Intervention de Valérie Létard

Réunion du 19 mai 2015 à 14h30
Réforme de l'asile — Article 14, amendement 248

Photo de Valérie LétardValérie Létard :

Une très large majorité des membres de mon groupe soutient l’objectif de M. le rapporteur d’aboutir à une procédure claire et efficace. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous partageons nombre des propositions de modification introduites dans le texte par la commission.

Néanmoins, l’adoption par cette dernière lors de ses travaux de l’amendement n° 248 rectifié nous pose problème. Il en résulte en effet l’introduction dans le projet de loi de la disposition suivante : « Sauf circonstance particulière, la décision définitive de rejet prononcée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, le cas échéant après que la Cour nationale du droit d’asile a statué, vaut obligation de quitter le territoire français. »

Tout d’abord, sur un plan purement juridique, cette disposition crée une confusion entre l’appréciation du bien-fondé d’une demande d’asile, problématique spécifique quant à un besoin de protection, qui relève de l’OFPRA et, le cas échéant, de la CNDA, et l’appréciation du droit au séjour, qui relève de l’autorité préfectorale.

De fait, le texte impose à l’OFPRA et à la CNDA d’apprécier notamment la compatibilité d’une décision de rejet d’asile valant OQTF avec les dispositions de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, la CEDH, ce qui ne relève pas de leurs compétences.

En effet, l’automaticité de l’éloignement en cas de rejet d’une demande d’asile serait contraire à l’article 8 précité, qui dispose que, même lorsqu’on est débouté du droit d’asile, des raisons tenant à la situation personnelle et familiale peuvent justifier qu’on soit maintenu sur le territoire national, conformément au droit au respect de la vie privée et familiale.

L’alinéa 17 de l’article 14 du présent projet de loi atténue cette automaticité, avec la notion de « circonstance particulière », que le demandeur d’asile débouté est censé pouvoir faire valoir. Mais dans quelles conditions ? Cela n’est pas précisé. En pratique, le texte implique donc que l’OFPRA et la CNDA prononcent implicitement une mesure d’éloignement, « sauf circonstance particulière », qu’ils doivent a priori apprécier eux-mêmes. Ils seraient donc obligés, afin de respecter les dispositions de la CEDH et de ne pas rendre la décision définitive automatiquement illégale, d’apprécier, avant de prononcer un rejet de la demande d’asile ou du recours, si la mesure d’éloignement qu’implique de fait leur décision est compatible avec les dispositions de l’article 8 de la CEDH.

Par ailleurs, outre les aspects liés au respect de la vie privée et familiale, la situation du demandeur peut parfois lui permettre de remplir les conditions d’obtention d’un titre de séjour pour un autre motif, lié à la santé, à la profession ou à tout autre motif prévu par le CESEDA.

Or l’OFPRA et la CNDA ne sont pas compétents pour apprécier le droit au séjour d’un demandeur d’asile. Cette disposition risque donc de créer un nouveau flux contentieux devant les juridictions de droit commun, et de rallonger les délais de la procédure, ce qui n’est manifestement pas l’objectif de la réforme.

Enfin, le texte comporte certaines autres lacunes : il n’indique rien sur l’articulation avec la procédure contentieuse prévue à l’article L. 512-1 du CESEDA, rien non plus sur le caractère suspensif ou non du recours juridictionnel, sur le délai de recours contentieux, sur la formation de jugement compétente ou le délai de jugement. En outre, les explications de M. le rapporteur à la page 166 de son rapport n’apportent pas d’éclaircissement sur tous ces points, car le mode d’emploi de cette mesure n’y est pas développé.

Ma deuxième objection sera davantage d’opportunité. Lors de l’examen de l’article 5 du projet de loi, nous avons adopté une disposition modifiant l’article L. 721-2 du CESEDA et précisant que l’OFPRA exerce ses missions en toute impartialité. La Cour nationale du droit d’asile est une juridiction par définition indépendante. Que les décisions définitives de rejet prononcées par l’OFPRA et la CNDA vaillent obligation de quitter le territoire français reviendrait donc à confier des décisions de police administrative à des institutions indépendantes dont ce n’est clairement pas la mission et qui ne sont pas en mesure de l’exercer.

Ainsi ce texte a-t-il pour conséquence d’introduire une confusion regrettable entre les différents acteurs de l’asile, puisque la notification d’une OQTF et son exécution reviennent aujourd'hui à la préfecture compétente, cette autorité administrative remplissant son rôle.

Pour avoir rencontré les officiers de l’OFPRA et les juges de la CNDA, je crains que cette conséquence ne brouille leurs décisions. Comme l’a montré le rapport sur la réforme de l’asile que j’ai rédigé avec Jean-Louis Touraine, l’éloignement doit être le terme d’une procédure au cours de laquelle la personne déboutée du droit d’asile a pu faire valoir ses droits et être accompagnée vers le retour.

Pour ces deux raisons, l’amendement n° 37 rectifié bis vise à supprimer une mesure qui touche de manière profonde à l’équilibre actuel de l’examen d’une demande d’asile, au risque de déstabiliser l’ensemble de la réforme, et dont on peut craindre qu’elle ne soit finalement contre-productive, y compris en termes de délai.

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