Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 11 mai 2015 à 21h45
Réforme de l'asile — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Bernard Cazeneuve :

Mais j’irai plus loin : si tous les déboutés du droit d’asile doivent rester sur notre sol, cela signifie a fortiori que nous avons vocation à accueillir de façon inconditionnelle tous ceux qui arrivent. Une telle politique – et j’aimerais par anticipation prévenir les parlementaires les plus enclins à aller dans cette voie – ne pourrait que renforcer encore l’attractivité de la destination France, au point qu’il n’y aurait bientôt plus de politique d’accueil au sens où nous l’entendons, c'est-à-dire que les meilleures intentions humanitaires se traduiraient par une catastrophe humanitaire. C’est précisément parce que je suis attaché à l’asile, dont la philosophie a été rappelée par nombre d’entre vous, que je ne le souhaite pas.

Ma position sur ce sujet est donc très claire : les déboutés du droit d’asile doivent pouvoir être reconduits à la frontière dans les meilleures conditions et en toute humanité, ce qui implique un dialogue avec les pays de provenance et des dispositions juridiques nouvelles dans ces pays d’origine, c’est-à-dire un continuum d’humanité et de responsabilité, moyennant des dispositifs juridiques qui le permettent.

La position qu’a adoptée le groupe UMP, dont je me réjouis, et la manière dont nous avons débattu ce soir, que j’ai appréciée, me rendent optimiste quant à la possibilité d’aboutir, sur ce projet de loi, au compromis républicain que je souhaite.

Si je ne souscris pas à tous les amendements que vous avez déposés, pour des raisons qui tiennent à la Constitution ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme, je suis cependant d’accord avec certaines des dispositions proposées à l’occasion de la discussion du présent projet de loi, même si j’estime qu’elles trouveront mieux leur place dans le projet de loi relatif à l’immigration et au droit au séjour.

En effet, un débouté du droit d’asile est, me semble-t-il, un immigré en situation irrégulière, et il ne faudrait pas que cet immigré, sous prétexte qu’il a demandé l’asile en France, soit moins bien traité qu’un immigré en situation tout aussi irrégulière qui n’aurait pas demandé l’asile. Cela poserait des problèmes notamment d’ordre constitutionnel, au regard du principe d’égalité.

Mais à partir du moment où le Gouvernement, par ma voix, pose en toute clarté que ces préoccupations seront traitées dans le projet de loi relatif au droit au séjour, et non dans le projet de loi de relatif à l’asile, toutes les conditions sont réunies pour parvenir à trouver le chemin d’un compromis républicain de qualité. Je ne pense pas que les orateurs de la majorité sénatoriale qui ont exprimé ces inquiétudes aient la volonté de créer des clivages inutiles ou de susciter des tensions à ce sujet, et encore moins de l’instrumentaliser. Je m’engage donc sur la suite, que je n’envisage pas dans un temps très lointain, et je pense que nous pouvons trouver un accord sur ce point.

Mme Éliane Assassi et M. Jean-Yves Leconte se sont inquiétés de la procédure accélérée. On retrouve ces interrogations dans certains propos et dans certains journaux. Que les uns et les autres soient rassurés, ma réponse sera, là encore, très claire : nous ne sommes animés d’aucune volonté d’accorder moins l’asile et de renouer avec une politique du chiffre.

Si nous voulons réduire les délais de traitement des dossiers, c’est dans l’intérêt des demandeurs d’asile eux-mêmes, et aussi parce que nous pensons – c’est ma conviction profonde - que nous sommes en mesure de le faire. Les discussions que j’ai pu mener avec le directeur général de l’OFPRA, M. Pascal Brice, le directeur général de l’OFII, M. Yannick Imbert, et le directeur général des étrangers en France, M. Luc Derepas, m’ont convaincu du fait que plus le temps de traitement du dossier est long, plus on risque une déshumanisation de la gestion de ces migrants désespérés, et plus le retour dans des conditions humaines de ceux qui ne relèvent pas de l’asile est difficile.

Mme Catherine Tasca s’est très bien exprimée à ce sujet et je souscris tout à fait à son propos : nous ne pouvons faire autrement que de traiter ces demandes avec rapidité et efficacité.

Madame Assassi, vous l’avez remarqué, j’ai précisé dans mon propos, à plusieurs reprises, que cette procédure accélérée avait deux corollaires : la reconnaissance intégrale des droits des demandeurs d’asile, y compris en procédure accélérée, et la mise en place de dispositifs nouveaux devant l’OFPRA, permettant de les voir reconnus dans leurs droits, y compris dans des procédures contradictoires qui jusqu’à présent n’existaient pas.

