Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 11 mai 2015 à 21h45
Réforme de l'asile — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’une question fondamentale, celle du droit de l’asile. Il s’agit en effet d’un droit de nature constitutionnelle et conventionnelle. Nous devons porter au crédit du Gouvernement de s’être saisi de ce sujet et d’avoir remis l’ouvrage sur le métier, car nous avons assisté à la déliquescence de notre système d'asile pendant de trop nombreuses années. Alors qu’aucune réforme n’est intervenue depuis 2003, il est grand temps de réagir, comme l’Europe nous y oblige !

Il nous faut d'emblée écarter tout amalgame entre la politique de l'asile et les politiques de l'immigration et bien distinguer ces deux champs de l’action publique. À cet égard, plusieurs des collègues qui sont intervenus précédemment nous ont démontré combien la tentation est forte de confondre ces politiques et combien elle pollue le regard porté sur le droit d’asile. Nous ne les suivrons donc pas sur ce terrain.

Le droit d'asile est ancré dans notre histoire. Or il nous est impossible, aujourd'hui, de nier le manque d'efficacité de nos procédures, l'insuffisance de notre offre d’hébergement, les inégalités juridiques que subissent les différents demandeurs d'asile et les carences liées à l'accueil et à l'accompagnement de ces derniers sur notre territoire.

Actuellement, le délai pour qu’un demandeur d’asile obtienne une réponse définitive à sa demande avoisine les vingt-quatre mois. Cette situation est inacceptable ! Je pense également au coût élevé qu’induisent la longueur de ces délais et le manque de places dans les centres d'accueil de demandeurs d'asile, les CADA, qui entraîne des placements en hébergement d’urgence.

Les conditions matérielles de l’exercice du droit d’asile en France ne nous permettent plus d’accueillir comme nous le souhaiterions ceux qui ont réellement besoin de notre protection. Elles constituent, du reste, la source principale d’éventuels détournements de procédure et d’exploitations politiciennes tendant à faire croire que la France accueille « toute la misère du monde ».

Si le nombre de demandeurs d’asile en France a presque doublé entre 2007 et 2013 pour s’élever à près de 65 000 au titre des demandes déposées au cours de l’année 2014, l’Allemagne comptait, à elle seule et pour la même année, environ 173 100 demandes. La France est donc loin de ployer sous le poids des demandes d’asile, ainsi qu’on l’entend trop souvent.

Ce projet de loi cherche à pallier les défauts évidents de notre système d’asile et à mettre notre législation en conformité avec les directives communautaires qui, elles-mêmes, devront évoluer.

Les événements tragiques qui se déroulent depuis des mois – en particulier ces dernières semaines, où l’on a assisté à la mort de milliers de migrants lors de traversées décidées au mépris de toute sécurité – ont démontré qu’il est nécessaire de faire avancer l’harmonisation des législations et des pratiques européennes dans un domaine où chacun sait que la solution ne peut pas être strictement nationale.

Si je ne reviens pas sur l’architecture du texte, qui a été parfaitement présentée par M. le ministre et analysée par M. le rapporteur et les différents intervenants qui m’ont précédée, je veux toutefois souligner ici le caractère courageux d’une réforme juste et équilibrée.

Le texte traite des temps primordiaux de l’asile : l’accueil de la demande, les délais de l’instruction, les recours et l’issue de la procédure.

Premièrement, l’accueil des demandeurs d’asile sera rationalisé et amélioré grâce à la création en préfecture d’un guichet unique d’enregistrement des demandes, qui se fera désormais en trois jours. Après leur prise en charge par l’Office français de l'immigration et de l'intégration, l’OFII, les demandeurs se verront ensuite proposer un hébergement dans le cadre d’un nouveau système dit « directif », qui favorisera progressivement l’accueil en CADA pour tous les demandeurs. De l’acceptation de cette offre d’hébergement dépendra le bénéfice des allocations.

Ce nouveau système d’accueil des demandeurs représente donc l’un des piliers de la réforme. Il permet la mise en place d’un équilibre en proposant une offre décente aux demandeurs d’asile tout en réduisant le phénomène de congestion que connaissent les grandes métropoles.

