Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 11 mai 2015 à 21h45
Réforme de l'asile — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Bernard Cazeneuve :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de remercier l’ensemble des orateurs qui ont contribué de façon très utile à cette discussion générale en versant au débat leurs différents éclairages. Je regrette simplement que, compte tenu de l’ordre du jour de la Haute Assemblée, le débat aujourd’hui ouvert ne puisse se poursuivre que lundi prochain.

Plusieurs questions ont été soulevées, auxquelles je vais m’efforcer de répondre aussi précisément que possible.

S’agissant d’abord des phénomènes migratoires en général, et de l’asile en particulier, le Sénat doit savoir que, contrairement à la crainte qui a été exprimée et aux affirmations plus aléatoires qui ont été avancées, la France n’est pas confrontée depuis deux ou trois ans à un flux de demandeurs d’asile qu’elle ne maîtriserait pas. Même, le nombre de demandes d’asile dans notre pays baisse depuis 2014, dans le contexte d’une pression migratoire pourtant considérable : après avoir baissé de 2, 34 % l’an dernier, il n’a pas du tout augmenté au début de cette année, alors même que des milliers, et même des dizaines de milliers de demandeurs d’asile arrivent à Lampedusa.

Je me permets d’insister, car l’un d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, a laissé entendre que la déstabilisation du contexte géopolitique entraînait, sur le territoire européen, un afflux massif de migrants que nous serions incapables de maîtriser. Cela ne correspond pas du tout à la réalité.

Néanmoins, étant d’accord avec les nombreux orateurs de toutes sensibilités, en particulier M. le rapporteur et M. le rapporteur pour avis, qui nous ont appelés à la lucidité, je parlerai honnêtement devant la représentation nationale : je ne peux pas exclure que la déstabilisation politique de la Libye, un pays dépourvu d’État et incapable de faire face à l’existence sur son sol de véritables organisations de traite des êtres humains, sans parler des organisations terroristes qui, me dit-on, se livrent au trafic des êtres humains pour financer leurs activités, ne conduise à une pression démographique telle que l’Union européenne se trouver un jour confrontée à une situation extraordinairement difficile. Ne pas l’admettre serait, dans le contexte actuel, une manière d’occulter la réalité ; or ne pas regarder la réalité en face nous condamnerait à ne pas pouvoir la maîtriser à terme.

Ainsi donc, il est faux de prétendre que le nombre de demandeurs d’asile en France connaîtrait une augmentation massive depuis trois ans, même si la pression migratoire qui s’exerce sur l’Union européenne s’est fortement accrue ; en revanche, nous pourrions nous trouver confrontés demain à une situation compliquée, du fait notamment de la situation en Libye.

Non moins inquiétante est la situation dans la bande sahélo-saharienne, où des groupes terroristes et des organisations criminelles sont disséminés dans de nombreux pays qui peinent à maîtriser leurs frontières. Conscient de ce problème, je me rendrai à partir de mercredi au Niger, puis au Cameroun ; je m’attacherai à approfondir le travail que nous avons entrepris l’an dernier en Mauritanie avec les pays de la bande sahélo-saharienne pour les aider à mieux maîtriser leurs frontières et pour lutter contre les organisations criminelles internationales, en particulier celles qui se livrent à la traite des êtres humains.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’ont très bien dit Catherine Tasca, Jean-Yves Leconte et Esther Benbassa, ainsi qu’Éliane Assassi, que j’ai écoutée avec beaucoup d’intérêt, comme à l’accoutumée, nous devons bien prendre la mesure de cette véritable bataille pour l’existence que mènent les migrants qui sollicitent asile et protection. De quelque manière que l’on envisage la question, il demeure que rien, dans le temps long de l’histoire de l’humanité, n’a jamais empêché des hommes, des femmes, des enfants et même des peuples, lorsqu’ils sont persécutés sur leur sol avec le degré d’abjection que l’on devine, de prendre le chemin de l’exode pour essayer de sauver leur vie.

En vérité, quand on connaît les exactions dont sont capables certains régimes, en Irak, en Syrie ou en Érythrée, à l’égard de leur propre peuple, et la barbarie dont font preuve à l’encontre des chrétiens d’Orient, des yézidis et d’autres minorités, les groupes terroristes qui prospèrent en Irak, en Syrie et, désormais, en Libye, on comprend que des populations prennent le chemin de l’exode, à leur corps défendant et avec une souffrance extrême, parce que c’est leur existence même qui est en jeu.

Lorsque Laurent Fabius et moi-même avons reçu, au Quai d’Orsay, les représentants des minorités chrétiennes qui sollicitent la protection de la France, parce qu’elles sont victimes des exactions les plus horribles de la part de groupes terroristes, ils ne nous ont pas demandé d’accorder l’asile à leurs populations, non, ils nous ont demandé que la France fasse tout, au plan international, pour qu’elles n’aient pas à partir et à chercher refuge en Europe.

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