Si, parce que nous introduisons dans un projet de loi, en toute sincérité républicaine, des dispositifs destinés à faciliter la vie et à diminuer les tourments de ceux qui sont les plus vulnérables, d’aucuns décèlent dans ces dispositifs de simplification une arrière-pensée perverse, alors il sera difficile de trouver des éléments de consensus et de mobilisation des associations qui, comme vous l’avez relevé à juste titre, font un travail absolument remarquable.

Madame Garriaud-Maylam, vous avez particulièrement fait porter votre propos sur la question de l’accès au travail des demandeurs d’asile, développant à cette occasion une réflexion et une argumentation abouties. J’espère ne pas trahir votre raisonnement, et montré par là que je vous ai écoutée avec attention, en résumant ainsi votre propos : il faut créer les conditions pour permettre une mise au travail la plus rapide possible des demandeurs d’asile en évitant absolument l’assistanat, et, à cet égard, le texte tel qu’il est issu des travaux de l’Assemblée nationale pourrait être grandement amélioré.

Précisément, madame Garriaud-Maylam, j’ai donné un avis favorable à un amendement défendu par votre collègue députée Sandrine Mazetier qui tendait à instaurer un délai de neuf mois ; passé ce délai les demandeurs d’asile devaient avoir accès à l’emploi ainsi qu’à la formation professionnelle. Cet amendement me semblait relever d’un bon équilibre.

Vous proposez d’aller au-delà, seulement je ne suis pas certain que cela facilitera l’insertion professionnelle des demandeurs d’asile, et je redoute que l’on renforce ainsi l’appel d’air et l’attractivité de la France. Or vous redoutez justement que la France ne soit exposée plus que d’autres pays à ce risque.

Il faut choisir sa stratégie, on ne peut se fixer les deux objectifs à la fois.

Les débats que nous aurons sur ce projet de loi seront sans doute l’occasion d’approfondir la réflexion sur le sujet, et je pense que l’examen de certains amendements nous permettra de traiter cette question.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si nous voulons humaniser ces dispositifs, qu’il s’agisse de la réduction des délais ou de l’amélioration des conditions d’accueil des demandeurs d’asile et de leur reconduite à la frontière, nous avons besoin impérativement d’une mobilisation forte des administrations, en lien étroit avec les associations. Telle doit être la méthode, telle doit être la règle.

Je terminerai en évoquant la situation à Calais, ce mot qui n’a pas été prononcé encore dans notre débat.

Votre collègue Natacha Bouchart est très mobilisée sur le sujet et nous travaillons dans une relation d’écoute et de coproduction. Je souhaite qu’il en soit ainsi, par-delà nos différences politiques. Je me suis rendu dans cette ville il y a quelques jours auprès de migrants installés sur le terrain mis à leur disposition à proximité de l’accueil de jour que nous avons aménagé conjointement avec la mairie de Calais, et j’ai effectivement dit aux migrants de demander l’asile en France.

Il s’est ensuivi toute une série de tweets compulsifs de représentants de sensibilités politiques différentes, lesquels ont expliqué que j’étais un irresponsable incitant les migrants à demander l’asile en France, comme s’il n’y avait pas déjà suffisamment de demandeurs d’asile dans notre pays…

De quoi s’agit-il ? Quelle est ma politique à Calais ? Je tiens à ce que ma réponse soit consignée dans le compte rendu intégral des débats, car c’est un point important.

D’abord, à Calais, se trouvent toujours 2 000 migrants vivant encore dans des conditions qui, humainement, ne correspondent pas à ce que nous souhaitons. Or si nombre de ces migrants relèvent de l’asile en France, parce qu’ils viennent d’Érythrée, d’Irak ou de Syrie, d’autres sont dans une situation d’immigration économique irrégulière.

Nous avons confié à deux personnalités, MM. Vignon et Aribaud, le soin de conduire une mission sur l’humanisation des conditions d’accueil des migrants, en très étroite liaison avec les associations présentes à Calais. Le travail effectué par ces deux personnes missionnées avec lesdites associations a été remarquable. Les conclusions de cette mission seront rendues publiques à Calais à la fin du mois de mai, afin de définir les modalités d’un travail au long cours avec les associations en vue de répondre aux préoccupations humanitaires en la matière.

