Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 11 mai 2015 à 21h45
Réforme de l'asile — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Bernard Cazeneuve :

Mesdames, messieurs les sénateurs, combien d’horreurs ai-je entendues dans les récits de ces victimes contraintes à prendre le chemin de l’exil ! J’ai en revanche rencontré peu de personnes m’expliquer que c’est par amour du code Schengen, lu quelque part sur les plages de Libye, qu’elles se sont mises en route vers l’Europe. Ils ne sont que quelques-uns à faire de l’Europe la source de tous les maux et raisonner de façon extraordinairement sommaire sur des sujets des plus compliqués pour faire croire à l’opinion publique que les choses se passent ainsi. D’ailleurs, je constate que, malgré la pluralité des sensibilités représentées sur les travées du Sénat, aucun d’entre vous, à une exception, n’a exprimé une telle idée.

De nombreux orateurs, en particulier M. le rapporteur pour avis, Mme Catherine Tasca, M. Jean-Yves Leconte, M. Pierre-Yves Collombat et Mme Valérie Létard, ont abordé la question de l’Europe : considérons-nous que l’Europe a un rôle particulier à jouer pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés ? Une autre question, tout aussi fondamentale, a été posée par M. Karoutchi : la France a-t-elle une stratégie en Europe pour faire face au drame de grande ampleur que nous connaissons ?

Oui, la France a une stratégie en Europe ; je prendrai le temps de l’exposer précisément devant la Haute Assemblée, car cet aspect du débat est capital.

Nous sommes confrontés à un drame humanitaire qui conduit l’Europe à augmenter les moyens consacrés au sauvetage de migrants de plus en plus nombreux et de plus en plus vulnérables, que leurs passeurs abandonnent sur des embarcations de plus en plus frêles pour une traversée de plus en plus souvent mortelle, après avoir prélevé sur eux des sommes de plus en plus importantes – un véritable impôt de mort.

Pour secourir ces migrants, les Italiens ont décidé, il y a quelques mois, l’opération Mare Nostrum. Cette opération de sauvetage en mer, tout à fait exemplaire d’un point de vue moral et que nous ne pouvons que remercier les Italiens d’avoir lancée, a incontestablement permis des sauvetages plus nombreux ; mais le contexte a provoqué, au bout du compte, une augmentation du nombre de morts. Ainsi arrive-t-il parfois qu’une opération humanitaire inspirée par les meilleures intentions conduise à une aggravation des problèmes. De fait, ces cyniques que sont les acteurs de l’immigration irrégulière ont incité de plus en plus de migrants à prendre la mer dans des conditions de plus en plus aléatoires. Résultat : s’il y a eu plus de sauvetages, il y a eu aussi plus de morts.

C’est la raison pour laquelle je me suis battu, monsieur Karoutchi, pour qu’une opération de FRONTEX, l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l’Union européenne, se substitue à Mare Nostrum. Il ne s’agissait pas de cesser de sauver des vies, comme j’ai pu le lire ou l’entendre dire, mais de mettre en place une opération qui, tout en continuant de sauver des vies – c’est le cas, comme nous en avons des exemples récents -, envoie aux passeurs un signal : nous n’entendons pas les laisser se livrer à leur trafic morbide sans réagir, tant il est vrai que cette opération FRONTEX vise, en même temps qu’à sauver des vies, à démanteler les filières criminelles de la traite des êtres humains.

La France se battra pour que les moyens alloués à FRONTEX soient accrus, afin que l’Agence soit en mesure de continuer à démanteler les filières de l’immigration irrégulière.

En France, nous obtenons de bons résultats dans ce domaine : en 2014, comme je l’ai signalé au début de la discussion générale, nous avons démantelé 300 filières d’immigration irrégulière de plus qu’en 2013. J’ai donné des instructions très claires aux services qui sont sous ma responsabilité pour qu’ils fassent de la lutte contre ces filières l’une de leurs priorités et pour qu’ils travaillent en liaison avec les services de renseignement et les polices non seulement des autres pays de l’Union européenne, mais également des pays de provenance, car il faut démanteler les filières partout où elles agissent.

La France œuvre également au renforcement d’un autre aspect de la politique de l’Union européenne, au sujet duquel j’ai présenté des propositions à mes homologues européens dès cet été, soit bien avant la publication du plan Juncker : je veux parler de l’organisation, dès les pays de provenance, de la distinction entre les personnes qui relèvent de l’immigration économique irrégulière et celles qui relèvent de l’asile.

Si nous, pays de l’Union européenne, réussissons à opérer cette distinction au Niger, au Cameroun et dans les autres pays qui voient transiter les flux de migrants, en liaison avec le Haut- Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l’Organisation des migrations internationales, nous conduirons nous-mêmes en Europe ceux qui ont droit à notre protection ; ainsi, nous les arracherons aux mains des passeurs, nous combattrons les organisations criminelles internationales qui les exploitent et nous préviendrons des morts en mer. Si nous y parvenons, nous serons fidèles aux pères fondateurs de l’Union européenne et à leurs valeurs d’humanité, d’accueil et de protection, auxquelles tous les orateurs ont marqué leur attachement.

Grâce à des mesures de développement puissantes, nous devons assurer l’intégration dans leur propre pays de ceux qui fuient l’Afrique pour des raisons, vous les avez évoquées, qui tiennent à la pauvreté. Il s’agit d’ailleurs souvent de pays d’Afrique de l’Ouest qui ne sont pas dirigés par des régimes sanguinaires.

Je voudrais insister sur un dernier point concernant la politique de l’Union européenne, à savoir la politique des quotas. Contrairement à ce que vous avez pu croire, je ne soutiens pas la politique des quotas. Au contraire, je suis persuadé que nous devons mener une politique européenne de l’asile. C’est le seul moyen de renforcer l’Union européenne dans ses politiques d’immigration.

Le nombre de demandeurs d’asile que nous devons accueillir dans les pays européens doit prendre en compte l’effort déjà fourni en la matière par certains d’entre eux au cours des années précédentes. En effet, pour soutenir la politique d’accueil, des pays comme l’Allemagne, qui reçoit beaucoup de demandeurs d’asile, ou comme la France, qui fait son devoir, doivent être moins sollicités que d’autres qui n’en ont pas accueilli du tout jusqu’à présent.

Cette répartition du nombre des demandeurs d’asile entre les États de l’Union européenne qui prenne en compte les efforts déjà fournis par ces pays au cours des dernières années n’est pas une politique des quotas, c’est une politique européenne de l’asile. Voilà ce que je préconise, et c’est pour cela que nous nous battons au sein de l’Union européenne.

Je tiens maintenant à apporter des réponses précises aux questions que vous avez posées sur l’efficacité des dispositions prévues par ce projet de loi.

La réduction des délais est-elle efficace au regard des objectifs que nous nous fixons ? Elle est efficace à condition que nous tenions l’objectif d’une reconduite à la frontière, dans des conditions dignes et humaines, de ceux qui ont été déboutés du droit d’asile

Sur ce point, nous devons dire clairement les choses. Je susciterai peut-être des divergences d’appréciation avec certains des parlementaires qui se sont exprimés, mais j’estime que nous devons tenir un discours de responsabilité et de vérité.

Si nous considérons qu’au terme de la procédure d’asile tous ceux qui sont déboutés ont vocation à rester sur le territoire national, à quoi sert-il d’avoir une procédure d’asile en France ?

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