Deuxièmement, le Gouvernement a fixé la réduction des délais d’instruction comme l’un des objectifs cruciaux de la réforme. Pour y parvenir, les mesures contenues dans le projet de loi allient rapidité et efficacité, tout en garantissant les droits des demandeurs. Le respect d’un délai d’instruction de neuf mois est une condition de réussite de la réforme, mais aussi la meilleure garantie de pérennité de notre système d’asile.

En ce sens, la nouvelle procédure accélérée permettra d’écarter rapidement les demandes qui suscitent le moins de difficultés, que ce soit lors de leur traitement par l’OFPRA ou devant la CNDA, avec un recours devant un juge unique dans un délai de cinq semaines.

En contrepartie, la réduction de ces délais s’accompagne de garanties nouvelles pour les demandeurs d’asile : la présence dorénavant de tiers lors des entretiens à l’OFPRA, la possibilité pour l’Office de déclasser une demande placée en procédure accélérée ou la généralisation du recours suspensif devant la CNDA.

L’Assemblée nationale a également assorti l’objectif de traitement des demandes dans un délai de neuf mois de la possibilité, pour les demandeurs dont le dossier ne serait pas clos à ce terme, d’accéder au marché du travail. Il s’agit à la fois d’une incitation pour l’exécutif à tenir les délais qu’il se fixe et du meilleur moyen d’aider les demandeurs d’asile à conquérir leur autonomie.

Le succès de la réforme dépendra bien évidemment des modalités de sa mise en œuvre et des moyens qui lui seront consacrés.

L’OFPRA, sous la direction courageuse de M. Pascal Brice, a déjà entrepris une réforme interne en adoptant un plan d’action pragmatique et en augmentant ses effectifs de 55 emplois pour venir renforcer l’efficacité de l’Office. Les résultats sont déjà visibles, puisque la proportion de statuts protecteurs accordés a augmenté, passant de 24 % à 28 % entre 2013 et 2014, dont les deux tiers sont reconnus dès l’OFPRA. Tandis que la demande d’asile a baissé de 2 % l’an dernier, le nombre de décisions s’est accru de 12 % entre ces deux années, ce qui a permis, pour la première fois, une réduction des demandes en attente et des délais.

Je veux aussi saluer la qualité du travail des officiers de protection qui remplissent quotidiennement cette mission et assurent l’écoute individualisée et humaine qu’a tant réclamée Mme Garriaud-Maylam. Il faudra porter une attention particulière à la formation et au statut de ces personnels.

L’effort doit également se poursuivre au niveau de la CNDA, mais aussi de l’OFII, dont les moyens sont encore trop restreints.

Je ne peux pas ne pas évoquer ici la situation des outre-mer au regard du droit d’asile.

En raison des changements incessants de l’ordre du jour du Sénat, nos collègues ultramarins ne peuvent pas assister à nos débats, en particulier M. Thani Mohamed-Soilihi, qui tenait pourtant à intervenir pour évoquer la situation désastreuse de l’asile à Mayotte. Si l’asile est un phénomène relativement nouveau et marginal dans ce département, il s’accélère depuis les années deux mille en raison de l’instabilité politique et de la multiplicité des conflits impliquant des populations civiles dans les régions voisines. Pour tous les demandeurs d’asile, la procédure d’asile est anormalement longue, avec des délais d’instruction qui peuvent durer près de trois ans.

La commission de recours des réfugiés n’est d’ailleurs pas venue sur l’Île depuis 2009 et l’antenne de l’OFII, dont l’une des missions déléguées par l’État est l’accueil des demandeurs d’asile, n’a ouvert que le 5 janvier dernier à Mayotte.

Il faut saluer le travail de l’association Solidarités Mayotte, qui, en l’absence de centre d’accueil sur le département, a mis en place un dispositif d’hébergement d’urgence comprenant une quinzaine de places. Mais est-il bien normal de devoir compter sur une structure associative pour pallier l’absence de réponses de l’État ?

Les différences avec la métropole ne s’arrêtent pas à ces constats : on les observe également en matière de droits sociaux et d’accès aux droits, puisque les demandeurs d’asile ne disposent d’aucune source de revenus, contrairement à ceux de la métropole, qui bénéficient de l’allocation temporaire d’attente, l’ATA, et de l’allocation mensuelle de subsistance, l’AMS.

Lors de votre audition par la commission des lois le 6 avril dernier, monsieur le ministre, vous avez noté que le centre de rétention de Mayotte était indigne.

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