Les auteurs de la proposition de loi visant à instaurer un moratoire sur l'utilisation et la commercialisation d'armes de quatrième catégorie estiment qu'il est nécessaire de procéder à un état des lieux de l'utilisation des armes « à létalité atténuée » ou « de force intermédiaire », afin d'évaluer leur dangerosité, justifie la proposition d'un moratoire. Leur argumentation repose sur l'incident du 8 juillet 2009 au cours duquel une personne a perdu l'usage d'un oeil à la suite d'un tir provenant d'un lanceur de balle de défense, dit Flash-ball superpro.
Notre droit encadre strictement l'utilisation de la force pour rétablir l'ordre public : elle doit être proportionnée, répondre à un critère d'absolue nécessité et s'inscrire dans une logique de réponse graduée. L'utilisation des armes, qui n'est qu'une des modalités de l'emploi de la force, n'est autorisée que pour disperser un attroupement après au moins deux sommations, sauf lorsque des violences ou voies de fait sont exercées contre les représentants de la force publique ou lorsqu'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent. L'article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure les autorise alors exceptionnellement à faire directement usage de la force et à utiliser des lanceurs de balles de défense (LBD 40).
En dehors du cadre du maintien de l'ordre, les armes de force intermédiaire comme le Flash-Ball superpro ou le Taser X 26 peuvent être utilisées en situation de légitime défense pour éviter le recours à des armes létales, plus dangereuses. Leur usage relève alors des dispositions pénales de droit commun relative à la légitime défense (L. 122-5 du code pénal) et à l'état de nécessité (L. 122-7 du code pénal).
En plus du moratoire, la proposition de loi modifie l'article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure afin d'encadrer davantage les circonstances dans lesquelles les armes de quatrième catégorie peuvent être utilisées par les forces de l'ordre.
Le texte présente plusieurs difficultés formelles. D'une part, il se réfère à une classification des armes obsolète qui date d'avant la loi du 6 mars 2012 et la répartition des armes en quatre catégories (de A à D) selon leur degré de dangerosité. Les armes de quatrième catégorie ont été pour la plupart requalifiées en catégorie B, dont le régime de détention est soumis à autorisation préalable, sans pour autant qu'il existe de correspondance stricte entre l'ancienne et la nouvelle catégorie. D'autre part, l'article 1er qui institue le moratoire entre en contradiction avec le second qui restreint les possibilités d'utilisation des armes de quatrième catégorie par les forces de sécurité, en situation de maintien de l'ordre.
D'autres difficultés juridiques et pratiques interviennent. L'article 1er ne prévoit pas d'armes de substitution pendant la durée du moratoire. Les forces de l'ordre n'auraient alors d'autre choix que de se retirer en cas d'incident, ce qui nuirait à la crédibilité et à l'autorité de l'État, ou au contraire d'aller au contact des manifestants, ce qui pourrait avoir de lourdes conséquences. Il est indispensable de conserver une capacité de riposte et de dissuasion à la hauteur de la gravité des troubles à l'ordre public provoqués par des attroupements. À la différence des bombes lacrymogènes, les armes telles que le LBD 40 ont l'avantage de cibler spécifiquement les fauteurs de troubles.
En outre, en interdisant des armes de force intermédiaire de catégorie B tout en maintenant l'utilisation d'armes létales de catégorie A, le moratoire introduirait une rupture dans la gradation des moyens.
Enfin, le ministère de l'Intérieur organise de manière permanente et régulière une évaluation de l'utilisation de ces armes ainsi qu'une veille sur les nouvelles technologies susceptibles de les améliorer ou de les remplacer. À la suite des événements du barrage de Sivens, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, a annoncé la constitution d'un groupe de travail commun à la police et à la gendarmerie sur les techniques du maintien de l'ordre et leur évolution possible. La Direction générale de la police nationale oeuvre également à trouver une alternative au Flash-Ball superpro, efficace mais imprécis : un appel d'offres a été lancé il y a deux ans pour équiper le LBD 40 de munitions de courte portée. Doté d'un viseur, ce dernier est bien plus précis que le Flash-Ball superpro.
Quant à l'article 2, il propose de compléter l'alinéa 6 de l'article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure afin de préciser que des armes, telles que le Flash-Ball superpro, ne pourront être utilisées que dans des « circonstances exceptionnelles où sont commises des violences ou des voies de fait d'une particulière gravité et constituant une menace directe contre leur intégrité physique ». L'interprétation de ces dispositions reste largement incertaine. La restriction s'applique-t-elle seulement dans l'hypothèse d'un terrain à défendre ou aux deux circonstances mentionnées à l'alinéa 6 de l'article L. 211-9 ?
La notion peu précise de « violences d'une particulière gravité » présente un risque d'insécurité juridique en tant qu'elle relève d'une interprétation subjective a posteriori. Il semble difficile, voire impossible pour les forces de l'ordre d'anticiper les conséquences des violences qu'elles subissent, afin de déterminer les armes susceptibles d'être utilisées. Complexifier le cadre de l'emploi de la force en légitime défense pour soi ou pour autrui présente un risque certain tant pour la sécurité des forces de l'ordre que pour celle des citoyens. C'est pour toutes ces raisons que je vous propose de ne pas adopter cette proposition de loi.
Néanmoins, ce texte soulève de réelles problématiques, notamment sur l'utilisation du Flash-Ball superpro et du Taser X 26. Si les CRS ne disposent pas de ces armes dans leur mission de maintien de l'ordre, les unités intervenant en renfort peuvent y recourir. Les auditions ont montré que la formation habilitant au port de ces armes demeure insuffisante et n'est que trop rarement dispensée. Les syndicats ont également signalé qu'elle consistait en des exercices essentiellement théoriques, pratiqués sur des cibles statiques plutôt que mobiles.
Je partage les réserves du Défenseur des droits sur la décision du ministre de l'Intérieur de ne plus procéder à l'achat de pistolets à impulsions électriques munis de dispositifs d'enregistrement vidéo et sonore auxquels sont pourtant favorables les syndicats de police. En effet, ce dispositif est protecteur tant pour les citoyens que pour les policiers qui sont ainsi plus rapidement exonérés de toute responsabilité dans les cas fréquents d'usage légitime de la force. Enfin, je ne peux qu'encourager la Direction générale de la police nationale à accélérer le calendrier de son expérimentation concernant les munitions de courte portée qui pourraient être utilisées par le LBD 40, de manière à mettre un terme à l'utilisation du Flash-Ball superpro.
Au regard de toutes ces difficultés, je vous invite, mes chers collègues, à ne pas adopter la proposition de loi.