J’ai accepté que des financements de l’État et des fonds de l’Union européenne accompagnent la mise en place d’un accueil de jour à Calais, parce que je ne voulais pas qu’en France des migrants quels qu’ils soient, hommes, femmes et enfants, puissent mourir de faim et ne pas avoir accès, en termes de soins, d’hygiène et d’alimentation, au minimum que nous leur devions dès lors qu’ils relevaient de l’asile en France.

En outre, plutôt que de laisser ces migrants entre les mains des passeurs leur promettant un Eldorado en Grande-Bretagne, alors que les accords du Touquet nous interdisent de les laisser passer, nous avons conclu un accord avec les Britanniques, afin que ceux qui n’étaient pas « dublinables » et qui relevaient par conséquent de l’asile en France, demandent cet asile chez nous. À défaut, notre stock de migrants à Calais ne cesserait d’augmenter.

Alors, oui, à Calais, j’ai dit à ceux qui relevaient de l’asile en France qu’il était préférable pour eux de demander l’asile ici plutôt que de rester entre les mains des passeurs et des organisations internationales du crime, parce qu’il était de mon devoir moral de le faire et que, juridiquement, je n’avais d’autre issue que de leur tenir ce discours. C’était, pour des raisons morales et juridiques et au nom de l’efficacité de notre action à Calais, le seul discours que je pouvais tenir.

Par ailleurs, monsieur le sénateur, vous qui vous êtes interrogé pour savoir si nous avions assez de moyens pour agir, sachez que j’ai demandé à mes représentants, à mes collaborateurs, aux forces de sécurité qui dépendent de moi, notamment la direction centrale de la police aux frontières, la DCPAF – cela aussi, je l’assume devant le Sénat – de procéder à la reconduite à la frontière de tous ceux qui, à Calais, ne relèvent pas de l’asile en France. Sinon, notre action humanitaire à Calais n’a aucune soutenabilité. Telle est la politique que nous menons.

J’aurais pu survoler Calais en hélicoptère. J’aurais pu demander aux forces de l’ordre de disperser la « jungle » et conclure ma première visite à Calais, qui aurait d’ailleurs été aussi la dernière §en disant : « Regardez ce dont on est capable lorsqu’on a le courage politique de faire des choses absolument inefficaces et totalement inhumaines ! » Et j’aurais pu ne jamais revenir à Calais. Ce n’est pas mon choix. Je me rends régulièrement à Calais, une fois toutes les six ou huit semaines, je travaille en liaison avec la municipalité de Calais qui n’est pas de ma sensibilité politique, et je viens rendre des comptes à la population et aux associations de Calais pour expliquer notre action et la façon dont nous travaillons.

Voilà un lieu de désolation que l’on améliore en installant des infrastructures ; voilà des migrants qui n’ont pas d’autre solution en droit que de demander l’asile en France ; voilà un ministre qui conseille à ces migrants de faire cette demande parce que sa responsabilité morale le lui impose et qu’il n’y a de toute façon pas d’autre solution, en droit, que d’agir ainsi si l’on veut régler efficacement le problème, du moins si l’on parvient à convaincre les migrants. Mais voilà aussi des commentateurs de tous poils qui se disputent le droit de traiter le ministre d’irresponsable. Irresponsable ? Les migrants ne peuvent demander l’asile nulle part ailleurs qu’en France et ne pas s’y résoudre se résume pour eux à être condamnés à l’errance et à la vulnérabilité pour de longs mois !

Tel est le sens de ce que nous faisons à Calais, mesdames, messieurs les sénateurs, et c’est précisément parce que nous sommes convaincus de la responsabilité qui est la nôtre, de la nécessité d’être rigoureux dans notre action tout en étant respectueux des principes de notre droit, que nous devrions pouvoir trouver en la matière un compromis républicain. Il est bien d’autres sujets sur lesquels nous pouvons nous opposer pour que nous nous rapprochions à l’occasion de drames humains dont l’intensité est aussi forte et la réponse de la République si attendue.

Ce sont les éléments de réponse que je souhaitais donner à vos différentes interventions, très utiles, très riches et très denses. Je forme le vœu que le débat que nous allons avoir permette, au travers des amendements, d’aller au fond des questions, avec un niveau de précision technique et d’écoute mutuelle tel que ce texte puisse sortir du Sénat en étant meilleur, sur le plan des principes, sur le plan du droit, sur le plan de sa constitutionnalité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de ces premiers échanges.

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