive 2008/115 impose à tout État membre de prendre une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur son territoire ainsi que d’adopter toutes les mesures nécessaires à l’exécution de la décision de retour ?
Évoquons ensuite les moyens budgétaires, qui paraissent insuffisants et détournés, au détriment des bénéficiaires.
Nous ne pouvons plus accepter une situation dans laquelle ceux qui obtiennent l’asile se retrouvent à peine mieux lotis que les déboutés. Le montant des dépenses au bénéfice de ceux-ci serait, sous réserve de confirmation, équivalent aux sommes consacrées aux demandeurs d’asile.
Le coût de la politique d’asile, estimé entre 1 et 2 milliards d’euros, pourrait être considérablement diminué si l’on faisait preuve de plus de fermeté dans l’exécution des mesures d’éloignement comme dans l’attribution des moyens matériels.
Les cas de figure d’abus sont légion. C’est, par exemple, un débouté du droit d’asile, dont on n’a plus la moindre nouvelle et à l’encontre duquel a été prononcée une obligation de quitter le territoire français, qui continue à bénéficier du versement des allocations. C’est aussi une personne déboutée qui refuse de quitter sa place en CADA, gelant ainsi la possibilité pour tout nouveau demandeur de bénéficier d’un hébergement d’accueil décent.
Il est nécessaire de mieux gérer le budget dédié à notre système d’asile. Plus de rigueur et de fermeté en matière de versement indu de prestations matérielles d’accueil permettrait de dégager des marges budgétaires au profit des services qui en ont le plus besoin.
Faute de budgets suffisants, les services de police, de gendarmerie et de police aux frontières n’ont pas les moyens adéquats pour rechercher les déboutés et pour assurer comme il se doit les mesures d’éloignement, mettant ainsi en péril l’ensemble du système.
De même, il paraît indispensable d’augmenter les crédits alloués à l’OFPRA, dont le budget est en diminution alors qu’il devrait connaître un élargissement de ses missions.
J’aborde maintenant la question de la saturation des dispositifs d’hébergement. Permettez-moi de vous donner lecture d’un extrait du courrier adressé au mois de juin 2013 par le président socialiste de Grenoble-Alpes Métropole à l’ensemble des maires de la métropole grenobloise : « La plateforme d’accueil grenobloise recense tous les mois de nombreuses personnes nouvelles en situation de demandeurs d’asile qui viennent grossir l’effectif existant.
« Les lieux d’accueil, gérés par l’État, sont totalement saturés et ne peuvent plus faire face à ces arrivées régulières.
« Le corollaire de cet état de fait est une situation de précarité qui se diffuse à l’ensemble des territoires, au-delà des zones urbaines prioritairement concernées.
« L’État, compétent dans ce dossier, m’a officiellement annoncé son impossibilité de maintenir son effort financier lié à ses obligations faute de crédits disponibles. » Quel aveu ! Quel naufrage !
Saturés, les dispositifs d’hébergement ne répondent plus à l’urgence de la situation et ne peuvent plus accueillir les publics auxquels ils sont destinés. L’accélération du traitement des dossiers, pourtant nécessaire, ne sera pas suffisante. Il est indispensable que les organismes concernés puissent légalement mettre hors des lieux d’hébergement les personnes qui s’y maintiennent indûment.
De manière complémentaire, je tiens à saluer les efforts effectués par l’OFII en matière d’orientation territoriale des demandeurs dans l’attribution des places, face à la répartition inégale des demandes d’hébergement sur le territoire national, plus de 50 % des demandes étant concentrées dans les régions Île-de-France et Rhône-Alpes. De même, un meilleur partenariat entre les départements pourrait favoriser une gestion encore plus équitable de ces flux.
J’en termine en abordant le rôle de l’Europe. Nous le savons tous, Roger Karoutchi l’a rappelé, rien ne pourra se faire sans une politique européenne volontariste. Nous devons agir vite, surtout si nous ne voulons plus être les spectateurs impuissants de naufrages de navires chargés de demandeurs d’asile, en pleine Méditerranée ou le long des côtes italiennes.
Les récentes mesures prises par certains pays européens, visant en particulier à réduire les entrées migratoires, démontrent qu’il y a urgence à revoir en profondeur la politique communautaire si l’on souhaite faire preuve d’efficience et de dignité en matière d’accueil des populations dont la sécurité n’est pas, ou plus, assurée dans leurs pays d’origine.
Si le ministre de l’intérieur rappelait, voilà deux ans, la nécessité de mener une discussion à l’échelon européen, force est de constater que les instances européennes se sont peu mobilisées sur ce dossier, malgré l’urgence grandissante.
Militariser la Méditerranée ne suffira pas à faire diminuer les flux migratoires, dopés par les crises politiques, les conflits entre nations ou ethnies, et les difficultés socio-économiques. Le triplement annoncé du budget consacré à l’opération européenne Triton, dont le mandat cesse à cinquante kilomètres des côtes européennes, ne contribuera pas à réduire le nombre de naufrages.
Il est absolument nécessaire de réorienter et de mieux coordonner au plan communautaire nos efforts politiques et nos moyens financiers en direction de pays clairement identifiés, qui sont pourvoyeurs de départs massifs de populations désireuses d’une vie meilleure et plus humaine.
Afin d’offrir aux candidats au départ une nouvelle alternative, un cadre de vie meilleur, source de paix et d’espoir pour l’avenir, il est en effet devenu indispensable de remettre à plat les politiques bilatérales et européennes de coopération et de développement – projets structurants en matière d’éducation, d’agriculture, d’infrastructures, de développement économique –, dont les résultats sont loin d’être à la hauteur des investissements financiers consentis.
Dans un contexte d’explosion démographique dans les zones de départs massifs qui va s’amplifier au cours des prochaines années, cette voie seule nous permettra d’apporter des réponses concrètes à la régulation des flux et à l’éradication des réseaux mafieux qui profitent de la misère d’enfants, de femmes et d’hommes prêts à payer des sommes importantes et à risquer leur vie sur des embarcations de fortune.
Mes chers collègues, tenter tout ce qui est possible pour refuser la fatalité et changer le sort de centaines de milliers de personnes en quête d’une vie meilleure : tels sont notre devoir et notre honneur.